Parce que le cancer bronchique est une maladie fréquente, dont le diagnostic est souvent tardif alors que ce sont principalement les stades précoces qui peuvent guérir, la recherche de techniques de dépistages pour les sujets à risque est légitime. Quatre études randomisées ont montré que ni l'examen cytologique des expectorations ni la radiographie n'ont un impact démontré sur la mortalité par cancer bronchique. Récemment le scanner faiblement dosé s'est imposé comme une technique beaucoup plus sensible que la radiographie, capable de déceler des tumeurs de petits stades. Néanmoins, c'est aussi un examen très peu spécifique et la démonstration de son intérêt passe par la mise en uvre d'études randomisées.
Le dépistage du cancer broncho-pulmonaire a depuis cinquante ans été à l'origine de très nombreuses études et d'une littérature fournie consacrée à l'analyse de ces études. Cet intérêt a plusieurs justifications liées à de nombreux bénéfices potentiels : c'est une maladie fréquente, entre 20 et 25 000 nouveaux cas en France chaque année ; c'est une maladie grave, 15% seulement sont curables ; ce sont principalement les stades précoces qui sont susceptibles de bénéficier de longue survie, jusqu'à plus de 80% dans les stades IA de petit volume ;1 enfin c'est un cancer dont le diagnostic est souvent porté avec retard, parce que les signes cliniques eux-mêmes sont tardifs et parce qu'ils sont peu spécifiques.
Néanmoins la preuve de l'impact du dépistage sur la survie n'a jusqu'à ce jour pas été apportée conduisant beaucoup d'auteurs à mettre en avant un certain nombre d'inconvénients : allongement artificiel de la durée d'une maladie de toute façon incurable (lead-time bias), découverte de cancers peu évolutifs (lenght-time bias), voire de cancers qui n'auraient pas été à l'origine de décès si on ne les avait pas diagnostiqués (overdiagnosis bias).2 Par ailleurs, le dépistage est à l'origine de la découverte éventuelle de faux positifs induisant des examens invasifs, inutiles, et coûteux et est capable d'induire une fausse assurance par un test faussement négatif conduisant ensuite à négliger à tort les symptômes.
Les données de la littérature sont en fait complexes et ce sujet reste actuellement encore en pleine discussion non seulement parce que les études anciennes sont sans cesse soumises à de nouvelles analyses, mais aussi parce que l'avènement du scanner spiralé faiblement irradiant a redonné à ce sujet un très grand intérêt dans ces dernières années.
L'interrogatoire, compte tenu du caractère très longtemps asymptomatique du cancer bronchique et du caractère peu spécifique des symptômes, n'est d'aucune utilité. Le dosage des marqueurs tumoraux n'a non plus aucune place : compte tenu de la prévalence de la maladie, sa valeur prédictive positive serait extrêmement faible. De plus, les valeurs des marqueurs tumoraux sont assez bien corrélées au stade de la maladie de sorte que les cancers ainsi dépistés seraient des cancers étendus, peu accessibles à un traitement curateur. Quant à l'endoscopie, elle n'est pas utilisable en pratique de routine pour des raisons évidentes d'acceptabilité.
L'examen cytologique des expectorations est théoriquement susceptible de déceler des cellules cancéreuses très longtemps avant l'expression clinique du cancer.
La radiographie a été la technique la plus étudiée.
Le scanner thoracique spiralé faiblement irradiant a été utilisé depuis quelques années, d'abord au Japon, puis aux Etats-Unis.
Enfin l'identification précoce de certains marqueurs au sein des cellules de l'expectoration a été également l'objet d'études préliminaires.
Trois groupes d'études historiques sont disponibles :
I Les études historiques non comparatives (United States Veterans Administration, Philadelphia Pulmonary Neoplasm Research Project et South London Lung Cancer Study) ont été beaucoup critiquées dans leur méthodologie (notamment beaucoup de sujets ne bénéficiaient pas des examens prévus). Leurs résultats sont de plus très hétérogènes interdisant toute conclusion.
I Plusieurs études comparatives non randomisées sur le mode cas-témoin ont comparé les survies des sujets atteints d'un cancer dépisté à celles dont le cancer était symptomatique : le nombre de stades précoces, l'opérabilité et la survie à cinq ans étaient favorablement influencées par le dépistage.3
I Les études randomisées enfin sont les plus importantes : trois d'entre elles ont été conduites sous l'égide du National Cancer Institute. Ce sont le Memorial Sloan-Kettering Lung Project, le John Hopkins Lung Project et le Mayo Lung Project. Une quatrième est tchécoslovaque. Les deux premières4,5 cherchaient à définir la place de la cytologie en comparant la pratique exclusive d'une radiographie annuelle à celle d'une radiographie annuelle associée à un examen cytologique des expectorations tous les quatre mois. Le Mayo Lung Project6,7 et l'étude tchécoslovaque8 s'intéressaient à la place de la radiographie, éventuellement couplée à l'examen cytologique.
Les études du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center et du John Hopkins Hospital qui ont toutes deux réuni plus de 10 000 sujets n'ont pu apporter la preuve de l'intérêt de l'examen cytologique. En revanche, la survie de l'ensemble des patients dépistés était très nettement plus élevée que celle des patients atteints de cancer bronchique en général. Il y avait par ailleurs un nombre important de cancers de stade I et donc de cancers résécables.
