Résumé
Article d'un récent JAMA sur le «mid-career burnout».1 Plein de considérations intéressantes. D'abord rappel de ceci : entre les enquêtes des années 80 et celles des années 90, l'insatisfaction des médecins a augmenté. Leur moral se dégrade et ça devient grave. Pourquoi ? En résumé : contraintes de la profession interférant avec la vie privée. Difficultés de faire face à la complexité croissante de la pratique. Pression économique, crainte d'éventuelles plaintes des patients, peur de l'erreur. Parmi les stratégies proposées pour prévenir le burnout : contrôler son environnement et sa charge de travail, mettre des limites. Surtout, maintenir «un sens à sa pratique». Mais d'où vient le sens ? Voilà le hic....Le sens, c'est la santé dans la profession. C'est-à-dire non pas un «état de bien-être», selon la pauvre définition de l'OMS, mais une possibilité d'exister, de s'imposer à l'environnement. La définition de Canguilhem de la santé a beaucoup à dire à une profession en recherche de sens : «La santé est une façon d'aborder l'existence en se sentant non seulement possesseur ou porteur mais aussi au besoin créateur de valeur, instaurateur de normes vitales»....Passionnant article du New England, sur le Primary care de luxe.2 Est-ce une bonne innovation du marché ou une menace pour le système de soins ? Voilà de quoi il en retourne, en résumé : dans de nombreux Etats américains, des médecins de premier recours ont décidé de restructurer leur pratique pour mieux s'occuper d'un petit nombre de personnes (qui paient pour cela en moyenne 3000 $ par an). Au lieu des 1200 à 1600 patients pris en charge par un praticien standard, le généraliste pour riche n'en suit que 200 à 300. En contrepartie de sa disponibilité accrue rencontres plus longues et accessibilité 24h/24 il gagne la rondelette somme de 600 000 $ par an. Intéressant de constater que ces généralistes de luxe se retrouvent dans les conditions mythiques du bon vieux temps, où le médecin avait le temps de vraiment écouter les patients, où il gagnait bien sa vie, mais où il lui fallait être sur la brèche jour et nuit.Seulement voilà : le monde a changé. Et les riches, dès lors qu'on s'intéresse à leur richesse, se comportent comme des clients capricieux. Pas impossible que les médecins qui leur consacrent leur pratique finissent par faire davantage de burnout que les autres. Sans une certaine fierté, pas de sens....Mais que penser du fond ? Ceux qui plaident pour cette nouvelle forme de médecine parlent de la nécessité, en médecine aussi, de s'adapter aux «besoins du marché», en s'occupant des «niches» de luxe, comme il en existe dans n'importe quelle activité. D'où cette question : la médecine est-elle une activité comme une autre ? Pour les tenants du primary care first class, c'est certain : le droit de chacun de choisir son investissement dans une santé luxueuse serait le même que celui de préférer une voiture chère, quitte à faire des sacrifices dans d'autres domaines. Ou encore de préférer, pour l'éducation de ses enfants, une école privée, plus attentive à leurs besoins propres.T. A. Brennan, qui commente le papier, ne partage pas cet optimisme. Non que ce nouveau développement se distingue énormément des différences d'accès aux soins actuelles (aux Etats-Unis, mais chez nous aussi). Mais il constitue certainement un «événement cristallisateur» d'une nouvelle mentalité. On aurait tort de laisser cette nouvelle mentalité s'installer sans débat. Le grand sujet de déchirement de l'éthique médicale de demain, aux côtés duquel les considérations sur l'euthanasie ou le secret des données feront figure de discussions gentillettes, ce sera la structure économique du système de soins....Jean Martin, médecin cantonal vaudois, est l'un des penseurs de la médecine, de son éthique, de ses multiples intrications avec la société, dont notre pays découvrira un jour avec une certaine surprise l'étendue de l'influence (bénéfique). Il est rarissime que la finesse de son esprit soit prise à défaut. Malgré tout, cette petite remarque amicale : dans un article du Bulletin des médecins suisses,3 il idéalise manifestement les politiciens, leur faisant la part un peu trop belle de ceux qui agissent avec clarté et possèdent une vision panoramique de l'univers médical. D'après Martin, le politicien, «parce qu'il est lui-même parfois patient ou qu'il a, proches de lui, des professionnels de la santé, comprend sans difficulté la vocation médicale vers l'individu». Par contre, ajoute Martin, «il n'est pas certain que le médecin comprenne toujours adéquatement ce qu'une perspective communautaire, recherchant ce qui est bon pour l'ensemble du groupe concerné, implique pour un élu».Les politiciens comprennent-ils vraiment ce qu'est la médecine de l'individu, ses exigences, son quotidien, son rôle dans la société ? Peut-être certains s'y intéressent-ils sincèrement. Mais rares, très rares, sont ceux qui en perçoivent la dimension tragique, irréductible, qui seule fait comprendre pourquoi une médecine planifiée ne peut pas fonctionner, pourquoi les médecins font toujours plus de burnouts, bref, pourquoi la médecine n'est pas un domaine communautaire comme un autre mais un monstre qui ne s'apprivoise qu'à partir du particulier.Et puis, quelle inculture de la part des politiciens sur ce que représente le système de santé. La plupart n'ont pas le début d'une petite idée de ce qui se fait à l'étranger, des fourvoiements et des expériences intéressantes. Presque aucun ne s'intéresse à l'aspect scientifique de l'organisation du système de soins : quelles études ont-elles été menées sur telle ou telle forme ? Voilà pourtant des exigences de toute perspective communautaire....On se dit qu'il va avoir des ennuis un jour ou l'autre et ce pourrait être prochainement l'inoxydable Otto Piller. Depuis le temps qu'il gaffe, et que son office est le petit yorkshire de garde aphone et édenté des caisses-maladie. En tout cas, si Pascal Couchepin reprenait le département de l'Intérieur, ce qui n'est pas impossible (ni probablement souhaitable), ce ne serait pas un bon point pour l'avenir de Piller. Il faut avouer qu'il y aurait quelques raisons. L'incroyable incapacité que montre l'OFAS à contrôler les caisses-maladie constitue le cur de l'échec politique de Ruth Dreifuss dans sa tâche de responsable du système de santé. Et reste une sorte de mystère.1 Spickard S, et al. Mid-Career Burnout in Generalist and Specialist Physicians. JAMA 2002 ; 288 : 1447-50.2 Sharfstein B, et al. Luxury Primary Care. N Engl J Med 2002 ; 347 : 618-20.3 Martin J. Médecin et politique. Vie et société vues sous des angles différents : une problématique transculturelle. BMS 2002 ; 83 : 1243-8.