La maladie de Lyme a été décrite dans les années 1977-78 comme une maladie à tique avec une atteinte multisystémique. Cinq ans plus tard la découverte du spirochète responsable de la maladie permet de comprendre cette maladie complexe et de mettre au point les outils de diagnostic. Nous faisons état des connaissances actuelles sur la physiopathologie, la microbiologie, les différents stades de la maladie. Des conseils pratiques pour une approche diagnostique vous sont proposés, ainsi que les traitements recommandés à chaque stade de la borréliose de Lyme.
La borréliose de Lyme ou maladie de Lyme tient son nom de la première description de l'entité de cette maladie complexe dans le district de Lyme (Connecticut, sur la côte est des Etats-Unis). La découverte a été rendue possible par la survenue d'une épidémie d'arthrite chez des enfants et à l'investigation de cette épidémie par des médecins de l'université de Yale. En 1977, le Dr Allan Steere1 a mis en évidence l'association de la piqûre de tique, de l'érythème migrant, de l'arthrite (de Lyme), ainsi que d'autres symptômes, formant ce que l'on appela la maladie de Lyme. Malgré d'intenses recherches microbiologiques sur les tiques, les chercheurs de l'université de Yale ne découvrirent pas l'agent pathogène. Finalement, en 1982, le Dr Willy Burgdorfer (biologiste suisse, de Bâle) établi dans le Montana et travaillant aux laboratoires des Montagnes Rocheuses, découvrait la bactérie responsable.2 En tant que spécialiste des rickettsies, une autre bactérie transmise par les tiques, il avait reçu des Ixodes scapularis (I. dammini) de l'Etat de New York pour y rechercher des rickettsies. En l'absence de rickettsies dans ces tiques, le Dr Burgdorfer poussa ses investigations et découvrit des bactéries spiralées (spirochètes) dans l'intestin d'un très grand nombre de ces tiques. L'association de ces spirochètes avec la maladie de Lyme fût rapidement établie par le Dr Burgdorfer. Il se souvenait en particulier d'un article de Lennhoff3 qui avait mis en évidence des spirochètes dans une biopsie de peau provenant d'un patient présentant un érythème chronique migrant.
Avant même que la bactérie puisse être cultivée, des intestins de tiques infectées furent utilisés comme source d'antigène. Le sérum des patients atteints d'arthrite de Lyme démontrait de très fortes réactions sérologiques avec les spirochètes, confirmant l'association probable de ces bactéries avec la maladie. Peu de temps après le Dr Barbour réussissait à cultiver la bactérie dans un milieu modifié de Stoenner-Kelly.4 De plus, nous confirmions la présence d'un spirochète semblable chez des Ixodes ricinus reçus de Suisse.5 Par la suite, le spirochète fut appelé Borrelia burgdorferi en l'honneur de celui qui l'avait découvert, le Dr Burgdorfer.
Les tiques de l'espèce Ixodes ricinus ont besoin d'une humidité relativement élevée pour survivre. Elles se rencontrent en abondance dans les forêts humides avec un sous-bois dense des régions tempérées de l'hémisphère nord. L'importance des populations d'I. ricinus diminue avec l'altitude. On les rencontre jusqu'à 1200 m, exceptionnellement 1500 m. I. ricinus est une tique dite exophile, c'est-à-dire qu'elle passe l'essentiel de son existence à l'affût sur la végétation, en attente d'un hôte de passage. Elle s'accroche à tout ce qui bouge, puis, cherche un endroit où piquer.
Les pièces buccales sont bien adaptées pour percer la peau et s'y ancrer fortement à la manière d'un harpon. Il faut savoir que la piqûre est totalement indolore pour l'homme.
Cette tique a besoin d'un repas de sang à chaque stade (larve, nymphe, adulte) pour accomplir son cycle de développement. Le repas de sang va durer de trois à cinq jours pour les larves, de cinq à sept jours pour les nymphes et de sept à dix jours pour les femelles. Le mâle se fixe parfois, mais ne prend qu'un frugal repas. Il féconde une ou plusieurs femelles et meurt. A chaque stade, le repas de sang accompli, la tique se laisse tomber au sol pour muer et la femelle, pour pondre plusieurs milliers d'ufs. Le cycle complet s'effectue en deux à trois ans.
