Revenons sur cette nouvelle sous-spécialité chirurgicale en plein développement qui, pour lutter contre certaines formes, massives, d'obésité, consiste en la mise en place d'un anneau modulable autour de la partie haute de l'estomac (Médecine et Hygiène du 18 septembre). En France, parce qu'elle soupçonne certains chirurgiens de ne pas respecter les indications officielles (prise en charge des cas d'obésité morbide), la Sécurité sociale vient de décider d'ouvrir une enquête. Tout indique en effet que cette chirurgie est, dans de nombreux établissements hospitaliers privés, mise en uvre chez des personnes qui, si elles souffrent bien de surcharge pondérale, ne correspondent pas aux critères de l'obésité morbide. On verra, dans quelques mois, les résultats de l'enquête et si la Sécurité sociale prend ou non des mesures spécifiques pour que la prise en charge de ces interventions par la collectivité nationale ne corresponde qu'aux indications officielles. Mais d'ores et déjà une question est soulevée : que répondre à ceux qui hors prise en charge souhaiteront bénéficier de cette technique pour perdre quelques kilogrammes ?Les critères esthétiques actuellement en vigueur dans les sociétés industrialisées autant que le discours médical dominant sur les risques inhérents aux surcharges pondérales font en effet que le risque est grand de voir cette intervention proposée à d'autres fins que celles pour lesquelles elle avait initialement été développée. On passerait ainsi et c'est malheureusement déjà le cas d'une chirurgie bariatrique à une forme de chirurgie esthétique. Sans doute faudra-t-il alors informer clairement le patient demandeur des avantages, des inconvénients et des risques de cette intervention. Sans doute faudra-t-il lui faire comprendre qu'une telle chirurgie gastrique ne se borne pas à la pose d'un anneau stomacal qui modulera l'appétit et réduira le poids de l'organisme ; lui faire valoir que cette intervention réversible il est vrai ne peut pas ne pas induire de profonds bouleversements physiologiques, psychologiques et sociaux ; que l'on provoque ici de facto une forme de pathologie stomacale qui elle-même engendre des changements majeurs de l'image de soi et de la relation à l'autre.«Ces changements sont généralement bénéfiques, c'est le but de l'intervention ! Ils sont rarement anodins. Ils sont parfois source de graves déséquilibres, a déclaré au Monde le Pr Arnaud Basdevant, chef du service de nutrition (Hôtel-Dieu Paris, Université Pierre et Marie Curie). Je suis toujours surpris par la banalisation du risque chirurgical. Il n'y a, dit-on, que "0,1 à 0,5% de décès". Aucun médicament ne serait commercialisé dans de telles conditions ; or, cette chirurgie est aujourd'hui en vente libre ! Donc, en l'absence de conséquences de l'excès de poids sur la santé, il n'est pas raisonnable de prendre ce risque chirurgical. Il faut ici selon moi appliquer les règles de bonne pratique de la "médecine de l'obésité". D'abord analyser la problématique nutritionnelle dans sa triple dimension biologique, psychologique et sociale. Identifier les déterminants de l'excès de poids : sédentarité, densité calorique de l'alimentation, désordres alimentaires, difficultés psychologiques, etc. A partir de cette analyse, individualiser une prescription. Avant de sortir l'artillerie lourde, il est judicieux de passer par des mesures plus simples dont on sait l'efficacité.»Reste, au-delà de ces conseils dont on espère qu'ils seront entendus et suivis, la question de fond que soulève la chirurgie de l'obésité. Car il est bien clair désormais que l'obésité est, plus que toute autre pathologie, une maladie sociale et éminemment politique. Il faut ici rappeler qu'aujourd'hui, en France, 9% des adultes et 12% des enfants sont obèses ; redire que ces taux doublent tous les quinze ans chez les plus jeunes. «Dans moins d'une génération, nous aurons rejoint la situation peu enviable des Etats-Unis où un habitant sur trois est obèse, prédit le Pr Basdevant. L'impact économique est d'ores et déjà conséquent : l'obésité et ses complications représentent de 2 à 5% des dépenses de santé. Voulons-nous d'une société qui répond à ce problème par la pose d'anneaux gastriques chez des centaines de milliers de sujets ? Cela peut être un choix. Il ne revient pas aux médecins et aux chirurgiens de décider des options de santé publique. Il leur appartient en revanche d'appeler l'attention sur certains enjeux. A titre personnel, je militerais plutôt pour un modèle préventif sans, pour autant, verser dans la désastreuse intolérance à la rondeur.»Comment, dans l'attente, qualifier ces sociétés dont les membres ne parviennent pas à équilibrer apports caloriques et dépenses énergétiques ? Faut-il y voir un symptôme passager, la peur de manquer de nourriture après des siècles marqués par le jeûne et les privations ou, bien au contraire, l'entrée irréversible dans un monde régressif caractérisé par le grignotage perpétuel, la destruction de la silhouette humaine et des cycles du partage alimentaire ?