«Depuis 1967, le nombre de fabricants de vaccins a passé de 37 à 10 aux Etats-Unis, et l'Europe a connu une semblable évolution» constatent trois immunologistes dans une lettre en forme de manifeste publiée le 9 août par la revue Science (Science 2002 ; 297 : 938-9). Rino Rappuoli, un responsable de la recherche de la firme américaine Chiron l'un des grands producteurs de vaccins , ainsi qu'Henry Miller et Stanley Falkow de l'Université de Stanford estiment qu'il ne s'agit nullement d'un effet de concentration, mais d'une profonde et silencieuse crise de l'économie des vaccins.Le désintérêt des groupes pharmaceutiques alors qu'ils sont presque les seuls à avoir les moyens de développer de nouveaux vaccins s'explique sans peine : la valeur économique de ces préparations est négligeable en regard de celle des autres produits pharmaceutiques. Le marché potentiel mondial pour les vaccins est estimé à quelque 6,5 milliards de dollars, soit 2% seulement du marché pharmaceutique. Autre image frappante : un seul médicament à succès contre l'ulcère peut réaliser des ventes équivalentes à celles de tous les vaccins réunis.Selon les auteurs, le phénomène est encore aggravé par les pressions exercées sur l'industrie pour qu'elle fournisse des vaccins à bas prix pour les pays en développement. Les pouvoirs publics contribuent eux aussi à diminuer l'attrait du marché en négociant âprement les prix lors de commandes massives. Si ces obstacles n'ont pas encore provoqué de crise apparente, c'est que celle-ci a été masquée par un apport important de fonds humanitaires. Un soutien bien fragile, selon les auteurs, pour assurer une vitalité durable à la recherche dans ce domaine et pour garantir une sécurité de l'approvisionnement.La vaccination est pourtant considérée comme l'une des interventions médicales les plus rentables. Les auteurs citent des études selon lesquelles chaque dollar dépensé en vaccin amène des économies de 16 dollars sur d'autres dépenses médicales pour le ROR, de 6 dollars pour le DTP. Ils estiment que la valeur d'un vaccin, si elle incluait ces bénéfices intangibles, serait de 10 à 100 fois plus élevée que celle qu'on lui attribue aujourd'hui.Voilà le déséquilibre : le vaccin, qui possède une «valeur sociale» élevée, n'a qu'une valeur économique limitée. Pour y remédier dans les pays industrialisés, les auteurs suggèrent de nombreuses mesures incitatives, comme la prolongation de la durée de protection des brevets, l'exonération de taxes, la création d'un fonds d'indemnisation en cas d'effets secondaires et la protection des fabricants contre des prétentions en responsabilité civile exagérées. Les coûts de ces mesures seraient compensés par des économies dans d'autres domaines (autres frais médicaux, pertes de productivité, coût social des maladies).Dans les pays en développement, Rappuoli, Miller et Falkow défendent une politique qui reconnaisse la valeur réelle des vaccins et ne fasse pas appel à une baisse des prix massive, quitte à créer un mécanisme international pour financer la vaccination dans les pays à faibles revenus.