La transmission de B. burgdorferi sl est assurée, pour l'essentiel, par les tiques du complexe I. ricinus. Les borrélies se trouvent généralement seulement dans l'intestin des tiques. Comment la transmission a-t-elle lieu ? Deux hypothèses ont été émises : l'une serait le phénomène de régurgitation qui pourrait se dérouler au cours du repas sanguin et l'autre serait la migration des borrélies de l'intestin vers les glandes salivaires dès le début du repas sanguin. Ces deux hypothèses, au départ antagonistes, pourraient se révéler toutes les deux exactes.
La fréquence très faible d'infection généralisée dans les tiques et une transmission modérée des borrélies de la femelle à ses ufs entraînent une faible proportion de larves infectées dans la nature, généralement de 1 à 2%. Avec leur premier repas de sang sur les campagnols et les mulots, les larves s'infectent de borrélies. Arrivées au stade de nymphes, 10 à plus de 50% des tiques sont porteuses de borrélies, un taux presque comparable à celui des tiques adultes. Les nymphes sont donc les principales responsables de la transmission de B. burgdorferi sl à l'homme, étant 10 à 50 fois plus nombreuses que les tiques adultes. En Suisse, B. burgdorferi sl est observée partout où I. ricinus est présent.6 Par des travaux en laboratoire, on sait que les tiques ne transmettent pas immédiatement les borrélies qu'elles portent.7 Si une tique infectée reste attachée moins de 24 heures sur l'hôte, la transmission est rare, alors qu'après 72 heures la transmission est assurée à 100%. C'est la raison pour laquelle il est fortement recommandé de retirer la tique le plus vite possible et de désinfecter l'endroit de la piqûre. Heureusement pour nous, transmission ne veut pas dire maladie. Dans la grande majorité des cas, notre système immunitaire se débarrasse efficacement des borrélies. Dans 4-5% des cas une séroconversion apparaîtra dans les mois qui suivent et chez 0,8% des personnes piquées par une tique, un érythème migrant va se développer. Ce sont les constatations tirées de notre étude sur les piqûres de tiques en Suisse romande (en préparation).
Borrelia burgdorferi est présente dans toute les régions tempérées où se trouve I. ricinus. La borréliose de Lyme est la maladie à tiques la plus répandue dans le monde. En Europe, six espèces de borrélies ont été décrites : Borrelia burgdorferi, B. garinii, B. afzelii, B. valaisiana, B. lusitaniae8,9,10,11 et B. bissettii (L. Gern, communication personnelle). Actuellement, seules trois de ces espèces ont été cultivées de patients atteints de borréliose de Lyme : B. burgdorferi sensu stricto (ss), B. garinii et B. afzelii.
Lors d'infections chroniques, la réaction sérologique (IgG) du patient est dirigée contre de nombreuses protéines de Borrelia et tend à devenir plus spécifique à l'espèce et probablement à la souche qui l'infecte. En Europe, une association entre les différentes espèces de B. burgdorferi sl et certains symptômes de la borréliose de Lyme a été décrite sur la base de la typisation génétique des souches de borrélies isolées de l'homme et de réactions sérologiques. Ainsi, B. burgdorferi ss est préférentiellement retrouvée dans l'arthrite de Lyme, B. afzelii dans l'acrodermatite chronique atrophiante et B. garinii dans la neuroborréliose.12,13 Ces associations ne sont toutefois pas absolues, ainsi qu'en témoignent les isolements de borrélies de liquides céphalorachidiens avec 58% de B. garinii, 28% de B. afzelii et 11% de B. burgdorferi ss.14 Par sérologie avec des immunoblots, nous avons obtenu des résultats très comparables.15,16
Les manifestations cliniques de la borréliose de Lyme peuvent être divisées en trois stades (tableau 1).
Un stade précoce localisé, caractérisé par l'érythème migrant (EM), cette atteinte dermatologique, lorsqu'elle est typique, est diagnostique de l'infection (fig. 1). Elle apparaît à l'endroit de la piqûre de la tique, le plus souvent dans les parties humides et chaudes du corps. Habituellement, ces lésions sont asymptomatiques ou légèrement prurigineuses. Dans une minorité de cas, cette infection précoce peut être associée à des symptômes généraux, tels que fatigue, malaise, myalgies, arthralgies et céphalées. En Europe, l'érythème migrant multiple semble beaucoup plus rare qu'aux Etat-Unis. Cette entité n'est pas due à des piqûres de tique multiples mais bien à la dissémination hématogène du spirochète.
