Cas pratiqueDans une situation de conflit armé, un médecin, à qui il est demandé de prodiguer des soins à une personne ayant pris part à un combat, peut-il refuser de donner assistance à cette personne, et s'il soigne cette personne, peut-il être contraint de la dénoncer, voire être poursuivi pour lui avoir donné ces soins ?1. DiscussionLa protection des blessés et des malades, ainsi que du personnel médical et sanitaire qui les soigne, est à l'origine du droit international humanitaire contemporain. Depuis la première Convention de Genève de 1864, initiée par Henry Dunant à la suite de son engagement sur le champ de bataille de Solférino en 1859, le droit international humanitaire stipule que les blessés et les malades doivent être soignés et protégés et que le personnel médical et sanitaire militaire et civil doit être respecté et protégé. Même en cas de conflit armé interne, «nul ne sera puni pour avoir exercé une activité de caractère médical conforme à la déontologie, quels qu'aient été les circonstances ou les bénéficiaires de cette activité» (Article 16 du Protocole I ; Article 10 du Protocole II de 1977).2. DéfinitionLe droit international humanitaire peut être défini comme l'ensemble des règles et principes limitant la violence en cas de conflits armés afin de préserver la vie et la dignité des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités ou qui ont été mises hors de combat : blessés, malades, naufragés, prisonniers de guerre, civils, ainsi que les objets nécessaires à leur survie et le personnel et le matériel médical et sanitaire ou appartenant à des organisations humanitaires impartiales.Ses principaux instruments en sont les traités internationaux suivants :I Les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 sur la protection des victimes de la guerre, qui, toutes, contiennent des règles protégeant blessés, malades et personnel médical et religieux en temps de conflit armé. Les trois premières Conventions protègent les militaires («membres des forces armées») : la première Convention protège les blessés et malades ; la deuxième Convention protège les naufragés ; la troisième Convention protège les prisonniers de guerre ; la quatrième Convention protège les personnes civiles en temps de guerre (notamment en cas d'occupation et d'internement) ; les Conventions de 1949 sont ratifiées par pratiquement tous les Etats. I Leurs deux Protocoles additionnels du 8 juin 1977 : le premier réaffirme et développe la protection des victimes de conflits armés internationaux (Protocole I) ; le second complète les règles protégeant les victimes de conflits armés non internationaux (Protocole II). Ces deux protocoles étendent la protection du personnel médical civil ; ils sont ratifiés très largement et sont une des bases juridiques des Tribunaux pénaux internationaux sur l'ex-Yougoslavie et sur le Rwanda et de la Cour pénale internationale en voie d'établissement, dont le Statut, adopté à Rome en 1998, réaffirme la définition des violations graves du droit humanitaire et en étend l'application aux conflits armés non internationaux.3. ContenuRelevons l'importance des articles suivants :I L'Article 3 commun aux quatre Conventions de 1949, applicable formellement en cas de conflit interne, et reconnu comme applicable comme un minimum d'humanité à respecter en toute situation de conflit par la Cour internationale de Justice dans l'Arrêt Nicaragua en 1986.I L'Article 12 («Protection, traitement et soins») de la première Convention de 1949, disposition fondamentale, résumant l'essentiel de cette Convention ; l'Article 12 («Protection, traitement et soins») de la deuxième Convention en fait de même, mutatis mutandis, pour la guerre sur mer ; de même l'Article 13 («Traitement humain des prisonniers») pour la troisième Convention et l'Article 27 («Traitement Généralités») de la quatrième Convention pour les personnes civiles.I Les dispositions particulières sur la protection des blessés et des malades, militaires et civils, tout comme sur la protection du personnel médical et sanitaire, militaire et civil. De telles dispositions se retrouvent dans chacune des quatre Conventions de 1949 comme dans leurs deux Protocoles additionnels de 1977.I Les dispositions finales de chaque Convention qui définissent les «infractions graves», considérées aujourd'hui depuis 1977 comme des crimes de guerre, dont plusieurs pourraient concerner des médecins : «l'homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé».4. ImplicationsLa complexité et le caractère souvent contesté de la qualification juridique des conflits (internationaux ou non, conflits armés ou simples émeutes), des territoires (occupés ou non) ou des personnes (par exemple pour l'octroi ou non du statut de prisonnier de guerre) ne doit pas occulter la simplicité des principes qui imposent le respect de la mission médicale même en temps de conflit armé, que ces conflits prennent la forme de guerres conventionnelles entre Etats ou d'hostilités impliquant des groupes armés non étatiques.Le Protocole I donne dans son Article 8 une définition du personnel sanitaire