Un concours d'idées a été organisé dans le cadre du programme de Planification sanitaire qualitative, avec pour objectif de réunir des suggestions pour des mesures qui pourraient être prises en vue de l'amélioration de la qualité de vie des patients traités pour une tumeur ORL. Ce concours était ouvert aux patients et à leurs proches ainsi qu'aux professionnels concernés. Le présent article dresse un tableau des propositions reçues et mentionne également les problèmes qui les sous-tendent.
Mis sur pied dans le cadre du programme cantonal de Planification sanitaire qualitative, le groupe de travail présidé par le Pr W. Lehmann et coordonné par le Registre genevois des tumeurs a pour tâche de passer en revue l'ensemble des problèmes qui se posent en relation avec les cancers de la sphère ORL, mis à part ceux qui sont d'ordre thérapeutique au sens strict du terme. L'étude de la qualité de vie des patients a été jugée prioritaire.
Rappelons que la durée de survie a été longtemps le seul critère de succès thérapeutique en matière de pathologies cancéreuses. La sévérité de certains traitements et les traumatismes qu'ils entraînent ont progressivement conduit à prendre en compte la qualité de vie des patients. Pour des raisons évidentes, cette évolution a été particulièrement marquée en ce qui concerne les cancers ORL. A Genève, le problème est depuis longtemps une des préoccupations majeures du service hospitalier compétent.1,2
Mais la mesure de la qualité de vie et sa définition même soulèvent toute une série de difficultés conceptuelles et méthodologiques. Quels sont les aspects de la qualité de vie à prendre en considération, comment les hiérarchiser, les agréger, les pondérer en vue d'une mesure de synthèse ?3 L'EORTC a proposé une méthode standardisée aux fins de comparaisons internationales, aujourd'hui largement reconnue4 et qui est d'ailleurs utilisée actuellement à Genève.5 Il reste que chaque individu apprécie la situation à sa manière : l'un considérant un handicap ou une situation donnée comme insupportable, un autre comme normale. Les mesures statistiques «objectives» construites par les spécialistes connaissent vite leurs limites. D'où l'idée, qui fait son chemin, que dans ce domaine, l'objectivité doit faire place à la subjectivité : c'est l'individu qui doit se raconter si l'on veut savoir d'où vient sa souffrance. En France, la Ligue nationale contre le cancer réunit périodiquement des patients pour qu'ils s'expriment sur leur parcours de malade et les événements qui l'ont jalonné. Des ouvrages et des films vidéo consacrés à ces «Etats généraux» sont disponibles. Ces actions sont une des façons de concrétiser les «droits des patients».
L'interview face à face du patient, qui permet à celui-ci de s'exprimer librement, paraît le meilleur moyen de savoir où se situent ses souffrances ; encore faut-il que l'entretien soit conduit par une personne sachant le faire parler et le psychologue est ici le bienvenu. Pour aider les patients à se remémorer leurs problèmes plutôt que de les laisser se focaliser sur un seul d'entre eux, ces interviews sont alors conduites selon un schéma distinguant non seulement les étapes de la maladie et des traitements mais les différents ordres de préoccupations matérielles et psychologiques de l'intéressé. Des entretiens de ce genre, dits semi-structurés, sont actuellement conduits à Genève, dans le cadre du projet soutenu par le programme de Planification sanitaire qualitative.
Donner aux patients l'occasion de suggérer des mesures à prendre pour réduire leur mal-être lié objectivement ou subjectivement à la prise en charge de leur affection a paru une manière complémentaire de les faire parler. D'ailleurs, la distinction entre la nature de leurs souffrances et les mesures qui auraient dû être prises pour les atténuer n'est pas toujours claire. Par exemple, le patient peut accepter son diagnostic mais souffrir de la manière dont celui-ci lui a été communiqué. Il peut accepter son traitement mais être réfractaire au «jargon» médical. On peut donc défendre l'idée que demander au patient ce qu'il aurait proposé pour réduire ses souffrances revient à l'inciter à décrire celles-ci.
