En cas de syncope inexpliquée, le clinicien doit en priorité : 1) faire la distinction entre une syncope d'origine cardiaque et une syncope d'origine non cardiaque et 2) reconnaître les patients avec une histoire de syncope à répétition car beaucoup d'entre eux souffrent de paroxysmes vasovagaux qui méritent un traitement. Dans le premier cas, il faut préciser la sévérité de la cardiopathie et poursuivre les investigations par des tests spécialisés (Holter, échocardiographie, voire épreuve électrophysiologique) à la recherche d'une arythmie. Dans le deuxième cas, un test d'inclinaison prolongée avec massage du sinus carotidien couché et debout à la recherche de réflexes vasovagaux est indiqué.
La syncope est définie comme une perte de connaissance subite, transitoire, avec perte de tonus postural et suivie d'un retour spontané à un état de conscience normal. Sur le plan physiopathologique, une perte de connaissance survient après une interruption du flux sanguin cérébral d'une durée de huit à dix secondes, ou lorsque la pression artérielle systolique est inférieure à 70 mmHg. Ce symptôme est l'expression finale d'un vaste ensemble étiologique regroupant tout autant de troubles fonctionnels que de troubles organiques (tableau 1). C'est aussi un problème fréquent, un tiers de la population en souffre une fois durant sa vie, et il en résulte des traumatismes dans environ un quart des cas.1
La prise en charge des patients avec syncope doit comprendre dans tous les cas une anamnèse minutieuse portant sur les antécédents, la prise de médicaments, les circonstances de survenue ainsi que la présence et la nature d'éventuels symptômes accompagnants.2,3 Associé à un examen physique détaillé, un test d'orthostatisme d'une durée de cinq minutes et un ECG 12 dérivations, ce bilan permet d'établir un diagnostic dans environ 50% des cas, et d'identifier des facteurs de gravité susceptibles d'influencer les investigations ultérieures.2,4 L'entité «syncope inexpliquée» représente les patients chez qui la cause de la syncope reste indéterminée après ce premier bilan non invasif. C'est la prise en charge de ces patients qui va être discutée dans cet article.
En cas de syncope inexpliquée, la tâche du clinicien est double. Premièrement, il faut faire la distinction entre une syncope d'origine cardiaque et une syncope d'origine non cardiaque. Deuxièmement il faut reconnaître les patients avec une histoire de syncope à répétition car une proportion importante d'entre eux souffre de réflexes anormaux sous forme de paroxysmes vasovagaux. La prévalence de syncopes d'origine cardiaque (principalement une arythmie) se situe entre 10% et 25% des patients avec une syncope inexpliquée, celle de syncopes réflexes entre 20% et 40%, l'origine de la syncope restant toujours obscure chez environ la moitié des patients.5 Ces chiffres varient en fonction de l'âge du patient, du type d'investigations pratiquées, des critères diagnostiques, et du type d'institutions (centre de premier recours ou centre de référence). La distinction entre une syncope d'origine cardiaque et d'origine non cardiaque est imposée par des facteurs pronostiques, la mortalité après une syncope d'origine cardiaque étant d'environ 25% dans l'année qui suit l'événement, alors qu'elle est comparable à celle d'une population témoin en cas de syncope d'origine non cardiaque.6 Le pronostic reste toutefois essentiellement lié à la sévérité de la cardiopathie sous-jacente (principalement la fraction d'éjection), plus qu'à la syncope elle-même.7 Il est également important d'identifier les patients victimes de syncopes à répétition car le mécanisme réflexe sous-jacent peut être reproduit grâce à des tests spécialisés, et ces patients peuvent être améliorés par un traitement approprié.3
L'approche purement clinique joue un rôle essentiel dans la prise en charge des syncopes inexpliquées. La présence dans les antécédents personnels ou familiaux d'arythmie cardiaque, une histoire de cardiopathie ischémique ou d'une autre origine, la survenue d'une syncope à l'effort ou avec des douleurs thoraciques, de même que la présence à l'examen physique de signes d'insuffisance cardiaque congestive, augmentent la probabilité que l'origine de la syncope soit cardiaque. Une perte de connaissance subite, sans prodromes, parle aussi en faveur d'une possible arythmie cardiaque.8 L'ECG standard 12 dérivations, seul examen paraclinique à pratiquer de routine, est essentiel pour identifier un certain nombre d'anomalies électrocardiographiques non diagnostiques, mais qui doivent faire suspecter une origine arythmique (tableau 2). Pratiquement, avec une anamnèse cardiaque personnelle et familiale négative et un ECG standard normal, le risque de syncope d'origine cardiaque est extrêmement faible et aucun examen complémentaire à la recherche d'une arythmie n'est indiqué.3,4 Dans le cas contraire, des investigations cardiaques à la recherche d'une arythmie méritent d'être entreprises.
