L'infection du pied diabétique constitue toujours une complication redoutable de cette affection métabolique. Elle reste une cause fréquente d'amputation. Cet article fait une brève revue de la littérature sur les mécanismes impliqués dans l'augmentation de la susceptibilité des diabétiques aux infections et de l'importance du contrôle métabolique dans la prévention de ces infections. La deuxième partie est consacrée à l'approche pratique, clinique, du diagnostic et du traitement de ces infections.
Il est bien établi que les patients diabétiques présentent un risque accru de multiples infections. De nombreuses infections surviennent avec une incidence élevée chez les patients diabétiques, tandis que d'autres existent de façon nettement prédominante dans cette population (plus de 50%) (tableau 1). La présentation de ces infections peut être insidieuse avec des manifestations cliniques atypiques, retardant parfois le diagnostic. Ces retards diagnostiques peuvent être à l'origine de complications graves. Enfin, une fois le diagnostic d'infection confirmé, leur prise en charge nécessite la plupart du temps une approche pluridisciplinaire.
La recherche de facteurs prédisposant les diabétiques aux infections a fait l'objet de nombreux travaux portant sur le rôle des distorsions métaboliques et sur les altérations des mécanismes de défenses immunitaires chez ces patients. Aucun mécanisme susceptible d'être la cible pour des interventions médicamenteuses à but préventif ou thérapeutique n'a, pour l'instant, été élucidé. La prévention et la détection précoce des infections restent donc la meilleure manière d'éviter les complications graves.
Toutes ces infections n'apparaissent pas avec la même fréquence et la même gravité. Elles ne pourront pas être discutées ici en détail. Cet article, après une brève analyse des altérations des défenses immunes observées chez les diabétiques et l'influence de l'hyperglycémie sur les infections, se limitera aux aspects pratiques de la prise en charge des infections du pied diabétique. Ceux qui souhaitent approfondir le sujet peuvent consulter la référence 1.
La prédisposition des diabétiques aux infections semble être due à des facteurs multiples.
Des dysfonctions ont été démontrées pour les leucocytes polymorphonucléaires (PML), les monocytes et les lymphocytes des patients diabétiques.
Les anomalies cellulaires portent sur le chemotaxis, la phagocytose, l'adhérence, la lyse intracellulaire des microorganismes et le stress oxydatif. L'étude in vitro de la fonction de l'immunité cellulaire révèle un état d'activation chronique accompagné d'une altération des mécanismes de réponses à des stimulations diverses dont les agents infectieux. Cela est vrai autant pour les leucocytes (chemotaxis, phagocytose, lyse intracellulaire, etc.) que pour les lymphocytes (productions de cytokines).2,3 Les mécanismes de ces dysfonctions ne sont pas élucidés. Cependant, la durée et l'importance de l'hyperglycémie jouent un rôle important.4
La fonction de l'immunité humorale chez les patients diabétiques semble être adéquate. Les patients démontrent, entre autres, une réponse normale aux vaccinations et des taux d'immunoglobulines comparables à ceux d'une population contrôle. Par contre, la réaction à certains stimuli (phytohémagglutinine) ou à des microorganismes souvent impliqués dans l'infection du diabétique (S. aureus) est altérée.5
Un bon contrôle glycémique constitue certainement un moyen de diminuer le risque d'infection. Au laboratoire, il a pu être démontré une relation inverse entre le taux d'hémoglobine glycosylée et l'activité bactéricide des polynucléaires neutrophiles de patients diabétiques.4 Ces altérations fonctionnelles sont réversibles avec un contrôle optimal de la glycémie. Du point de vue clinique, plusieurs études bien conduites corroborent ces observations. Il y a vingt ans déjà, Rayfield et coll. ont démontré que les patients, chez qui une glycémie supérieure à 12 mmol/l était constatée en dehors de tout épisode infectieux, avaient, sur une année, deux fois