Résumé
Au premier abord, la violence à l'égard des femmes peut paraître constituer une thématique moins directement utile à la pratique médicale que la démonstration de nouvelles techniques d'investigation ou la description d'une technologie innovante, apportant des recettes thérapeutiques inédites. Il est cependant devenu évident que cette forme de violence constitue un véritable problème de santé publique qui concerne par conséquent chaque médecin et tout particulièrement le gynécologue-obstétricien.Tout en étant un fléau immémorial aux multiples visages, la violence n'en est pas moins une composante fondamentale de notre psyché.Primitivement, il s'agit d'une fonction non émotionnelle, liée au cerveau reptilien. A ce stade, sa finalité est d'assurer la survie alimentaire et sécuritaire nécessaire à la reproduction et au maintien de l'espèce.Par la suite, au cours du développement des fonctions cérébrales supérieures, la violence a fait son nid quelque part entre Eros et Thanatos, dans les tourbières de l'émotion, dans le marécage de la valorisation identitaire. Elle s'y nourrit de sentiments, en particulier de sentiments d'inégalité et d'injustice. Ce type de sentiments est très fréquemment perceptible par chacun d'entre nous, beaucoup plus rarement générés par les courts-circuits et les turpitudes de quelque perversion.De même que les volcans sont des manifestations de la vie géologique, la violence a toujours été indissociable de la vie psychique et sociale. Elle s'exprime à des degrés divers et sous des formes variables, selon le contexte culturel et selon les modalités d'expression qui sont disponibles.Autant dire qu'un monde tel que celui dans lequel nous vivons, c'est-à-dire un monde multiculturel où les technologies multiplient les possibilités d'expression, réunit des conditions susceptibles de favoriser l'expression de la violence. Le nombre journalier, horaire même, de morts qui virtuellement succombent de mort violente sur nos écrans de télévision est tout simplement proportionnel au nombre de chaînes auxquelles nous avons accès. «Irréversible», le film de Gaspar Noé, présenté au dernier festival de Cannes, comprend des scènes de violence extrême qui ont fait l'objet de commentaires assez réprobateurs pour suffire à en assurer la publicité.Quittons la fiction et revenons à la réalité.Plus les conditions socio-économiques sont défavorables, plus les inégalités tant objectives que subjectives sont flagrantes ou perçues comme telles, plus les cultures sont exclusives, mais en particulier plus vous êtes une femme et plus vous êtes susceptible d'être victime de la violence.La liste est longue :I Abus sexuel, dès l'enfance.I Mutilations sexuelles.I Viol.I Contrainte à la prostitution. I Meurtre et sévices pour l'honneur.I Discrimination dans l'accès à la nourriture et aux soins.I Violence à l'égard des domestiques.I Violence dans les couples.I Violence à l'égard des femmes enceintes.En Suisse, une femme sur cinq est victime de violences conjugales de nature psychologique, physique ou sexuelle. Les coûts de cette violence conjugale grevant les budgets de la Santé, de la Police, de la Justice et de l'Aide sociale ont été évalués à 400 millions par an dans notre pays.1Quarante à 60 % des femmes assassinées aux Etats-Unis sont victimes de leur partenaire ou de leur ex-partenaire.La prévalence de la violence à l'égard des femmes enceintes est de l'ordre de 3 à 11% selon des études conduites aux Etats-Unis, en Angleterre, au Canada ou en Suède. Les conséquences, en dehors du risque de mort pour la mère et/ou pour l'enfant, sont multiples :I Incitation à l'avortement.I Traumatismes.I Infections gynécologiques, maladies sexuellement transmissibles.I Rupture des membranes.I Accouchement prématuré.I Hémorragie ante-partum.I Retard de croissance.I Violence à l'égard du nouveau-né.I Infanticide.Pour certains auteurs, les conséquences de ces violences constituent une pathologie dont la prévalence est très supérieure à celle d'affections telles que la gestose gravidique, le diabète gestationnel, la toxoplasmose, la béance isthmique ou le placenta praevia par exemple.Il paraît de plus en plus évident que nous voyons émerger de l'anonymat et du mutisme qu'engendre la crainte, une pathologie dont les causes sont connues mais insuffisamment reconnues, non enseignées, peu étudiées et insuffisamment intégrées aux efforts de prévention. Non formé spécifiquement, le médecin ne saura pas amener sa patiente à parler de la violence qu'elle subit et dont elle ne fera pas mention spontanément, en raison du climat de terreur et du sentiment d'échec, voire souvent de honte qui la submergent. Non alerté, le médecin ne sera pas à même de déceler la violence comme étant la cause de nombreux symptômes, souvent atypiques et chroniques, de nature générale (douleurs chroniques, céphalées), de nature gynécologique (pelvipathies chroniques, dyspareunie, infections gynécologiques), gastro-intestinales (perte de poids, troubles du comportement alimentaire, nausées), ou psychiques (troubles du sommeil, dépression, tentative de suicide, consommation excessive de médicaments analgésiques, anxiolytiques).Il faut se rendre à l'évidence, certaines de nos patientes sont insultées, menacées, dégradées, abusées, violées, battues, blessées et ceci non seulement dans les circonstances d'une agression par un inconnu mais le plus souvent dans le contexte de leur relation de couple.Et détrompez-vous, cette violence n'est pas exclusivement une évidence exotique, confinée à des populations défavorisées, lointaines ou migrantes.La violence à l'égard des femmes est une réalité assez incontournable pour qu'elle soit le sujet unique du prochain numéro que Médecine et Hygiène consacrera à la gynécologie-obstétrique.
Contact auteur(s)
P. De Grandi
Chef du Département de gynécologie-obstétrique
Directeur médical
CHUV
Lausanne