Il est, en France, un rituel d'installation récente mais dont on aurait, d'ores et déjà, bien du mal à faire l'économie. Il s'agit de la publication, à échéance très irrégulière, des avis d'une structure qui fêtera, l'an prochain, ses vingt ans : le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé que le temps et l'usage ont conduit à baptiser CCNE. Nous avons parfois évoqué, dans ces colonnes, la teneur de tels avis. S'ils n'apportent pas toujours de réponses bien claires aux questions qu'ils traitent, ils fournissent à chaque fois ou presque le fidèle reflet des questionnements que la biologie et la médecine imposent à nos sociétés. C'est tout particulièrement vrai pour le dernier texte en date ; il porte le numéro 72, et il est intitulé «Réflexions sur l'extension du diagnostic préimplantatoire».Nous avons tous entendu parler, brièvement ou pas, de ce nouveau thème d'instrumentalisation de la vie humaine et dont la grande presse s'est emparée sous le mauvais mais spectaculaire titre du «bébé-médicament». Interdit en Suisse par la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée du 18 décembre 1998 (qui stipule en son article 5-3 : «le prélèvement d'une ou plusieurs cellules sur un embryon in vitro et leur analyse sont interdits») le diagnostic préimplantatoire, (DPI) est autorisé en France depuis 1994 où il n'est pratiqué que depuis deux ans. On sait qu'il s'agit ici de faire un diagnostic génétique sur une ou deux cellules d'un embryon humain en comportant de 6 à 10, avant son transfert in utero.Ce diagnostic ne peut donc être réalisé qu'après fécondation in vitro et il nécessite généralement une ICSI (intracytoplasmic spermatozoïd injection) pour éviter au cours de l'analyse la contamination par un ADN d'un autre spermatozoïde. Le DPI doit en outre être pratiqué sur plusieurs embryons afin d'en sélectionner un qui soit sûrement indemne de l'affection redoutée. En l'état actuel de la technique il peut d'ores et déjà être utilisé pour dépister ou éviter les affections liées au sexe, les affections génétiques pour lesquelles l'anomalie moléculaire peut être détectée grâce aux techniques de la biologie moléculaire ainsi que les anomalies chromosomiques. Pour l'heure, le DPI concerne avant tout la mucoviscidose, la maladie de Steinert, la chorée de Huntington ou le syndrome de l'X fragile.La question, désormais, est autre : peut-on élargir le champ des indications et effectuer un tel diagnostic pour des familles dont un enfant est atteint, par exemple, de la maladie de Fanconi ? Il s'agirait en l'espèce de réaliser un typage HLA afin de permettre le transfert d'un embryon indemne de la maladie, et donneur potentiel à l'intention d'un autre enfant déjà né et malade. Posons la question autrement : peut-on, dans un couple fertile, associer une procréation médicalement assistée par ICSI suivie d'un DPI afin d'obtenir une grossesse dans le seul but d'avoir un enfant HLA compatible ? Quelle que soit l'indication justifiée par la gravité de l'état d'un membre de la fratrie un tel geste ne serait-il pas en contradiction avec le principe selon lequel l'enfant ne devrait jamais n'être qu'un moyen aux fins d'autrui, fût-ce pour le sauver ?Nous n'exposerons pas, ici, le cheminement de la réflexion des membres du Comité national d'éthique français. En conclusion ces derniers soulignent que la mise au monde d'un enfant qui viendra en aide à un autre à partir d'un choix adapté «pose la question majeure du risque d'instrumentalisation de l'enfant à naître». «Ce fait mérite d'être examiné, ajoutent-ils. En effet, pour reprendre la maxime kantienne, tout être humain doit aussi être considéré comme une fin en soi, et jamais uniquement comme un moyen». Pour autant cet avis ajoute que «certains membres du CCNE», par «souci de solidarité» jugent impossible de s'opposer au «désir des parents de réitérer une procédure de DPI dans le but d'obtenir des embryons à la fois sains et compatibles».Comment avancer ? Que décider ? Sans doute en reprenant les fragments de ce texte qui pourraient bien préfigurer notre avenir, celui de ceux qui nous suivrons. Car comment ne pas craindre que l'ouverture du DPI à la recherche d'une compatibilité immunologique n'expose pas, au nom du pragmatisme triomphant, à l'élargissement à des maladies génétiques et hématologiques fréquentes, pouvant toucher des millions de personnes. Comment dès lors ne pas voir que la question concernerait les futurs frères et surs mais aussi les cousins, voire les parents eux-mêmes qui pourraient un jour demander à bénéficier d'une greffe de cellules du cordon, à des fins de médecine de réparation. «Il est clair qu'aucune objection à une telle extension ne pourra alors être avancée pour opposer un refus à ces demandes qui deviendraient alors ingérables», peut-on lire dans ce texte. «Ainsi la solidarité comme valeur se heurte-t-elle ici au caractère utopique d'une telle pratique.»Un danger d'une autre nature résultera aussi de la probable simplification à venir de la technique d'identification du groupe HLA ; la tentation pourrait alors être bien grande de constituer des fratries systématiquement HLA compatibles dans le seul but d'une réparation mutuelle infinie. Comment ne pas être sourdement inquiet c'est un euphémisme face à l'ouverture de champs de possibilités inconnus ? Comment ne pas craindre que l'humanité puisse, un jour prochain, tendre à se considérer elle-même comme un moyen et non plus comme une fin ? «Certains, dont je suis, prétendent que le DPI, réalisé sur les embryons humains avant leur transfert dans l'utérus, est le moyen grâce auquel l'eugénisme pourra accéder à ses fins après quelques millénaires d'essais douloureux et inopérants» écrivait l'an dernier, le dérangeant biologiste Jacques Testart dans les colonnes du Monde. Qui, des pragmatismes ou des kantiens, des Diables ou des Dieux, l'emportera ?