Le planning familial a étudié le vécu psychologique des femmes premières utilisatrices de la mifépristone pour des interruptions de grossesse (IVG) inférieure à 50 jours à la maternité du CHUV. Du 1er janvier 2000 au 30 juin 2001, la prise en charge de ces patientes (N = 137) comportait trois entretiens au planning familial : I Confirmation de la demande d'IVG et choix de la méthode par Mifégyne® ou curetage. I Information sur la contraception et soutien lors de la prise des prostaglandines. I Evaluation qualitative proposée 4 à 6 semaines après l'IVG au moyen d'un questionnaire semi-ouvert. Sur les 137 patientes, 104 ont pris la Mifégyne® et 49 sont revenues pour le bilan à 4-6 semaines. Soixante pour cent des patientes revues conseilleraient cette méthode à une amie. Cette étude confirme l'importance pour ces patientes de pouvoir bénéficier d'une information détaillée et d'un soutien adéquat durant toute la procédure.
La mifépristone (Mifégyne®) a été autorisée en Suisse en novembre 1999 et a été utilisée au CHUV dès décembre 1999, en association avec des prostaglandines (misoprostol) pour les interruptions de grossesse (IG) inférieures à 50 jours.1,2 Cette méthode demande une plus grande implication personnelle des femmes qui vivent ainsi leur IG en toute conscience. Le planning familial a étudié le vécu psychologique des femmes premières utilisatrices de la mifépristone à la maternité du CHUV.
Du 1er janvier 2000 au 30 juin 2001, 137 patientes avec une aménorrhée inférieure à 50 jours ont demandé une IG. La prise en charge de ces patientes comportait trois entretiens au planning familial selon un protocole qui, tout en respectant la législation suisse en matière d'avortement et d'interruption de grossesse, laisse à la patiente un délai de quatre à cinq jours entre sa demande et la prise de Mifégyne®.
1. Demande d'interruption de grossesse à la policlinique
I Evaluation de la demande par le médecin de la policlinique.
I Présentation des deux méthodes possibles, à savoir chirurgicale ou médicamenteuse.
I Exclusion des patientes présentant des contre-indications à la mifépristone et au misoprostol.
I Remise d'un document d'information et de consentement.
I Echographie vaginale pour déterminer l'âge gestationnel.
I Entretien au planning familial pour s'assurer du choix de l'interruption et du choix de la méthode (curetage ou Mifégyne®). Entretien d'évaluation, d'écoute et d'information. Première élaboration de la contraception future.
I Entretien au service social si nécessaire (pas d'assurance, mineures, etc.).
2. Demande d'avis conforme.
3. Prise de trois comprimés (600 mg) de mifépristone (Mifégyne®) en présence du médecin (J1).
4. A J3, soit 48 heures plus tard, hospitalisation ambulatoire d'une matinée pour la prise du misoprostol (Cytotec®).
I Entretien avec une conseillère en planning familial. Choix d'une contraception (qui sera commencée le jour même si c'est la pilule). Soutien pendant la prise des prostaglandines. Un rendez-vous au planning familial sera fixé dans quatre à six semaines.
5. Echographie de contrôle entre les jours J9 et J11.
6. Quatre à six semaines plus tard, entretien avec une conseillère en planning familial pour faire le bilan du vécu de cette IG. Entretien avec un questionnaire à réponses ouvertes portant sur les raisons du choix de la Mifégyne® ou du renoncement à la prendre, le vécu des douleurs et des saignements, le vécu de l'attente jusqu'au contrôle échographique, le soutien reçu, le vécu global de l'interruption, la recommandation ou non de la méthode à une amie, comment la patiente se sent quatre à six semaines après.
Parmi les 137 femmes ayant demandé une IG avec une aménorrhée inférieure à 50 jours, 104 (75%) patientes ont pris la Mifégyne® et 49 (47%) d'entre elles sont revenues au planning familial pour faire un bilan de leur expérience. Par contre 33 patientes (25%) ont renoncé à une IG médicamenteuse à la suite de l'entretien qu'elles avaient eu au planning familial (fig. 1).
Quatre-vingt-cinq patientes (82%) ont été vues lors de la demande, et 92 (89%) lors de la prise du Cytotec®. Trois patientes n'ont jamais été vues par le planning familial.