plus de risque de développer une infection.6 De même, lors de nutrition parentérale totale (NPT), les patients diabétiques qui sont fréquemment en hyperglycémie font cinq fois plus d'infections de cathéter (17% vs 2,8 à 3,5%)7,8 et deux fois plus d'infections postopératoires (14,1% vs 6,4%) que la population normale.9 Pour les infections postopératoires, le risque est augmenté (2,7 fois) chez les patients diabétiques avec une glycémie supérieure à 12 mmol/l, durant les premiers jours après l'intervention.10 Ces complications peuvent être diminuées de façon significative par une amélioration du contrôle métabolique péri-opératoire. Il a été constaté, en effet, qu'après chirurgie cardiaque le risque d'ostéite sternale était quatre fois plus élevé chez les diabétiques et que la glycémie moyenne des deux premiers jours postopératoires constituait un facteur prédictif indépendant de cette complication. Les mêmes auteurs ont pu diminuer de façon significative ce risque par la mise en route d'un protocole de perfusion d'insuline permettant le maintien de glycémies en dessous de 11 mmol/l.11
L'ensemble de ces données biologiques et cliniques démontre clairement qu'un contrôle métabolique rigoureux fait partie des mesures de prévention des infections chez les patients diabétiques.
Dans cet article, nous avons décidé de n'aborder que l'infection du pied diabétique et de son extension locorégionale. C'est certainement la pathologie infectieuse liée au diabète la plus fréquemment rencontrée en pratique quotidienne. Sa prise en charge soulève de multiples questions : quelles investigations effectuer ? quand hospitaliser ou référer les patients à un spécialiste ? à quel spécialiste référer ? etc.
Selon les recommandations de l'Association américaine du diabète, un contrôle podologique devrait avoir lieu à chaque visite d'un patient diabétique (cf. prévention ci-dessous). C'est cet examen qui permet, entre autres, de détecter de façon précoce une éventuelle infection, même en l'absence de toute plainte. En cas d'infection, il permet de définir la gravité de l'infection, ainsi que l'approche diagnostique et thérapeutique. Plusieurs classifications ont été décrites pour apprécier la gravité de ces infections.12,13,14 Leur utilisation dans la pratique est souvent difficile en raison du nombre de paramètres pris en considération et surtout du fait que les marqueurs cliniques et biologiques de la gravité de l'infection sont souvent atténués ou absents dans ces conditions. Une étude effectuée en 1994 a démontré que chez des patients diabétiques avec une infection grave, seuls 36% avaient un état fébrile (température supérieure à 37,8 °C) durant le premier jour d'hospitalisation et que la leucocytose (leucocytes supérieurs à 10 G/l)15 ne se retrouvait que dans 53% des cas.
Nous présentons ici (tableau 2 ) une approche pragmatique basée, en tout cas initialement, essentiellement sur l'examen clinique.
Les infections de gravité moyenne, caractérisées par une ulcération superficielle, un écoulement purulent, une dermohypodermite minime (inférieure à 2 cm), sans aucun signe d'ostéomyélite, ni de toxicité systémique, peuvent être prises en charge ambulatoirement avec une antibiothérapie orale, un traitement local mais surtout un suivi clinique rapproché. Au moindre doute concernant l'extension en profondeur de cette infection, l'indication à un débridement chirurgical doit être évaluée. Nous pensons qu'une telle évaluation doit être faite par un médecin rompu à la prise en charge de ce type de pathologie.
Les infections modérées à graves, potentiellement menaçantes pour le membre, se manifestent par une atteinte profonde des tissus, un écoulement purulent, souvent une dermohypodermite étendue, des signes de toxicité systémique, une nécrose locale. Ce type d'infections nécessite une hospitalisation pour une antibiothérapie par voie intraveineuse et un drainage et/ou un débridement doivent systématiquement être discutés. S'ils ne sont pas effectués immédiatement, l'indication doit être reconsidérée de jour en jour.
