Résumé
Si nous regardons attentivement du côté des études de médecine et du nombre de professionnels formés, trois critiques reviennent sans cesse : il n'y a pas de vision assez prospective, les changements se déroulent trop lentement et les effets de ceux-ci sont ressentis dix, voire quinze ans plus tard...En conséquence, pendant quelques instants essayons de faire mieux et projetons-nous sans tarder en l'an 2015 : l'image du médecin dans la société, surtout chez les jeunes, a pris un sacré coup de vieux depuis vingt ou trente ans et l'attrait pour cette profession est toujours en baisse en cette année 2015.Tentons d'y voir plus clair par une petite analyse. Est-ce la désapprobation engendrée par la mauvaise réputation de certains médecins jugés trop chers, emballant les coûts de notre système de santé, avec une augmentation de 7% par an, donc plus de 100% depuis 2002, ou alors les conditions infernales de travail au sein des hôpitaux, ou bien ces fameux contrats offerts par les assurances maladie aux praticiens dorénavant tous conventionnés, ou encore l'ajustement de l'âge de la retraite des médecins hospitaliers à 70 ans ? Dans tous les cas le résultat est là, nous vivons une situation pour le moins paradoxale : le nombre de candidats aux études est en baisse alors que la demande de la population pour des prestations médicales toujours plus «urgentes», plus performantes, plus étendues et toujours à la pointe du progrès ne cesse de croître.Maigre consolation : dans les autres pays européens, la situation n'est guère meilleure ! En fait, depuis une décennie au moins, tous ces pays ont aboli le numerus clausus à l'entrée des études, en suivant l'Angleterre, la Hollande et la France qui ont donné l'exemple en 2002 déjà en augmentant massivement les capacités d'accueil des écoles de médecine.En Suisse, après la fermeture de deux facultés, faute de candidats aux études de médecine et face aux déficits cantonaux persistants, les trois facultés de médecine survivantes n'ont eu qu'une seule alternative dans une situation économiquement difficile, elles se sont soudées en une seule et unique Ecole de médecine fédérale (EMF). Alors, une des premières actions concrètes de cette nouvelle école a été de lancer une campagne de recrutement pour pallier la baisse constante d'étudiants, campagne qui s'est d'emblée élargie d'est en ouest, des bords de l'Atlantique aux plaines de l'Oural, et du nord au sud, de l'Islande au désert du Sahara.Jusqu'à présent, en cette année 2015, la demande des collégiens suisses pour une formation médicale n'a pas suivi l'offre, même si les pays riches comme le nôtre offrent des salaires de plus en plus élevés aux médecins hospitaliers, attirant de ce fait des cliniciens provenant des régions défavorisées du monde, avec comme conséquence une pénurie dramatique de médecins sur le continent africain, dans les pays de l'est européen et de la Russie profonde. De la même manière, la relève académique indigène a succombé aux sirènes du travail clinique, plus harassant mais deux fois mieux rémunéré.Bien entendu, la déduction est facile, dans les EMF tous les cours sont donnés en anglais et des tutoriaux spécifiques préparent aux entretiens avec les patients non anglophones. De toutes les façons, la majorité des enseignants et chercheurs viennent des quatre coins du monde et préfèrent cette langue à toutes les autres ! De leur côté, les malades qui acceptent de participer à l'enseignement sont récompensés par une exemption du paiement de leurs primes d'assurance maladie ou par des bons à échanger contre des examens de type scanner, en général très appréciés.Mais revenons à nos moutons en octobre 2002 : scénario catastrophe me direz-vous ? Pas tant que cela en fait. La médecine cherche son rôle dans notre système de santé en réforme permanente et elle se trouve de plus en plus dans une position défensive, de même qu'il est tout à fait raisonnable de dire que l'attrait de la profession de médecin est sérieusement en baisse. Déjà maintenant, le manque de médecins hospitaliers est douloureux, surtout en chirurgie, en psychiatrie, en gériatrie, dans les institutions petites ou grandes.Cette constatation reste cruellement réaliste, même si les jeunes médecins trouvent de meilleures conditions de travail dans nos hôpitaux orientés vers des horaires à la baisse mais aussi un encadrement amélioré (par exemple sur les 120 nouveaux postes de médecins créés aux Hôpitaux universitaires de Genève entre 1997 et 2002, 90 correspondent à des cadres).Alors, ne nous méprenons pas, le futur pourrait se présenter un peu mieux si tous les protagonistes, impliqués de près ou de loin, faisaient sans tarder le nécessaire pour motiver les prochaines générations à embrasser ce métier passionnant.Réveil brutal ou réveil tardif : qu'allons-nous choisir ?
Contact auteur(s)
Pr Peter M. Suter
Médecin-chef
Division des soins intensifs chirurgicaux
Hôpital cantonal universitaire de Genève