La recherche de vaccins contre le VIH est aujourd'hui suffisamment avancée pour que se pose la question, en apparence anodine, de l'utilisation judicieuse des premiers produits qui risquent d'apparaître dans un avenir relativement proche, ainsi que de leurs effets sur l'épidémie mondiale de sida. Le magazine NewScientist a ouvert cette boîte de Pandore dans son numéro du 27 juillet dernier. Au fil d'un article étayé de déclarations de nombreux experts, on découvre que la petite question en est une grande, qu'elle se pose déjà dans toute sa complexité aux spécialistes du domaine, qu'elle hante les services de l'OMS. Le titre de l'article, «Une décision de vie ou de mort», est à peine exagéré.La clé de ce dilemme tient à l'efficacité limitée qu'auront très probablement les premiers vaccins. La plupart des experts estiment par exemple que le produit de la firme californienne VaxGen (les résultats des tests cliniques de phase III sont attendus pour fin 2003) a peu de chance de protéger plus d'un tiers des vaccinés. Andrew McMichael, qui dirige le développement d'un autre vaccin à l'Université d'Oxford, estime qu'il serait déjà heureux si son produit présentait une efficacité de 50%.Or, un vaccin partiellement efficace est une arme à double tranchant, en raison du faux sentiment de sécurité qu'il risque de donner à ses bénéficiaires. Des campagnes de vaccinations irréfléchies pourraient conduire à une augmentation des conduites à risques susceptible d'accélérer le cours de l'épidémie mondiale. Pour cette raison, même les responsables de VaxGen estiment qu'un produit à l'efficacité inférieure à 50% ne devrait être utilisé que dans les populations à haut risque, et ceci avec un message de prévention renforcé. McMichael va beaucoup plus loin : «Il n'est pas possible d'entreprendre une vaccination sans s'interroger sur les facteurs culturels locaux et sur les niveaux d'infrastructure sociale, déclare-t-il au NewScientist. Il n'y a aucune réponse simple à la question de savoir s'il faudrait utiliser un vaccin de faible efficacité.»Les chercheurs, notamment à l'OMS, ont modélisé l'effet d'un tel traitement. Ils concluent généralement qu'un vaccin d'efficacité limitée ne devrait être administré qu'aux personnes à risques. Dans un article cité par le NewScientist, le directeur du programme de vaccination conjoint de l'OMS et d'ONUSIDA, José Esparza, estime leur nombre à 260 millions. Le responsable souligne la nécessité de «comparer soigneusement» le rapport coût-bénéfice de la vaccination et d'autres méthodes préventives, et estime que la couverture réelle ne dépassera pas le cinquième de son niveau souhaitable par manque d'infrastructures sanitaires.Enfin, pour achever de faire de cette question un dilemme cornélien, les premiers vaccins risquent d'altérer, chez les receveurs, la réponse à des produits ultérieurs plus efficaces. Autrement dit, une vaccination précipitée à large échelle pourrait entamer le potentiel de lutte des vaccins futurs. D'un autre côté, il est possible que ces mêmes produits ralentissent le cours de la maladie chez des personnes déjà infectées. Ils retarderaient ainsi l'apparition du stade aigu, le plus contagieux de la maladie. Mais prolongeraient également la vie des porteurs...