Parfois, les patients présentent d'emblée des signes d'infections graves avec dermo-hypodermite étendue ou fasciite, même choc septique. Ils sont souvent bactériémiques. Ces infections ont un pronostic vital défavorable. Elles nécessitent un traitement chirurgical en urgence, comprenant le drainage, le débridement et éventuellement l'amputation, en plus, bien sûr, d'une antibiothérapie adaptée.
L'évaluation initiale de la gravité de l'infection est relativement simple du point de vue clinique. Par contre, l'atteinte osseuse peut être difficile à confirmer, y compris par les moyens radiologiques modernes. Du point de vue clinique, la taille de l'ulcération (plus de 2 cm2) et la profondeur de l'infection sont souvent associées à une atteinte osseuse.16 De plus, un contact direct de l'os à travers le site infecté, par exemple avec une sonde boutonnée (probe-to-bone), a une sensitivité, une spécificité et une valeur prédictive positive d'ostéomyélite de 66, 85 et 89% respectivement.17 Les radiographies standards et la scintigraphie osseuse ne sont que de peu d'utilité dans ce contexte. Les méthodes plus récentes, comme la résonance magnétique nucléaire (sensitivité 99% et spécificité 83%) et la scintigraphie aux leucocytes marqués (sensitivité 89% et spécificité 78%), constituent une aide importante au diagnostic de cette complication.18 La confirmation d'une atteinte osseuse constitue un paramètre important dans la détermination de la durée de l'antibiothérapie par voie intraveineuse, ainsi que de l'approche chirurgicale.
Enfin, une évaluation de la vascularisation est souvent requise soit pour améliorer les chances de succès du traitement médicochirurgical, soit pour aider à déterminer le niveau d'amputation (fig. 1).
Avant l'instauration d'une antibiothérapie, il convient d'effectuer les prélèvements microbiologiques adéquats (frottis, si possible profonds avec cultures aérobies et anaérobies, éventuellement hémocultures).
Plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour le choix du traitement antibiotique. Ils figurent au tableau 3. Certains ont déjà été abordés plus haut et d'autres ne seront pas traités ici. Un rappel de la microbiologie des infections du pied diabétique est cependant utile pour orienter le choix du traitement initial qui sera adapté ultérieurement selon les résultats des cultures.
Les prélèvements superficiels montrent le plus souvent une flore polymicrobienne15 et il peut être difficile de déterminer le microorganisme réellement responsable de l'infection. La concordance avec des prélèvements plus profonds (aspiration profonde, biopsies de tissus ou d'os) est inférieure à 30%.19 Les résultats des frottis de plaie ou de l'écoulement purulent permettent cependant de choisir une antibiothérapie adaptée. En effet, la même étude a montré que plus de 90% des pathogènes isolés en profondeur étaient couverts par l'antibiotique choisi selon les résultats des prélèvements plus superficiels. Pour les infections superficielles ne nécessitant pas un traitement par voie intraveineuse, on retrouve une nette prédominance des bactéries Gram positif. L'amoxicilline + acide clavulanique et les céphalosporines de première génération font partie des antibiotiques utilisables en première intention.20 En cas de contre-indication à cette famille d'antibiotiques, la clindamycine constitue une bonne alternative en attendant le résultat des cultures. En général, une durée de traitement de sept à quatorze jours est suffisante. Si l'évolution n'est pas rapidement favorable, des investigations supplémentaires sont indispensables pour rechercher des complications comme une atteinte osseuse, la présence d'un corps étranger ou une insuffisance artérielle.