C'est avec cet objectif que le concours d'idées rapporté dans le présent article a été lancé. Soutenu par la Ligue genevoise contre le cancer, l'annonce du concours a été largement diffusée au sein de l'Hôpital et des Centres d'action sociale. Il était ouvert à tous, patients et proches, professionnels concernés de toute spécialité. Toute liberté était donnée aux participants quant aux sujets qu'ils pouvaient aborder et à la nature des mesures qu'ils pouvaient proposer pour améliorer la qualité de vie des patients durant la prise en charge, au sens large du terme. Il n'était pas précisé s'il convenait de proposer une ou plusieurs mesures. Un jury était chargé d'opérer un classement des propositions dûment anonymisées ; ce jury comprenait deux médecins (Drs S. Auberson et N. Mach), trois infirmiers (M. F. Hof, Mme M. Mellinger et M. J. Thomasset), trois infirmières de santé publique (Mmes M. Antille, E. Reymond-Marguerat et Cl. Pargoux-Vallade), une logopédiste (Mme F. Estève), une psychologue (Mme M. Sartori), ainsi que trois patients (ou ex-patients).
Le nombre de participants s'est élevé à dix-neuf, dont huit patients (ou ex-patients), trois «proches» et huit professionnels de santé.
Compte tenu des remarques qui précèdent, il paraît utile de présenter les réponses des participants non seulement en termes de propositions, mais de faire également une place aux problèmes sous-jacents sommairement regroupés. Les tableaux 1 et 2 fournissent une vision globale des résultats du concours selon ces deux points de vue, en indiquant la fréquence avec laquelle les points sont évoqués.
S'agissant de cancers ORL dont le traitement induit souvent des troubles de la déglutition importants, on ne sera pas surpris de noter que les difficultés à s'alimenter soient l'un des problèmes les plus fréquemment évoqués. Il paraît également normal que le problème de la douleur soit l'un des plus souvent mentionnés. On peut en revanche s'étonner du fait que le langage médical soit aussi fréquemment considéré comme ambigu, si on y ajoute la plainte d'un rejet des demandes d'explication par le médecin.
Les propositions émises apparaissent nettement plus diversifiées, ce qui résulte bien évidemment du caractère même du concours, puisque celui-ci était prioritairement destiné à recueillir des idées sur la prise de mesures spécifiques. Un regroupement trop synthétique de celles-ci irait d'ailleurs à l'encontre du but poursuivi. On soulignera néanmoins la fréquence avec laquelle un soutien psychologique est réclamé. Les mesures destinées à améliorer l'information et les contacts entre soignés et soignants font également l'objet de plusieurs propositions.
Les paragraphes qui suivent décrivent, en détail, les mesures concrètement proposées en vue de l'amélioration de la qualité de vie du patient, voire de l'ex-patient.
La plupart des propositions sont en faveur d'une assistance psychologique du patient et éventuellement de ses proches, à assurer par un psychologue professionnel, cela durant toute ou une partie de la prise en charge. Dans certains cas, ces propositions laissent clairement entendre que de nouveaux postes sont à créer. Il est également suggéré d'organiser au sein de l'hôpital des groupes de discussion réunissant des patients soumis aux mêmes traitements, et des professionnels impliqués. De façon plus générale, il est souhaité de faire une place plus importante aux problèmes psychologiques rencontrés par le patient, notamment en veillant à n'engager que des collaborateurs possédant de grandes qualités d'écoute, de patience et d'empathie. Est également développée l'idée de constituer des groupes de patients en fin de traitement avec pour objectif de leur faire mieux comprendre les mécanismes de la maladie et les informer sur les types de traitement et les recherches en cours s'y rapportant. Ces groupes auraient aussi pour objectif d'apprendre au patient à vivre avec sa maladie. Rappelons que des groupes de ce type existent déjà pour d'autres pathologies cancéreuses, organisés dans le cadre et avec l'appui de la Ligue genevoise contre le cancer.
On peut regrouper sous cette étiquette une série de suggestions originales portant sur le développement ou l'encouragement à la pratique d'activités «dérivatives» telles par exemple que l'art-thérapie, la tenue d'un journal, la rédaction de textes exorcisant la maladie, etc. (tableau 2).
La nécessité d'une meilleure information du patient et/ou de ses proches est évoquée par plusieurs participants mais n'est que rarement l'objet de propositions précises. L'idée d'organiser des tables rondes réunissant des patients et plusieurs médecins dans le cadre hospitalier et durant lesquelles le patient pourrait avoir des réponses à ses questions, est cependant avancée. Une telle mesure est à mettre en parallèle avec la formule du groupe de soutien évoquée dans le cadre des mesures d'ordre psychologique. Précisons encore que de manière générale, les divers commentaires accompagnant des propositions de ce type laissent clairement entendre que cela serait tout d'abord au médecin de résoudre le problème, en particulier en veillant à ce que les différents soignants impliqués diffusent au patient la même information.