Même si cet examen n'a pas de valeur diagnostique, l'échocardiographie joue un rôle important dans la prise en charge des syncopes inexpliquées, plus par son aptitude à évaluer la sévérité d'une éventuelle cardiopathie que par sa capacité à établir l'origine de la syncope.3,5 Pratiquement, il est raisonnable de pratiquer une échocardiographie lorsqu'un doute existe sur l'existence d'une cardiopathie, ou lorsqu'il faut mesurer sa sévérité, le risque d'arythmie (en particulier ventriculaire) étant significatif chez les patients avec une fraction d'éjection abaissée (9
L'indication à pratiquer un test fonctionnel (par exemple : test d'effort, échographie de stress) voire une coronarographie, doit être individualisée en fonction de chaque situation. Toutefois, avant de procéder à des examens complémentaires pour trouver l'origine de la syncope il est de la plus haute importance d'exclure et/ou d'évaluer la gravité d'une possible cardiopathie ischémique.
Seule la présence d'anomalies électrocardiographiques bien définies (tableau 2) associées à la survenue simultanée de symptômes (syncope ou pré-syncope) permet de considérer un enregistrement Holter comme diagnostique. Chez les patients avec une syncope inexpliquée, une cardiopathie et/ou un ECG anormal, le rendement diagnostique d'un tel examen se situe entre 5% et 10%.4,5 En l'absence de cardiopathie et avec un ECG normal, le rendement d'un Holter de 24 heures est extrêmement faible, et cet examen ne devrait pas être systématique.
Les monitorings de plus longue durée avec enregistrement à la demande (exemple : R-test®) sont d'un apport diagnostique marginal, sauf chez des sujets avec une histoire de syncopes à répétition.10 Dans cette situation, l'apport diagnostique de cette technique peut être substantiel : soit en dévoilant une arythmie, surtout chez des patients avec une cardiopathie sous-jacente, ce qui permet d'éviter une exploration électrophysiologique, soit en permettant d'exclure une arythmie si le patient refait une syncope pendant l'enregistrement et que le tracé ECG est normal. Récemment, un système d'ECG sous-cutané implantable (Reveal®), introduit sous la peau en anesthésie locale, et d'une durée de fonctionnement de 14 mois, a été mis sur le marché.11 Dans une population de patients très sélectionnés (en moyenne cinq épisodes de syncope dans l'année précédente, âge moyen 55 ± 18 ans), cet appareil a permis de poser l'indication à la pose d'un pacemaker suite à la découverte d'arythmies non diagnostiquées jusqu'alors, chez 18% des patients testés. Ces résultats prometteurs doivent toutefois être confirmés par d'autres études cliniques dans différentes populations avant de promouvoir l'utilisation de cette technique.
L'épreuve électrophysiologique (EPS) est réservée habituellement aux patients avec une cardiopathie et/ou des anomalies électriques non diagnostiques détectées durant l'enregistrement ECG standard ou durant le Holter (tableau 2). Chez ce type de patients, le rendement diagnostique de cet examen se situe entre 20% et 50%.5 Plus précisément, parmi les patients avec une cardiopathie (cardiomyopathie ischémique, valvulaire ou idiopathique), l'EPS permet d'induire une tachycardie ventriculaire chez environ 20% d'entre eux, et une bradycardie chez 34%. Parmi les patients avec un ECG anormal uniquement (tableau 2), l'EPS permet d'induire une tachycardie ventriculaire chez moins de 5% d'entre eux, et une bradycardie chez 20%. Alors que l'EPS a une excellente valeur prédictive négative pour la survenue de tachy-arythmies ventriculaires après un infarctus du myocarde, sa valeur est plus limitée dans les cardiomyopathies dilatées et hypertrophiques, ainsi que dans l'identification de causes bradyarythmiques. En cas d'anamnèse familiale de mort subite, l'indication à une EPS doit aussi être discutée. Le pronostic des patients avec une syncope inexpliquée et une EPS non diagnostique reste toutefois bon.3,5
L'anamnèse de syncope à répétition impose la recherche d'une étiologie réflexe de type vasovagal. Le test d'orthostatisme prolongé (ou tilt test) est l'examen de choix pour mettre en évidence ce type de syncope.12 Le tilt test consiste à analyser la TAH et la fréquence cardiaque d'un patient en décubitus dorsal sur une table pivotante avec une inclinaison de 60 à 70° pendant 30 à 45 minutes. Par un réflèxe inhibiteur prenant naissance au niveau de récepteurs sensitifs de la paroi inféro-postérieure du ventricule gauche (réflexe de Bezold-Jarisch) on peut mettre en évidence une brady-arythmie et/ou une vasodilatation périphérique. La survenue simultanée de symptômes permet de poser le diagnostic de syncope réflexe de type vasovagal.
