Et toujours, lancinant, ce sentiment de bombe à retardement. Au rayon des Research letters, The Lancet du 28 septembre 2002 publie un article signé Vincenzo La Bella, Federico Piccolli (Institut de neuropsychiatrie, Université de Palerme), John Collinge (Hôpital national pour la neurologie et la neurochirurgie, Londres) et Maurizio Pocchiari (laboratoire de virologie, Institut supérieur de la santé, Rome). Ces cinq spécialistes confirment avoir identifié le premier cas humain de la maladie de la vache folle en Italie. Cette femme sicilienne est aujourd'hui âgée de 25 ans et on lui administre un traitement compassionnel à base de quinacrine. Elle n'avait aucun antécédent médical, chirurgical ou psychiatrique avant de présenter les premiers symptômes de sa pathologie neurodégénérative. Sa nourriture était équilibrée et, soulignent les auteurs, «elle n'avait pas mangé de cervelle depuis 20 ans». Cette femme n'avait jamais voyagé en Grande-Bretagne ou dans un pays connu pour avoir des cheptels bovins contaminés par l'agent de la maladie de la vache folle.En novembre 2001, après six mois de fatigue et de douleurs du dos et des jambes, elle fut hospitalisée. Son entourage familial et ses proches avaient observé des modifications de sa personnalité et de son comportement. Consulté, un neurologue avait évoqué un diagnostic de sclérose en plaques. Ataxie cérébelleuse, dystonie et chorée, examen du liquide céphalorachidien, homozygotie pour la méthionine au codon 129 du gène de la protéine prion, résonance magnétique nucléaire, analyse en Western blot sur une biopsie d'amygdales : le diagnostic de variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne fait plus l'ombre d'un doute. Logiques, les auteurs de la publication appellent à un renforcement des contrôles sanitaires dans ce pays et rappellent qu'en Italie 66 cas de maladie de la vache folle ont été identifiés (dont deux chez des bovins d'origine britannique) depuis moins de deux ans.Comment comprendre ? Avant la mise en route du programme de dépistage, l'Italie était officiellement indemne d'ESB. On s'indignait, de l'autre côté des Alpes, que certains experts européens puissent douter de la bonne foi italienne. La vache folle ? Une pathologie britannique et irlandaise à l'évidence, suisse, française et portugaise aussi ; rien d'autre. Il y avait, à Paris et à Bruxelles, ceux qui doutaient ouvertement et accusaient Rome de masquer la réalité. Rien de plus facile, du Piémont jusqu'à la Sicile, que de faire disparaître un bovin mal en point. L'étranger n'y verrait que du feu et la botte demeurerait indemne. Puis vint Prionics et, enfin, la volonté de la Commission européenne de connaître la vérité.A l'heure où nous écrivons ces lignes, la photographie des cas cumulés d'ESB en Europe permet de dire que 74 cas ont été recensés en Italie (dont 72 en 2001 et 2002), 220 en Allemagne (dont 207 depuis 2001), 176 en Espagne (dont 174 depuis 2001), 43 aux Pays-Bas (dont 35 depuis 2001) et 90 en Belgique (71 depuis 2001). Ajoutons à cela les poids lourds que sont le Royaume-Uni (182 767 cas dont 1904 depuis 2001), l'Irlande (1054 dont 482 depuis 2001), le Portugal (688, 159), la France (707, 465), et la Suisse (421, 56). On ajoutera la Pologne (2 cas diagnostiqués cette année), la Slovaquie (6 cas), la Grèce (1 cas), le Danemark (1 cas), l'Ile de Man (438 cas), Jersey (152 cas) et Guernesey (696 cas).Au-delà des chiffres, une évidence : l'agent de l'ESB était bel et bien présent de manière endémique dans l'ensemble des cheptels bovins des pays du Vieux Continent. Et une deuxième évidence est que si on n'en a pas vu officiellement les conséquences, c'est bien que l'on n'a pas voulu les voir. Aveuglement frauduleux ou pas, la conséquence est que la population européenne a été beaucoup plus exposée au risque de contamination alimentaire qu'on ne l'imaginait jusqu'à présent. De ce point de vue, la découverte du premier cas italien de la forme humaine de la maladie bovine est tristement éclairante. Nul ne sait quelle forme prendra le phénomène. Demeurera-t-il circonscrit et limité ? Combien de temps devrons-nous apprendre à vivre avec ce fléau aux contours imprévisibles ?Et ce mot, pêché dans la lettre d'information de l'Office de la viande de Grande-Bretagne qui indique avoir «disséqué» le comportement du consommateur de viande outre-Manche : «Notre analyse fait apparaître qu'il faut 10 secondes seulement pour acheter des saucisses contre 20 secondes pour un steak ou des côtelettes. Un client sur trois utilise une liste d'achats et deux sur trois iront voir ailleurs si le prix de leur rôti favori ne leur convient pas d'emblée. La filière viande britannique, à l'écoute du consommateur, produit du buf (véritable animal castré ou génisse de moins de trente mois) qui permet de garantir la régularité de deux caractéristiques organoleptiques essentielles : tendreté et saveur.»