Les patientes pouvaient citer plusieurs raisons de choisir l'IG médicamenteuse. L'absence de narcose a été citée en premier (36 fois), suivie par le fait que l'IG pouvait se faire plus tôt dans la grossesse (25 fois). L'absence de geste invasif a également été nommée 22 fois, ainsi que le fait de pouvoir assumer son interruption de grossesse de façon responsable et consciente (16 fois). L'impression de faire une fausse couche ou que cela ressemble à de fortes règles a été mentionnée quinze fois, et pour dix patientes, cette méthode garantissait davantage la confidentialité qu'un curetage (tableau 1).
Les raisons de renoncer à prendre la Mifégyne® ont été pour neuf patientes sur trente-trois dues à la crainte à la fois des douleurs et des saignements. Quatre ont pensé que ce serait trop difficile à supporter sur un plan psychologique et quatre autres ont trouvé finalement les démarches trop longues. Trois voulaient profiter d'un curetage pour se faire poser un stérilet, ou bénéficier d'une stérilisation tubaire, deux patientes ont fait une fausse couche spontanée avant de prendre la mifépristone, et une patiente a décidé de garder sa grossesse (tableau 2).
La prise de la Mifégyne® a suscité peu de commentaires, et seules huit patientes ont parlé de la difficulté à la prendre : «C'est comme si on prend un poison, on donne la mort», «Il y a un côté homicide», «On réalise vraiment ce qu'on fait».
Le vécu à domicile, entre la prise de la Mifégyne® et celle du Cytotec® a été variable : sur les 92 patientes que nous avons interrogées lors de la prise du Cytotec®, 36 (39%) ont eu des saignements, qualifiés d'importants dans seize cas (17%). Quarante patientes (43%) n'ont pas donné de renseignements et trois pensaient avoir perdu la grossesse à la maison. Vingt-deux patientes (23%) ont parlé de douleurs considérées comme légères (10), moyennes (7), fortes (5), alors que 53 (57%) n'ont pas donné de renseignements à ce sujet. Huit patientes ont parlé de nausées, ressenties dans deux cas comme très fortes, 81 (88%) n'ont pas donné de renseignements à ce propos.
Lors de la prise du Cytotec® (J3), certaines patientes n'avaient pas encore commencé à saigner, d'autres saignaient beaucoup, certaines n'avaient pas de douleurs, d'autres avaient très mal. Finalement, dix patientes ont fait des commentaires, notamment : «Impressionnée par la perte de la grossesse, croyait qu'elle ne verrait que du sang», «Trouve long», «Mauvaises conditions, fauteuils inconfortables, pas d'intimité», «A vu le sac gestationnel, heureusement, était avertie», «A vu la grossesse, pas de regrets».
Après la prise du Cytotec®, de retour chez elles, 20 (40%) des 49 patientes revues ultérieurement ont saigné plus de trois semaines, 20 (40%) ont eu des douleurs moyennes à légères, seules deux se sont plaintes de fortes douleurs.
L'attente entre l'hospitalisation ambulatoire pour la prise du Cytotec® et l'examen échographique (J9 à J11) a été bien vécue par 28 patientes sur 49 (58%). Elles avaient confiance, ayant vu l'embryon lors de l'expulsion. Cependant huit femmes mentionnent une attente difficile.
Parmi les 49 patientes, 80% ont été satisfaites de l'encadrement médical, 85% de l'encadrement infirmier, et 90% de l'encadrement psychologique. Les plaintes relatent parfois de la froideur, un manque d'intimité ou une attitude ressentie comme un jugement. Plusieurs commentent positivement le fait d'avoir été entendues et accompagnées (fig. 2).
Quatre patientes disent avoir très bien vécu leur IG, 27 estiment l'avoir bien vécue (au total 31, soit 64%). D'autres commentaires sont plus réservés, par exemple : «Bien vécu, mais long», «Bien vécu, malgré les douleurs», «A apprécié d'avoir tout vu», «Plus difficile qu'un curetage, plus cru, mais bien vécu», «Bonne méthode car on voit ce qui se passe». Neuf patientes (18%) disent ne pas avoir bien vécu leur IG : «Beaucoup d'attente, long, douloureux, aurait préféré un curetage», «Psychologiquement douloureux, technique culpabilisante, a réalisé qu'elle interrompait une vie» (fig. 3).
A la question de savoir si elles conseilleraient cette méthode à une amie, 29 femmes (60%) répondraient affirmativement y compris deux patientes ayant subi un curetage après le traitement par Mifégyne® en faisant notamment les commentaires suivants : «Oui si la personne est claire dans son choix», «Car c'est discret, il n'y a pas de narcose», «En avertissant qu'on peut saigner un mois», «Oui parce que je l'ai bien vécue». Par contre, cinq patientes (10%) ne recommanderaient pas cette méthode : «Procédure trop longue», «Conseillerait un curetage, le vivre pleinement, c'est rude», «C'est trop douloureux, traumatisant d'avoir vu la grossesse». Huit femmes (16%) ne se prononcent pas : «Pourrait seulement informer», «Choix trop personnel pour conseiller une méthode» (fig. 4).