Il est recommandé de pratiquer un tilt test en cas de syncopes récidivantes inexpliquées par l'anamnèse et l'examen physique, seulement s'il n'y a pas de cardiopathie sous-jacente, ou lorsque des examens cardiovasculaires ont permis d'écarter une origine cardiaque à l'origine de la perte de connaissance.3,5,12 Dans cette situation, le rendement diagnostique de ce test est élevé (sensibilité 60-80%, spécificité 90%) selon la méthode utilisée, et le recours à des tests de provocation pharmacologique (particulièrement les dérivés nitrés).3 Après un premier épisode de syncope, particulièrement avec un traumatisme secondaire, ou en cas de profession à risque (exemple : chauffeur), ce test peut également être indiqué. Ces chiffres doivent toutefois être interprétés avec prudence vu l'absence de «gold-standard» parfait. En cas de diagnostic de syncope réflexe, l'instauration d'un traitement de bêta-bloquants ou la pose d'un pacemaker ont montré une certaine efficacité.13 Au vu du risque d'effets secondaires, l'indication à ce type de traitement mérite toutefois d'être individualisée et discutée avec un spécialiste.
Certaines affections psychiatriques (attaque de panique, troubles anxiodépressifs majeurs) prédisposent à des réactions vasovagales susceptibles d'aller jusqu'à la perte de connaissance.14 Ces patients sont généralement jeunes, sans comorbidités, et avec une histoire de malaise avec ou sans perte de connaisance à répétition. En pratique, un avis spécialisé est indiqué devant un tableau suggestif de pathologie psychiatrique et des syncopes à répétition. Le rôle du test d'hyperventilation pour reproduire les symptômes n'est pas clair.5
Plusieurs auteurs suggèrent que le massage du sinus carotidien, s'il est effectué parallèlement à une mesure continue de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, est d'un bon apport diagnostique, surtout lorsqu'il est limité à une population de plus de 50 ans.3 Cependant, la valeur prédictive positive de ce test reste encore indéterminée et son rendement n'a pas fait l'objet d'une étude prospective à large échelle. Néanmoins, s'il est effectué, le massage doit être fait en position couchée, puis en position debout. Comme le tilt test, le massage du sinus est susceptible de mettre en évidence des réponses pathologiques soit cardio-inhibitrices, soit vasoplégiques, soit mixtes, qui dans certains cas imposent la mise en place d'un pacemaker.
La figure 1 représente un algorithme de prise en charge pour les patients avec une syncope inexpliquée. En premier, il est de toute importance de déterminer si la syncope peut être d'origine cardiaque, étant donné le mauvais pronostic de ces patients et le risque substantiel d'arythmies malignes. Une maladie cardiaque sous-jacente, une pathologie détectée à l'examen physique et la présence d'anomalies ECG non diagnostiques sont des facteurs prédictifs de syncope d'origine cardiaque.15 Dans ces cas, il est indispensable de préciser la sévérité de la cardiopathie avec une échographie, et de poursuivre les investigations par des tests spécialisés (Holter, voire épreuve électrophysiologique) à la recherche d'une arythmie. Des investigations spécialisées (tilt test avec provocation pharmacologique, massage du sinus carotidien couché et debout) à la recherche d'une syncope réflexe sont également indiquées en présence de syncope à répétition et lorsqu'une origine cardiaque a été exclue.