Ce stade de l'infection est le seul qui puisse être diagnostiqué de façon purement clinique, sans nécessité d'une confirmation par le laboratoire. Il apparaît dans les jours ou les semaines (3 à 5) après la piqûre de tique.
Le deuxième stade que l'on peut appeler stade précoce disséminé se manifeste par une maladie disséminée survenant dans les jours ou l'année qui suivent une piqûre de tique. Les manifestations sont décrites dans le tableau 1. Les organes les plus fréquemment atteints sont le cur, le système nerveux, l'appareil musculosquelettique et la peau.
Enfin, l'infection tardive ou chronique survient des mois ou des années après l'exposition aux borrélies. Elle prend des formes de maladies chroniques articulaires et neurologiques surtout. La symptomatologie, peu spécifique, ouvre un diagnostic différentiel très large. Seuls les examens sérologiques ou autres, effectués sur le sérum, le LCR ou le liquide synovial peuvent confirmer ce diagnostic.
L'acrodermatite chronique atrophiante (fig. 2) est la manifestation cutanée de ce stade de la borréliose. On peut observer, sur les parties distales des membres, une peau atrophiée, de coloration bleu-rougeâtre évoluant très lentement. De nouveau, il s'agit de lésions dermatologiques non spécifiques et, pour confirmer la suspicion clinique, des examens microbiologiques supplémentaires sont indispensables.
Le diagnostic de la borréliose de Lyme est au stade précoce basé sur la présence de l'EM, cette lésion caractéristique de l'infection à B. burgdorferi sl. L'anamnèse de piqûre de tiques n'est rapportée que chez un tiers des patients. Toutefois, un certain nombre de lésions atypiques et toutes les autres manifestations cliniques de la borréliose de Lyme exigent des examens complémentaires.
La mise en évidence par examen direct et la culture de la bactérie ne sont pas recommandées, en raison de leur sensibilité très basse, due au très faible nombre de borrélies présentes dans le sang, d'autres liquides biologiques ou les biopsies de diverses provenances. D'autre part, la culture nécessite plusieurs semaines et requiert des conditions particulières pour éviter toute contamination.
Les tests sérologiques pour la détection d'anticorps «spécifiques» dans le sérum, les liquides céphalo-rachidien et articulaire sont actuellement largement répandus. La spécificité et la sensibilité des tests dépendent des méthodes utilisées, de l'espèce de borrélies, de la préparation de l'antigène et de sa présentation. Parmi les méthodes couramment utilisées citons l'ELISA, l'immunofluorescence, la fixation du complément, l'hémagglutination, l'immunoblot ou Western blot. Les tests ELISA, grâce aux techniques d'antigènes recombinants, sont beaucoup plus spécifiques, mais manquent de sensibilité. Il est donc recommandé d'utiliser un ou des tests (IgG-IgM) de bonne sensibilité, habituellement un ELISA ou techniques apparentées, pour le dépistage et de confirmer tous les tests positifs ou équivoques par immunoblots. Actuellement l'immunoblot sert de test de confirmation, il permet d'éliminer bon nombre de réactions non spécifiques. Sa sensibilité élevée en fait un test très utile pour la phase précoce de la maladie et dans la neuroborréliose pour l'étude des LCR. Toutefois, les immunoblots recombinants ont une sensibilité nettement inférieure.
Les méthodes d'amplification génique (Polymerase Chain Reaction, PCR) ont un rôle de plus en plus important à jouer dans le diagnostic des maladies infectieuses et de la borréliose de Lyme en particulier.17 L'évaluation extensive de toute PCR pour Borrelia est cruciale, en raison de la variabilité importante d'une certaine partie du génome et la diversité des espèces de borrélies en Europe, en particulier. Les principales difficultés sont liées au nombre très faible d'organismes présents dans les échantillons cliniques. Actuellement, nous pouvons recommander cet examen pour les liquides articulaires et les biopsies cutanées, où la sensibilité est de l'ordre de 70-80% des cas de borréliose de Lyme. Dans les LCR, la sensibilité est actuellement trop basse pour justifier une utilisation comme outil de diagnostic de routine. Dans les infections neurologiques précoces, on peut observer une sensibilité de l'ordre de 25-30%, (38% dans certaines publications, mais avec les résultats cumulés de quatre systèmes PCR).18 Lors d'infections chroniques, la sensibilité est de l'ordre de 10% seulement.