Pour les infections plus graves, une prise en charge d'emblée pluridisciplinaire requiert le plus souvent une hospitalisation, non seulement pour une antibiothérapie par voie intraveineuse mais surtout pour un débridement local et la recherche active de l'ostéomyélite qui complique 50 à 60% de ces infections. Le traitement médical seul, de longue durée (plus de quatre semaines), ne permet d'obtenir une guérison que dans 50 à 85% des cas avec ostéomyélite. Lorsque l'atteinte osseuse est limitée à la phalange ou à la tête métatarsienne, une amputation limitée semble d'ailleurs être l'approche la plus efficace, puisqu'elle permet de maintenir une surface d'appui, de limiter la durée du traitement antibiotique et d'obtenir un taux de guérison plus efficace.21 Une étude rétrospective plus ancienne22 a montré que les patients qui bénéficiaient d'un débridement ou d'une amputation limitée durant les premiers jours d'admission, avaient un taux d'amputation à mi-jambe inférieur (13% versus 28) et une durée d'hospitalisation plus courte (9,6 jours versus 18,8). Une approche d'emblée agressive du point de vue chirurgical doit, selon le contexte clinique, parfois être discutée.
Ces infections plus graves sont également souvent d'origine polymicrobienne. Une antibiothérapie empirique, couvrant le Staphylococcus aureus, des entérobactéries et les anaérobes, est donc indiquée dans cette situation. Il est à noter que même pour des infections graves (pouvant mettre en danger le membre atteint), l'antibiothérapie à large spectre, couvrant également le Pseudomonas, ne s'est pas montrée plus efficace, par exemple qu'une aminopénicilline + inhibiteur de la b-lactamase.15
Dans cette étude, l'association Ampicilline®/sulbactam s'est révélée aussi efficace que imipénem/cilastatine. La clindamycine en association avec une fluoroquinolone représente une alternative efficace.
Dans les infections d'emblée graves, potentiellement vitales avec importante nécrose ou gangrène, associées à une toxicité systémique avec ou sans choc septique, une antibiothérapie maximale doit bien sûr faire partie des mesures thérapeutiques immédiates, en association avec le soutien hémodynamique et surtout une prise en charge chirurgicale adéquate.
Dans toutes les situations, le choix de l'antibiothérapie devra tenir compte des facteurs figurant au tableau 4. Cependant, nous insistons sur deux éléments : d'une part, les traitements antibiotiques antérieurs qui auraient pu sélectionner des microorganismes particuliers résistants (par exemple entérocoques, Pseudomonas, etc.) nécessitant une antibiothérapie spécifique et d'autre part, l'adaptation des doses à la fonction rénale souvent altérée dans ce contexte. Pour ce dernier point, il faut se souvenir que la dose de charge doit être complète et que le dosage doit être revu à la hausse avec l'amélioration de la fonction rénale.
Bien que cet article soit limité à la prise en charge de l'infection avérée du pied diabétique, il nous paraît indispensable de rappeler le rôle important de la prévention. Grâce à une attention particulière apportée aux soins des pieds, par les patients eux-mêmes ou par le corps médical, le taux d'amputation a pu être considérablement réduit durant ces vingt dernières années. Il n'en demeure pas moins que d'énormes progrès peuvent encore être accomplis dans ce domaine. Une enquête américaine a montré, il y a quelques années, que seuls 50% des praticiens effectuaient l'examen bi-annuel des pieds, conformément aux recommandations de l'Association américaine du diabète. D'autres paramètres, comme le contrôle tensionnel, les examens ophtalmologiques ou les bilans sanguins, étaient pratiqués de façon beaucoup plus régulière.23 Une autre étude, plus récente, ayant analysé les dossiers de patients diabétiques, a démontré que seulement 6% de ces dossiers contenaient la mention d'un examen clinique des pieds durant l'année précédente.24
Les infections du pied diabétique restent une complication fréquente et grave. Elles constituent la cause principale des amputations dans cette population de patients.
La prise en charge nécessite une collaboration pluridisciplinaire pour établir un diagnostic clinique et microbiologique, évaluer l'étendue de l'infection, ainsi que pour définir l'approche thérapeutique la plus efficace.