comme de «personnes exclusivement affectées par une Partie au conflit soit aux fins sanitaires énumérées à l'article e [recherche, évacuation, transport, diagnostic ou traitement] y compris les premiers secours des blessés, des malades et des naufragés, ainsi que la prévention des maladies, soit à l'administration d'unités sanitaires, soit encore au fonctionnement ou à l'administration de moyens de transport sanitaire. Ces affectations peuvent être permanentes ou temporaires. Le personnel sanitaire étranger bénéficiera d'une protection analogue.La protection du personnel médical et sanitaire en droit humanitaire inclut l'exercice libre de l'activité médicale du médecin civil en temps de conflit armé : le rôle historique de la population civile en faveur des blessés à Solférino en 1859 est consacré dans l'Article 18 de la première Convention de 1949 comme aussi dans les deux Protocoles additionnels de 1977. L'alinéa 3 de l'Article 18 énonce que «Nul ne devra jamais être inquiété ou condamné pour le fait d'avoir donné des soins à des blessés ou à des malades». Les Articles 16 et 17 du Protocole I et l'Article 10 du Protocole II contiennent la même disposition, respectivement applicable dans les conflits armés internationaux et non internationaux.Cette protection est attribuée par le droit humanitaire au médecin non en tant qu'homme mais en tant que «guérisseur». Ses droits lui sont attribués en tant qu'ils rendent possibles sa mission.A noter aussi que l'emblème de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui protège le personnel, les installations et transports sanitaires, n'est pas constitutif de la protection. Une personne blessée ou prodiguant des soins sans utiliser cet emblème ne perd pas la protection générale qui lui est due en vertu du droit humanitaire.L'emblème de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ne doit pas faire l'objet d'usage abusif, commercial ou personnel, même en temps de paix.Son usage en est limité.5. ConclusionLe droit international humanitaire consacre la nécessité de respecter la déontologie médicale dans les situations de conflits armés, internationaux ou internes.Le droit international humanitaire protège le médecin dans l'exercice de ses fonctions médicales :I qu'il appartienne à un service de santé des armées («médecin militaire») ;I qu'il soit engagé au service d'une organisation humanitaire impartiale comme le CICR ;I ou qu'il soit un médecin civil. WNotes de lecture rapideLe droit international humanitaire confère au médecin à la fois des droits et des devoirs :I Devoir de prodiguer des soins à tous selon les nécessités, sans discrimination aucune.I Devoir de discrétion, qui comprend le secret médical et la non-délation.I Devoir de ne pas pratiquer des actes non conformes à l'éthique médicale et qui nuisent à la santé physique ou mentale.I Droit de ne pas être puni pour avoir exercé une activité de caractère médical conforme à la déontologie, quels qu'aient été les circonstances ou les bénéficiaires de cette activité.I Droit de ne pas être contraint d'accomplir des actes contraires à la déontologie médicale.Les articles de la rubrique «Consultation médico-légale» sont placés sous la responsabilité de leur(s) auteur(s). La coordination est assurée par l'Unité de droit médical et éthique clinique de l'Institut universitaire de médecine légale, Genève, auprès de laquelle les médecins ou autres lecteurs peuvent obtenir des informations complémentaires, s'ils le souhaitent, en s'adressant à : Dr D. Bertrand, lic. jur., Dr M. Ummel lic. jur. et Pr T. W. Harding.Bibliographie : Baccino-Astrada A. Manuel des droits et devoirs du personnel sanitaire lors des conflits armés. Genève, CICR et Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 1982 ; 77 p. Bouchet-Saulnier F. Dictionnaire pratique du droit humanitaire. Paris : La Découverte, 1998 ; 420 p. Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949. Genève, 1986 ; 1647 p. Commission médicale de la section française d'Amnesty international et Valérie Marange. Médecins tortionnaires, médecins résistants. Les professions de santé face aux violations des droits de l'homme. Préface de Paul Ricur. Paris : La Découverte, 1990 ; 179 p. Fossoul X. Le droit humanitaire et le secret médical en temps de guerre. Revue internationale des services de la santé 1985 ; 515-20. Green L. War Law and the Medical Profession. Canadian Yearbook of International Law, 1979 ; 159-205. Guillermand J. Contribution des médecins des armées à la genèse du droit humanitaire. Revue internationale de la Croix-Rouge 1987 ; 776 : 318-43. Gunn MJ, McCourbey H. Medical ethics and the laws of armed conflict. Journal of armed conflict law 1998 ; 3 : 133-61. Jeanty B. La protection du personnel sanitaire dans les conflits armés internationaux. Neuchâtel, Université de Neuchâtel, Faculté de droit et des sciences économiques, Thèse de licence, mai 1990. Perrin P. Guerre et santé publique. Manuel pour l'aide aux prises de décision. Genève : Comité international de la Croix-Rouge, 1995 ; 460 p. Pictet J. 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