A l'heure où, à Paris, Fabrice Lucchini marche dans les pas de Jouvet en reprenant avec un vrai bonheur le Knock de Jules Romains, c'est un fort intéressant sondage que publie, dans son numéro daté du 14 octobre, La Revue du Praticien-Médecine Générale et qui s'intéresse à l'image que les Français peuvent aujourd'hui avoir de leurs médecins généralistes. L'initiative est d'autant plus intéressante que le corps des généralistes français traverse une grave et durable crise identitaire comme l'ont montré les événements de ces derniers mois et qui ont conduit, au terme d'un long et quelque peu pénible conflit à une «revalorisation» du tarif de leur consultation désormais honorée à hauteur de 20 euros.Le sondage Ipsos/La Revue du Praticien-Médecine Générale a été mené auprès d'un échantillon de 1021 personnes interrogées par téléphone les 20 et 21 septembre. «La population interrogée manifeste très majoritairement son attachement à son médecin généraliste. Elle témoigne ainsi que la notion de "médecin de famille" correspond toujours à une certaine réalité, observe notre excellent confrère. Seuls 5% des interviewés affirment ne jamais aller voir de médecin généraliste, tandis que 74% déclarent "aller voir toujours le même", 16% indiquant qu'ils vont régulièrement voir le même. Au total, plus de 90% des personnes interrogées fréquentent régulièrement le cabinet du même médecin généraliste et seuls 4% déclarent changer le plus souvent de praticiens.» C'est essentiellement parmi les hommes (6%), les hauts niveaux d'instruction (8%) et en région Ile-de-France (8%), que l'on enregistre les scores les plus élevés de «nomadisme médical».Soigner bien sûr, mais aussi écouter et éduquer. Une très large majorité de la population interrogée s'accorde ainsi à dire que le fait d'interroger ses patients sur leur consommation de tabac ou d'alcool fait pleinement partie du rôle du généraliste. Cette définition du rôle du généraliste concernant ces deux dépendances potentielles recoupe toutes les catégories sociales et professionnelles. La perception du rôle qui est celui du médecin généraliste est quelque peu différente dès lors que l'on s'intéresse à certains examens. «Concernant certains actes spécifiques que les médecins généralistes peuvent être amenés à proposer à leur patient, comme le toucher rectal, le frottis vaginal, l'électrocardiogramme, le dépistage du cancer du sein, la vaccination des nouveau-nés et des enfants, ou encore l'aide au sevrage tabagique ou alcoolique, une hiérarchie se dessine très nettement» explique le Dr Jean Deleuze, rédacteur en chef de l'hebdomadaire français de formation médicale continue.Certains gestes ou actions comme l'aide au sevrage tabagique ou alcoolique, ou la vaccination des nouveau-nés et des enfants relèvent majoritairement (à 50% et 61%), aux yeux des personnes interrogées, du rôle du médecin généraliste. C'est moins vrai pour le toucher rectal (53% estiment qu'il relève avant tout de la compétence d'un spécialiste) ou du dépistage du cancer du sein (52%), l'électrocardiogamme (64%) et le frottis vaginal (81%). A la question de savoir s'ils seraient d'accord pour que leur généraliste consacre une consultation «au seul but de mieux faire comprendre [leur] maladie et les moyens de lutter contre», les personnes répondent très majoritairement qu'elles y sont favorables (à 93%, dont 73% de très favorables).On observe enfin que de façon légèrement majoritaire (à 56%), les personnes interrogées déclarent être déjà allées consulter directement un médecin spécialiste sans passer par un généraliste, contre 44% qui disent ne l'avoir jamais fait. Cette pratique demeure cependant ponctuelle (24% déclarent l'avoir fait «parfois», 18% «rarement»). Les niveaux d'études les plus élevés, et, logiquement, les personnes ayant un haut niveau de salaire sont également plus nombreuses à avoir un accès direct aux médecins exerçant une spécialité médicale.Que conclure d'une telle perception ? Tout d'abord que l'on observe un réel et très net décalage entre la manière dont les médecins généralistes français sont perçus par l'opinion et la manière dont ils se perçoivent ou se croient perçus, exerçant une activité dévalorisée, anciens notables en perte continuelle de respectabilité, en deuil d'un âge d'or mythique. Il reste dès lors à saisir les raisons profondes du malaise qu'en majorité ils vivent et qui ne trouve évidemment pas ses racines dans de seules considérations financières. «Ce malaise n'est en rien un phénomène nouveau. Il est apparu il y a une vingtaine d'années. Ce sentiment s'exprime par un certain nombre de revendications qui ne portent pas toujours sur des questions de revenus. Il y a, chez les médecins généralistes, sur le fond, une interrogation sur leur rôle dans la société française, nous expliquait il y a quelques mois Martine Bungener, directrice du centre de recherche Médecine, sciences, santé et société (institution travaillant avec l'Inserm, le CNRS et l'Ecole des hautes études en sciences sociales). Les travaux que nous avons pu mener témoignent notamment de la constance d'une absence ou d'une insuffisance de reconnaissance tant de la part de leurs confrères non généralistes que du grand public.»Le grand public continuant dans sa grande majorité à les plébisciter, les généralistes ne réclament peut-être, au fond, qu'un peu plus de confraternité de la part de ceux qui ont choisi de ne prendre en charge qu'une fraction de ceux qui se confient à eux.