Les problèmes alimentaires des patients opérés et/ou ayant subi un traitement radiothérapique font l'objet de plusieurs propositions qui se concentrent sur l'objectif qu'il faut à tout prix limiter la perte de poids du patient. Il est notamment estimé que des recherches devraient être conduites en vue de mettre au point une alimentation plus énergétique, tout en étant plus aisée à absorber. La prise de médicaments réduisant les douleurs provoquées par la déglutition devrait être systématiquement envisagée. L'idée d'assurer une réserve pondérale au patient avant tout traitement est également avancée. Par ailleurs, plusieurs thérapies relevant de la médecine parallèle sont suggérées (réflexologie, respiration, exercices physiques, soins vibratoires, etc.).
L'idée sous-jacente aux diverses propositions visant cet objectif est qu'il faut cesser de considérer le patient comme un objet et qu'il faut personnaliser les contacts avec lui. Soignés et soignants devraient se connaître, se reconnaître. Le personnel soignant (médecins et infirmiers) devrait disposer de plus de temps pour entourer le patient, par exemple en étant présent lors de son réveil postopératoire. La consultation pluridisciplinaire du jeudi, au cours de laquelle le diagnostic est précisé et commenté simultanément au patient (éventuellement à un accompagnant) et aux membres de l'équipe médicale chargée de sa prise en charge ultérieure, devrait être sinon supprimée au moins réorganisée, de manière à réduire le nombre de personnes présentes.
Le confort et l'esthétique des locaux devraient être revus. L'aspect des salles d'attente et des chambres devrait être amélioré par une décoration adéquate et il est également souhaité qu'un lit pour accompagnant puisse être placé dans la chambre du patient, lors de situations difficiles.
Il est jugé nécessaire de resserrer les contacts avec le médecin traitant au moment où lui est adressé le patient à la fin du traitement et notamment de convenir avec précision avec celui-ci des modalités du suivi.
Les problèmes qui se posent lorsque le patient est absent de son domicile ou lorsqu'il y est de retour ont fait également l'objet de suggestions concrètes en ce qui concerne la tenue du ménage, la prise en charge des animaux domestiques, les distractions à prévoir (films, musique, lecture, etc.). De façon plus générale, une aide accrue des services médico-sociaux concernés est souhaitée. La question du transport du domicile à l'hôpital et vice versa pour les traitements complémentaires ou pour les visites de contrôle en particulier devrait être mieux réglée.
Certains estiment que les patients ayant subi une radiothérapie de la cavité buccale et souffrant de xérostomie devraient être plus systématiquement incités à utiliser le spray ad hoc. Les cas porteurs d'une sonde gastrique désirant se rendre à la plage devraient être équipés de pansements ou de maillots adéquats.
Rappelons que les diverses suggestions recueillies dans le cadre de ce concours d'idées n'émanent que pour une part de malades ou anciens malades et on peut dire qu'elles sont l'expression d'un désir vécu. Pour une part, elles sont le reflet d'opinions de soignants qui ne vivent pas l'expérience mais la côtoient quotidiennement. Quoi qu'il en soit, le but du concours n'était pas d'obtenir un échantillon statistiquement représentatif ni des uns ni des autres mais de réunir des idées de nature à conduire à une amélioration de la qualité de vie des patients ou ex-patients. Il est évident que les propositions reçues devront faire l'objet d'une réflexion approfondie concernant leur opportunité, leur faisabilité, voire leur coût-efficacité. Sans doute sera-t-il jugé souhaitable de les faire examiner par un groupe pluridisciplinaire concernant des ex-patients et les professionnels impliqués. Mais ce concours d'idées aura vraisemblablement permis à certains d'émettre des avis qu'ils n'auraient pas pu ou pas osé émettre dans le cadre de leur condition de patients ou soignants.
Le lecteur sera peut-être surpris que ce compte rendu ne mentionne pas le nom des auteurs des deux suggestions primées ni ne précise le contenu de celles-ci. On consultera pour cela un numéro récent de Pulsations. Cette omission volontaire est liée au désir de donner au présent rapport le caractère d'un panorama et non d'un palmarès.