Les deux autres études étaient donc exclusivement dédiées à déterminer la place du dépistage radiologique : les résultats de ces études sont rapportés au tableau 1 : l'incidence des cancers a été supérieure dans le groupe des sujets dépistés. Ceux-ci ont été significativement plus souvent opérables et leur survie était également supérieure. Néanmoins, compte tenu de l'excès de cancers bronchiques dans ce groupe, la mortalité spécifique par cancer bronchique ne différait pas de façon significative.
L'analyse de ces quatre études randomisées fait habituellement admettre que le dépistage du cancer bronchique est sans utilité puisque la mortalité spécifique par cancer du poumon n'a été influencée ni par le dépistage cytologique, ni par le dépistage radiologique. Si ceci est vraisemblable pour la cytologie, l'interprétation des données concernant le dépistage radiologique est plus délicate. Il est en effet paradoxal que le nombre de stades précoces, l'opérabilité et la survie des sujets dépistés soient meilleurs mais que ceci ne se traduise pas par une diminution significative de la mortalité par cancer bronchique. Ce paradoxe est lié à un excès de cancers bronchiques dans le groupe dépisté. C'est cet excès qui est responsable du fait que, même si la fatalité de la maladie est diminuée, la mortalité spécifiquement liée au cancer broncho-pulmonaire n'est en revanche pas réduite.
Plusieurs explications ont été avancées : rôle des différents biais évoqués plus haut, manque de puissance statistique, hétérogénéité de facteurs de risque entre les groupes.9,10
Ainsi ces données historiques ne permettent ni d'affirmer ni d'infirmer l'intérêt du dépistage radiologique du cancer bronchique. Le dépistage est capable de découvrir des cancers de stade I ou II en plus grand nombre qui sont plus souvent opérables et dont la survie est meilleure. Néanmoins ce bénéfice, probablement en partie du fait de biais évoqués plus haut, mais aussi probablement du fait d'un manque de puissance statistique et de facteurs confondants concernant le nombre de cancers dans chaque groupe, ne se traduit pas par une réduction de la mortalité spécifique. Ces données sont à garder à l'esprit pour interpréter les résultats actuels des études faisant appel au scanner.
Un dépistage par scanner thoracique à faible dose a été proposé dans quelques études japonaises récentes qui montrent la faisabilité d'un programme de dépistage comportant un scanner, examen beaucoup plus sensible que la radiographie mais peu spécifique.11-13
De nombreuses études ouvertes sont en cours dont deux aux Etats-Unis.
La première porte sur 1000 volontaires de moins de 60 ans fumeurs à plus de dix paquets-année. Les résultats de la TDM initiale ont été publiés :14 233 nodules ont été détectés, 27 étaient des cancers et 23 des cancers de stade IA. Les résultats à douze mois ont été rapportés au dernier congrès de l'American Thoracic Society : il y avait 4% de nodules et 1% de cancers de stade IA.
Un nouveau Mayo Lung Project a débuté en janvier 1999 : c'est également une étude ouverte portant sur scanner et cytologie. Les résultats des 1520 premiers participants d'âge >= 50 ans et ayant fumé plus de vingt paquets-année ont été présentés à la 9e conférence de l'IASLC en septembre 2000 : 782 (51%) patients avaient un ou plusieurs nodules et douze cancers, dont six stades IA étaient identifiés par scanner.
Le niveau de preuve issu des données dont nous disposons actuellement concernant la TDM est comparable à celui dont on disposait dans les années 60 pour la radiographie. Il est certain que mieux que la radiographie, la tomodensitométrie décèle des cancers de stades précoces dont l'opérabilité et la survie sont supérieures à celles de sujets dont le cancer a été découvert par symptômes. Néanmoins un certain nombre de réserves très proches de celles qui ont été exprimées pour la radiographie standard peuvent être formulées.15 Non seulement le coût du scanner est élevé, mais surtout il générera, encore bien plus que la radiographie, des examens multiples chez les faux positifs. Lors du premier scanner entre le quart et la moitié des sujets ont des anomalies14 qu'il faudra surveiller ou explorer le plus souvent inutilement puisque peu d'entre elles seront en relation avec un cancer. Il est certes probable que les lésions qui apparaîtront sur les scanners ultérieurs seront plus fréquemment néoplasiques, mais nous sommes incapables actuellement d'indiquer dans quelle proportion. Enfin, lorsqu'on sait qu'un cancer de 5 mm contient environ 108 cellules est-on certain que cette tumeur n'a pas déjà métastasée ? Ainsi pour que l'intérêt du dépistage scanographique soit démonté, il faudra que la preuve de la diminution de la mortalité par cancer bronchique soit apportée. Ceci seules des études randomisées portant sur plusieurs dizaines de milliers de malades pourront le faire.2 L'Europe prend une place importante dans cette démarche car plusieurs projets européens s'attachent à tenter de répondre à cette question. En France, l'étude DépiSCAN est actuellement en partie financée par un programme hospitalier de recherche clinique dans le cadre d'une étude de faisabilité dans la perspective d'une grande étude randomisée menée ultérieurement à l'échelon national ou européen.
Cette démarche paraît incontournable avant de généraliser une technique dont l'impact sur la mortalité par cancer bronchique reste à mesurer.