Lors des entretiens réalisés quatre à six semaines après l'IG médicamenteuse, la plupart des patientes (76%) déclaraient se sentir bien, avec cependant des nuances : «Se sent bien, soulagée», «C'était le bon choix, n'y pense pas», «Ne regrette pas son choix, mais cela l'a fait réfléchir», «A pu vivre cette IG consciemment, mais c'était trop long», «Cela marque moins que le curetage, mais c'était long de saigner si longtemps», «Bien vécu même si c'est dur au niveau de l'avortement». Une surcharge psychologique apparaissait dans les réponses de 16% des femmes : «Remise en question totale de ma vie», «Se sent faible, fatiguée, avec beaucoup de regrets», «Le deuil est encore à faire» (fig. 5).
Les chiffres de notre série montrent bien les difficultés de suivre une procédure complexe avec de très nombreux intervenants différents. Pour que tout fonctionne, aucun maillon de la chaîne ne doit s'écarter du protocole, depuis la policlinique où la patiente est vue la première fois, jusqu'au service de gynécologie où la patiente séjourne ambulatoirement. Le fait que l'étude ait été effectuée dès la mise en uvre de l'utilisation de la Mifégyne® peut aussi expliquer que tous les entretiens prévus par le protocole n'aient pas été réalisés.
Actuellement, près de 95% les patientes qui font la demande d'une IG médicamenteuse sont vues par le planning familial.
Relativement peu de femmes, soit 49, ont été revues quatre à six semaines après l'IG. Ces femmes nous ont dit leur difficulté à revenir pour cet entretien. Elles avaient le désir de tourner la page. Elles ne voyaient parfois pas l'utilité de reparler de ce qu'elles avaient vécu. Il est probable que ces mêmes raisons expliquent que plus de la moitié d'entre elles ne sont pas venues faire le bilan.
Cette proportion marque aussi les limites de cette étude. Il n'est pas possible de formuler des conclusions définitives puisque l'opinion de 55 patientes sur 104 nous fait défaut.
On peut constater que la crainte de l'anesthésie est encore bien présente dans notre population, puisqu'elle est la première raison citée motivant le choix d'une interruption médicamenteuse. La possibilité de faire précocement une IG, avant que la grossesse ne soit trop investie est aussi une raison importante du choix. Nous retrouvons ensuite la crainte d'un geste médical invasif et des risques médicaux liés.
Le vécu quant à la douleur, les saignements et les nausées n'a pas été évalué sur des échelles reconnues. Les appréciations observées reflètent une variation du plus facile au plus difficile à supporter, la plupart s'accordant sur la qualification de supportable.
La satisfaction de l'encadrement est très nette. Les commentaires mettent en évidence l'importance d'un accueil non jugeant. Certaines ont fait cependant état de la difficulté de rencontrer autant de personnes différentes.
Globalement, 64% des femmes ont bien vécu leur IG, et une proportion du même ordre (60%) conseillerait cette méthode à une amie. Seules cinq patientes sont de l'avis inverse : «Procédure trop lourde, trop douloureux, trop dur», bien qu'elles soient neuf (18%) à n'avoir pas bien vécu leur IG.
Il est réjouissant de voir que plus de 75% des patientes se sentent bien au terme de quatre à six semaines. Même si leurs commentaires nuancent les résultats, elles nous disent que si la décision est claire, le soulagement domine. Il n'en reste pas moins que sur notre petite série, sept (14%) se montrent encore très touchées par cet événement. Des chiffres similaires caractérisent d'autres études comparant l'interruption de grossesse médicamenteuse et le curetage.3,4,5
I La Mifégyne® n'est pas une simple prise de trois pastilles faisant venir les règles, comme certaines patientes le croyaient.
I Il est important que les femmes soient parfaitement informées des avantages et des inconvénients aussi bien de la méthode médicamenteuse que de la méthode chirurgicale.
I Cette information leur permettra de choisir la méthode la plus adaptée à leur situation.6,7
I Quelle que soit la méthode utilisée, le choix d'interrompre une grossesse reste un choix difficile.
I L'information adéquate, ainsi que le soutien non jugeant durant la procédure sont les conditions nécessaires mais pas forcément suffisantes à ce que l'IG soit vécue le moins mal possible.