A échéance régulière désormais les formidables entreprises de séquençage des génomes des organismes vivants atteignent leurs objectifs. Il y a quelques semaines, on apprenait qu'une carte physique du génome de la souris avait été mise au point par un consortium international rassemblant plusieurs universités et instituts de recherche américains, canadien et britannique. «Les séquences humaines pourraient également être utilisées pour faciliter la construction d'autres cartes de génomes de mammifères et, bénéfice supplémentaire, la carte du génome de la souris pourrait aussi servir à combler les trous restants dans la carte du génome humain» soulignaient alors les auteurs. Ils expliquaient aussi que lorsqu'il sera complété, le séquençage du génome de la souris aura un impact capital sur la recherche biologique et la santé humaine dans la mesure où, comme on le sait, la souris est un modèle biologique clef utilisé par les scientifiques du monde entier. En avril dernier, la célèbre société privée américaine Celera Genomics avait annoncé avoir décodé à 99% le génome de la souris et comparé les gènes de trois espèces. La firme avait précisé avoir séquencé un total de plus de 15,9 milliards de paires de bases chez les types de souris étudiés, afin de dupliquer les cartes et réduire les risques d'erreur. Le génome d'une souris compte environ 2,6 milliards de paires de bases.
On apprend aujourd'hui que Streptococcus agalactiae est entrée dans le club grandissant des agents, pathogènes ou non, dont le patrimoine héréditaire a été cloné. La séquence génomique est aujourd'hui publiée dans Molecular Microbiology par l'équipe de Frank Kunst et Philippe Glaser,1 du Laboratoire de génomique des microorganismes pathogènes de l'Institut Pasteur de Paris, et celle de Patrick Trieu-Cuot, du laboratoire mixte Pasteur-Necker de recherche sur les streptocoques et streptococcies. «La découverte de nombreux gènes responsables du pouvoir pathogène de cette bactérie devrait faciliter l'identification de nouvelles cibles pour le développement d'un vaccin ou d'antibiotiques spécifiques» précise-t-on auprès de l'Institut Pasteur de Paris.
On sait que Streptococcus agalactiae, streptocoque du groupe B, est une bactérie communément trouvée dans le tractus digestif ou génital des adultes, chez lesquels la colonisation est le plus souvent asymptomatique. Mais elle est aussi responsable d'infections néonatales sévères (2 à 3 cas pour 1000 naissances) ; de fait, c'est une des premières causes de septicémie, de méningite et de pneumonie chez les nouveau-nés. Elle est de plus à l'origine d'une morbidité et d'une mortalité non négligeable chez les personnes âgées et les individus souffrant de pathologies sous-jacentes (personnes immunodéprimées, diabétiques, cirrhotiques ). «Par ailleurs, le streptocoque B est également un problème vétérinaire, souligne-t-on à l'Institut Pasteur. Il est considéré en Amérique du Nord comme une des principales causes d'infections mammaires chez les bovins.»
Cinq sérotypes de ce streptocoque sont à l'origine de maladies chez l'homme. Le streptocoque B de sérotype III est particulièrement important car il est à l'origine d'un pourcentage significatif d'infections néonatales : il est notamment à lui seul responsable de 80% des méningites à streptocoques du nouveau-né. La souche dont le génome a été séquencé par les chercheurs de l'Institut Pasteur est précisément une souche de Streptococcus agalactiae de sérotype III. Elle avait été initialement isolée à partir d'un cas mortel de septicémie. Les chercheurs pasteuriens ont identifié un grand nombre de gènes potentiellement impliqués dans les interactions entre l'hôte et le pathogène et ils postulent que ces structures sont, selon toute vraisemblance, des gènes-clés pour la virulence de la bactérie.
Il apparaît de plus que ces gènes ont une distribution originale dans le génome : on les retrouve ainsi groupés dans des «îlots de pathogénicité». Cette organisation est unique chez les streptocoques (comme le montre la comparaison avec des génomes de streptocoques déjà séquencés : S. pneumoniae ou S. pyogenes), mais elle ressemble à celle observée chez des colibacilles (Escherichia coli) pathogènes. Ce phénomène suggère que l'acquisition de facteurs de virulence s'est faite par «transfert horizontal» ; ou, en d'autres termes, par passage de fragments d'ADN mobiles d'une bactérie à une autre.
«Ces constatations sont très intéressantes du point de vue de l'évolution : S. agalactiae et E. coli sont deux bactéries commensales de la flore intestinale des mammifères, où cohabitent de très nombreuses bactéries d'espèces différentes, expliquent les chercheurs. Il est probable qu'elles aient acquis graduellement dans le temps des facteurs de virulence provenant d'autres bactéries, donnant ainsi naissance à certains sérotypes pathogènes. L'émergence de certaines souches hypervirulentes du streptocoque du groupe B pourrait résulter de tels transferts horizontaux. Ce streptocoque pourrait aussi par ce biais, comme d'autres bactéries, acquérir des gènes de résistance aux antibiotiques.» Cette hypothèse devra bien évidemment être confirmée par des travaux de génomique comparative sur des souches de streptocoque B appartenant aux différents sérotypes, comme celle du sérotype V, dont le génome vient d'être séquencé aux Etats-Unis. Les auteurs soulignent enfin que cette flexibilité génétique, à l'origine de la diversité des souches isolées des cas cliniques, devrait d'ores et déjà être prise en considération pour le choix de nouveaux antigènes en vue de la mise au point d'un vaccin universel contre le streptocoque du groupe B.
1 Glaser P, Rusniok C, Chevalier F, et al. Genome sequence of Streptococcus agalactiae, a pathogen causing invasive neonatal disease. Mol Microbiol 2002, 16 sept. ; 45.