Résumé
La présente livraison de Médecine et Hygiène est consacrée à la pancréatite chronique. Sous-discipline très active de l'hépatogastroentérologie, la pancréatologie a réalisé au cours des dix dernières années des progrès très importants. Ceux-ci concernent autant les connaissances sur la pancréatite chronique alcoolique, que de nombreuses acquisitions sur les formes non alcooliques, justifiant le pluriel contenu dans le titre de cet éditorial.Comme on le verra dans le premier article de ce numéro, de nombreuses inconnues ou controverses ont maintenant trouvé leur solution. Il en est ainsi du traditionnel débat sur l'existence de pancréatites aiguës alcooliques autonomes, sans pancréatite chronique associée. Il apparaît aujourd'hui très probable que ces pancréatites aiguës représentent presque toujours la manifestation initiale d'une maladie chronique du pancréas. L'évolution spontanée des pseudokystes, qui compliquent fréquemment l'évolution de la maladie, est aujourd'hui mieux connue, ce qui a d'importantes conséquences thérapeutiques. Des régressions très tardives sont possibles, et ce sont finalement la taille des pseudokystes (supérieure à 4 cm), et leur caractère extrapancréatique (c'est-à-dire non entièrement cerné par du parenchyme pancréatique) qui constituent les meilleurs critères prédictifs de la nécessité de recourir à un traitement. Il faut enfin insister sur l'analyse des causes de mortalité, rarement directement liées à la maladie pancréatique elle-même, mais bien sûr au terrain sur lequel celle-ci survient. C'est dire qu'un malade atteint de pancréatite chronique alcoolique décédera beaucoup plus probablement des conséquences d'une hépatopathie associée, ou d'une tumeur épidémiologiquement liée à la consommation d'alcool et très souvent de tabac, que de la maladie pancréatique elle-même.Environ un quart des malades porteurs de pancréatite chronique ont une consommation nulle ou très faible d'alcool. C'est très certainement dans ce domaine que les progrès de la pancréatologie ont été récemment les plus nets. Comme on le lira dans l'article de P. Hammel, les causes immunologiques sont actuellement beaucoup étudiées. Les pancréatites chroniques auto-immunes peuvent évoluer isolément, ou être satellites (voire précéder) d'une autre affection inflammatoire à composante auto-immune. Parmi ces dernières, les maladies chroniques de l'intestin (maladie de Crohn et rectocolite hémorragique) occupent une place importante ; le syndrome de Sjögren, la cirrhose biliaire primitive et la cholangite sclérosante peuvent également être en cause, réalisant au maximum l'aspect de «pancréatocholangite sclérosante». Dans tous ces cas, l'aspect histologique des lésions pancréatiques est bien particulier, marqué par un infiltrat inflammatoire de la paroi canalaire et une fibrose périductulaire, aboutissant à une destruction canalaire (duct destructive chronic pancreatitis). La pancréatite à éosinophiles constitue une entité voisine, s'intégrant généralement dans une maladie à éosinophiles du tube digestif. Une hyperéosinophilie est souvent présente, et l'imagerie trouve une masse pancréatique d'aspect pseudotumoral. La meilleure connaissance des pancréatites auto-immunes et à éosinophiles doit permettre d'éviter des interventions chirurgicales inutiles. La biopsie guidée de la pseudotumeur, le plus souvent sous échoendoscopie, a alors ici une valeur fondamentale, de même que la réponse à une corticothérapie d'épreuve qui doit être proposée chez ces patients.D'autres causes rares, non traitées exhaustivement dans ce numéro, doivent aussi être cherchées, surtout chez les sujets jeunes. Il s'agit notamment des causes génétiques et principalement d'une mutation du gène CFTR de la mucoviscidose. Des mutations du gène du trypsinogène cationique (gène PRSS), en dehors de tout contexte familial, sont assez rares, mais celles de son inhibiteur (gène PSTI) sont de mieux en mieux connues. Nous avons ainsi récemment montré, avec Claude Ferec, que plus d'un tiers des malades porteurs d'une pancréatite chronique inexpliquée ou de poussées récidivantes de pancréatite aiguë, présentaient au moins une mutation des gènes PSTI, PRSS ou CFTR. La signification exacte de ces mutations, qui peuvent réaliser des tableaux complexes (hétérozygotie composite, transhétérozygotie) demeure à préciser.Comme on le verra plus loin, les avancées ont aussi concerné le domaine thérapeutique, et surtout celui du traitement endoscopique des complications de la maladie. Ainsi que le rappelle P. Ponsot, il n'existe malheureusement toujours aucune étude prospective comparant chirurgie et endoscopie, que ce soit chez les malades porteurs de pseudokystes, de sténoses canalaires symptomatiques, de sténoses biliaires. Néanmoins, les indications respectives des deux méthodes sont aujourd'hui bien codifiées, et il faut sûrement insister sur l'importance d'un bilan préthérapeutique très soigneux, comportant une échoendoscopie. Rappelons ici l'importance de l'expertise locale de chaque centre, et l'on ne saurait, une fois de plus, transposer aveuglément les résultats obtenus par telle équipe experte dans telle technique.Evaluer les effets délétères à long terme d'un acte thérapeutique est une préoccupation importante, et A. Sauvanet présente ici une étude très complète des conséquences fonctionnelles de la chirurgie pancréatique. Ce thème dépasse bien sûr de loin la seule pancréatite chronique, à l'heure où des résections pancréatiques, de plus en plus souvent atypiques, sont proposées pour des tumeurs de la glande, le plus souvent bénignes. Or, les conséquences des pancréatectomies et dérivations sur la fonction pancréatique endocrine et exocrine, sur la motricité digestive sont maintenant bien établies.Comme on le voit, beaucoup a été fait dans la compréhension et le traitement des maladies inflammatoires chroniques du pancréas. Beaucoup reste encore à faire pour mieux comprendre leur physiopathologie : pourquoi seule une petite minorité d'alcooliques sévères développe-t-elle une pancréatite chronique ? La conjonction de facteurs endogènes (terrain génétique particulier par exemple) et exogènes est-elle nécessaire à l'apparition d'une inflammation chronique de la glande pancréatique ? Quels sont les marqueurs réellement spécifiques et suffisamment sensibles d'une pancréatite auto-immune ? Bref, de quoi occuper les pancréatologues pour encore quelques décennies
Contact auteur(s)
Philippe Ruszniewski
Chef du service de gastroentérologie
Hôpital Beaujon
Clichy
France