Les antibiotiques les plus souvent recommandés pour le traitement de la borréliose de Lyme sont l'amoxicilline, la doxycycline et la ceftriaxone. Leur choix et la durée du traitement sont définis par les manifestations cliniques et le stade de la maladie.19
Le stade précoce, localisé (érythème migrant typique ou atypique), nécessite un traitement antibiotique par voie orale. L'amoxicilline (3 x 750 mg/j) et la doxycycline (2 x 100 mg/j) sont équivalents.20 Pour la durée, il n'existe pas d'études comparatives et les recommandations mentionnent trois à quatre semaines. Une étude récente, portant sur des érythèmes migrants microbiologiquement prouvés, a démontré que quatorze jours de traitement permettaient d'obtenir des résultats comparables.21 D'autres antibiotiques, comme les céphalosporines orales (céfuroxime) ou les macrolides (azithromycine) sont parfois proposés pour l'érythème migrant. A notre connaissance, une seule étude a comparé l'amoxicilline (vingt jours) à l'azithromycine (sept jours) avec une meilleure efficacité du macrolide.22
Le traitement de la borréliose précoce disséminée varie selon les manifestations cliniques. L'érythème migrant multiple, reflet d'une dissémination hématogène des spirochètes peut être traité oralement par la doxycycline (2 x 100 mg/j, pendant 21 jours). Ce traitement s'est avéré aussi efficace que la ceftriaxone (2 g/j i.v. ou i.m., pendant 14 jours).23
La paralysie faciale isolée, c'est-à-dire en l'absence d'autres déficits neurologiques et sans anomalies du LCR, peut également être traitée par la doxycycline (2 x 100 mg/j, pendant trois à quatre semaines). Dans ces circonstances, en plus d'un examen neurologique détaillé, nous recommandons une analyse du LCR à la recherche d'arguments en faveur d'une méningite ou méningoencéphalite (pléiocytose, hyperprotéinorachie, synthèse intrathécale d'anticorps spécifiques). Si cet examen s'avère tout à fait normal, nous préconisons un traitement oral de doxycycline. Dans le cas contraire, notre choix se porte sur la ceftriaxone par voie intraveineuse.
En effet, pour la neuroborréliose (méningite ou autres), la ceftriaxone reste le traitement de choix.19 Cependant, une étude suédoise a démontré que la doxycycline orale (1 x 200 mg/j) pendant quatorze jours s'était révélée aussi efficace, en tout cas, que la pénicilline à hautes doses par voie intraveineuse.24 Pour l'instant, il s'agit d'une étude isolée et, à notre avis, insuffisante pour une généralisation du traitement oral dans ces situations.
L'atteinte cardiaque, en particulier les troubles de la conduction, sont des manifestations beaucoup plus rares de la borréliose. Notre expérience est très limitée dans ce domaine. Nous pensons néanmoins que la mise en évidence de troubles de la conduction ou de dysfonctions myocardiques, dans le cadre d'une borréliose confirmée, nécessite une surveillance en milieu spécialisé, ainsi qu'une antibiothérapie par voie intraveineuse. Toutefois, aucune étude contrôlée n'est disponible pour justifier une telle attitude. L'utilisation des stéroïdes dans cette situation est controversée. Certains auteurs la recommandent pour les cas ne répondant pas à une antibiothérapie appropriée.25
Pour les stades tardifs chroniques de la borréliose, seule l'acrodermatite chronique atrophiante peut se traiter oralement (amoxicilline ou doxycycline, deux à quatre semaines). Pour les atteintes articulaires ou neurologiques, la ceftriaxone par voie intraveineuse, pour une durée de deux à trois semaines, reste le traitement le plus souvent recommandé.26 Il s'agit là plutôt d'un consensus de leader d'opinion que de médecine basée sur les preuves, aucune étude comparative n'étant disponible à ce jour.
Un vaccin est actuellement disponible aux Etats-Unis après une phase d'essai clinique sur une population de 10 000 personnes d'une zone endémique de la côte est.27 Ce vaccin basé sur l'OspA (Outer surface protein A) de B. burgdorferi sensu stricto, a démontré une bonne efficacité, mais nécessitera sans doute un rappel annuel. En Europe, des expériences ont montré l'inefficacité de ce vaccin sans réaction croisée entre les différentes OspA des souches européennes de Borrelia. Un vaccin est actuellement en développement avec un cocktail des OspA des trois principales espèces (B. burgdorferi ss, B. afzelii et B. garinii).