Résumé
Parmi les lettres de candidature que nous recevons régulièrement, il en est une qui a retenu plus particulièrement notre attention. Il s'agit d'une demande pour un poste d'ORL pédiatrique. Après une formation de spécialiste ORL de six ans, le candidat termine en ce moment sa seconde année de sous-spécialisation en ORL pédiatrique, dans un grand centre des Etats-Unis. Ce jeune médecin, plein d'ambition, se dit capable de réaliser une large série d'opérations plus ou moins délicates chez l'enfant, dont : broncho-sophagoscopie, chirurgie endoscopique au laser, reconstruction des voies aériennes, chirurgie endoscopique rhino-sinusienne, chirurgie cervico-faciale, chirurgie otologique, implants cochléaires et plus (sic).Cette candidature soulève d'emblée certaines questions : Que cherche ce candidat ? Pratiquer ce qu'il a appris ? Se consacrer à une carrière universitaire de recherche et de développement dans le cadre d'une nouvelle sous-spécialité ? S'agit-il d'une vraie sous-spécialité ?Rappelons que l'ORL est une spécialité médico-chirurgicale qui existe depuis la deuxième moitié du XIXe siècle et qui, dès cette époque, s'est toujours composée de plusieurs sous-spécialités étroitement associées. On distingue classiquement l'otologie, la rhinologie, la laryngologie et la chirurgie cervico-faciale.Les infections nez-gorge-oreilles courantes de l'enfant et de l'adolescent sont bien sûr prises en charge sur le plan médical par les pédiatres, mais sur le plan chirurgical par les ORL dont elles représentent environ 35% de l'activité.1L'évolution de la médecine moderne fait que l'expertise médico-technique et chirurgicale, pour le traitement des affections pédiatriques, est aujourd'hui devenue beaucoup plus complexe qu'autrefois. Les adéno-tonsillectomies se pratiquent de moins en moins, les mastoïdectomies sont devenues rares, mais les opérations d'oreilles qui vont du simple drainage tympanique à l'implant cochléaire, ainsi que les plasties laryngo-trachéales ou l'exérèse de kystes cervicaux, sont aujourd'hui des opérations couramment pratiquées chez l'enfant.L'ORL pédiatrique, en tant que sous-spécialité, s'est surtout développée aux Etats-Unis au cours des vingt dernières années, probablement au départ pour des raisons pratiques de distance entre hôpitaux généraux et pédiatriques. Il existe actuellement aux Etats-Unis une trentaine de centres disposant d'un programme de formation de deux ans, sanctionné par un «diplôme de formation approfondie» reconnu par l'American Board of Otolaryngology. Chaque année, on recense vingt-cinq nouveaux spécialistes. En 1997, il y avait environ 360 ORL pédiatriques pour 9000 ORL.1Plus de la moitié des sous-spécialistes en ORL pédiatrique ne sont actifs qu'en milieu universitaire. Leur participation à des équipes pluridisciplinaires en charge des troubles respiratoires, de la déglutition, ainsi que de la réhabilitation des surdités, représente l'essentiel de leurs activités. Les besoins estimés par les promoteurs de cette sous-spécialité seraient d'environ un ORL pédiatrique pour500 000 habitants.1Pour certains, il ne fait pas de doute que l'ORL pédiatrique a désormais sa place dans tout hôpital universitaire et répond aux nouveaux besoins spécifiques en soins, formation et recherche.2Il ne semble cependant pas possible de concevoir une unité d'ORL pédiatrique au rabais, avec un seul spécialiste. Pour qu'un centre d'expertise en ORL pédiatrique soit réellement performant et universitaire, il devrait absolument pouvoir disposer d'une équipe de sous-spécialistes aussi complète que celle qui concerne l'adulte, avec tous les moyens médico-techniques adéquats, un personnel technique tout aussi expérimenté et des moyens de recherche appropriés.A Genève, avec un recrutement de 500 000 habitants, la clinique d'ORL dispose d'unités fonctionnelles avec un staff de six médecins cadres à plein temps, compétents dans l'ensemble de la sphère ORL, chacun étant de plus sous-spécialisé dans un domaine d'expertise différent. Autour d'eux, s'articulent des équipes médico-techniques bien rôdées. Ces spécialistes sont ainsi capables de couvrir l'essentiel des problèmes de notre discipline, aussi bien chez l'enfant que chezl'adulte, à la fois sur le plan clinique et académique.Comme nous l'avons vu plus haut, la moyenne d'âge des patients ORL est en général très jeune ; elle se situe autour de 40 ans, avec 35% de problèmes pédiatriques. Il faudrait, pour être réellement efficace, dédoubler le service universitaire d'ORL en adultes et enfants, de manière similaire à ce que l'on observe dans plusieurs CHU français, où il existe deux cliniques d'ORL, l'une d'otologie et l'autre de chirurgie cervico-faciale, mais chacune pour adultes et enfants. Mais pour une population de 500 000 habitants, vaut-il vraiment la peine de créer deux mini-services d'ORL, avec des activités presque identiques ? Si la distance le permet, une intégration accrue de tous les spécialistes et sous-spécialistes d'une clinique universitaire d'ORL, sous forme de consultants en pédiatrie, est par contre à promouvoir.Il faut également considérer les besoins en formation. Devons-nous former des praticiens d'ORL pédiatrique qui devraient ensuite pratiquer en ville ? La demande n'a jamais été formulée par les sociétés de pédiatrie. De façon assez naturelle, certains praticiens ORL préfèrent une activité tournée vers l'enfant et s'y consacrent plus spécifiquement. Pour ceux-là, une compétence particulière en pédiatrie pourrait être utile sous forme d'un stage d'un à deux ans dans un service de pédiatrie générale.En conclusion, l'ORL pédiatrique est une nouvelle sous-spécialité qui semble prendre pied dans certains pays et grands centres universitaires, mais elle ne semble pas répondre à un besoin essentiel en dehors de ces grands centres.
Contact auteur(s)
Willy Lehmann
Médecin-chef du
Service d'oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale
Hôpitaux universitaires
de Genève