Nos autorités fédérales viennent d'imposer un blocage, pour trois ans, de nouvelles autorisations cantonales d'exercer les professions de médecin et de pharmacien à la charge de l'assurance obligatoire des soins. Cette mesure, dite clause du besoin, est la réponse à l'augmentation continuelle des coûts de la santé et à la corrélation qui est supposée entre le nombre de praticiens et les coûts. Chaque nouveau cabinet engendrerait, si l'on en croit les communiqués officiels, un surcoût de Fr. 500 000. par an.En dehors de la problématique juridique de restriction de la liberté économique et des frustrations engendrées par cette mesure chez des professionnels ayant passé de nombreuses années à se former et voyant subitement leur chemin de carrière barré, on est en droit de se demander quelle logique est adoptée par nos dirigeants pour lutter contre les coûts excessifs dans le domaine de la santé. Si la prise de décision est méritoire, force est de constater qu'il nous manque actuellement la vision d'ensemble. Une seule mesure ne saurait bien évidemment résoudre miraculeusement un problème aussi complexe que celui des coûts de la santé. Alors, quelle stratégie générale compte adopter notre conseillère fédérale en charge de ce dossier ? Il serait fort intéressant de le savoir.En tant que pharmacien hospitalier, et donc dans une position un peu extérieure à la problématique de la clause du besoin, je m'étonne du contraste entre le courage de nos autorités lorsqu'il s'agit de toucher à la pratique privée et l'incohérence en termes de maîtrise des coûts de certaines décisions touchant au prix des médicaments. Comme si, finalement, il était plus aisé de s'attaquer aux praticiens qu'au tout puissant lobby de l'industrie pharmaceutique, fleuron de notre industrie et garant de dividendes bien appréciés de ses actionnaires. Les derniers résultats financiers publiés par les grandes firmes sont du reste tout à fait rassurants, puisque, à titre d'exemple, Novartis annonce des ventes en hausse de 14% et un bénéfice record (Fr. 7 milliards !) pour 2001. L'industrie pharmaceutique se porte bien, merci pour elle !Certes, l'industrie effectue un important travail de recherche conduisant parfois à la mise sur le marché de produits modernes et innovateurs qui font progresser la thérapeutique, mais a-t-elle vraiment besoin de l'aide de nos autorités pour présenter de si bons résultats ? Il est inquiétant de constater que l'année 2002 est déjà riche en événements troublants dans le domaine de la fixation des prix des médicaments, qui ne font qu'augmenter les charges de médicaments à l'hôpital, au profit de ceux qui les fabriquent. Il y a tout d'abord eu la saga non terminée de l'article 33 de la Loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh), qui a conduit, sous la pression à peine dissimulée de quelques industriels, à une interprétation interdisant l'octroi de rabais trop spectaculaires aux hôpitaux sur le prix des médicaments (P. Dayer, Med Hyg 2002 ; 60 : 723). Résultat : environ 100 millions de francs de surcoût prévus cette année à l'échelle nationale, ce qui correspond, soit dit en passant, à l'équivalent de 200 nouveaux cabinets médicaux selon les estimations mentionnées précédemment. Mais cette fois-là, pas d'économies prévues pour l'assuré
Autre exemple, les immunoglobulines G, dont le prix a été augmenté de Fr. 15. par gramme au début de cette année, à la demande expresse d'un fabricant, qui menaçait de se retirer du marché helvétique en cas de refus de nos autorités. Demande acceptée, même si d'autres produits sont disponibles sur le marché et tout aussi performants. Conséquence : une augmentation forcée pour tous les produits de cette classe thérapeutique, contre la volonté de certains producteurs
et un surcoût de Fr. 400 000. par an pour les seuls Hôpitaux universitaires de Genève. Dernier exemple choisi, celui d'un nouvel antibiotique, qui semble intéressant comme alternative à la vancomycine pour le traitement des infections à MRSA, notamment car il dispose d'une forme orale. La forme orale, c'est bien pour le patient, mais aussi en principe pour les finances, car les coûts de fabrication sont jusqu'à nouvel avis bien inférieurs à ceux d'un médicament injectable. Et bien pas pour ce nouveau produit, pour lequel l'OFAS a admis un prix à charge des caisses-maladie de Fr. 95. (nonante-cinq !) par comprimé, sur la base d'une comparaison avec les médicaments de référence, injectables eux. Un prix parfaitement inacceptable qui ouvre la porte à tous les abus et qui permettra sans doute de financer les campagnes de marketing démentielles, mises en place depuis une bonne année avant la commercialisation du médicament.Trop, c'est trop ! Que chacun doive faire des efforts pour maîtriser les coûts de la santé, cela est parfaitement acceptable, mais cela doit réellement concerner tout le monde. Même si les médicaments ne représentent qu'environ 17% des coûts de l'assurance maladie, la politique de fixation des prix est un élément de régulation essentiel. L'OFAS est chargé de cette mission dans l'intérêt des citoyens et on est en droit d'attendre de cet organisme une totale impartialité et transparence. Certaines décisions récentes pénalisent clairement les contribuables et rendent impossible la gestion d'un budget médicament. La pression est forte pour maîtriser les coûts, mais le pharmacien hospitalier est totalement impuissant face à cet environnement. Seul un changement d'attitude radical permettra une amélioration de la situation. Sans cela, il faudra subventionner le surcoût
et acheter des actions de nos grands groupes pharmaceutiques.