En 2000, la somme globale des frais de la santé s'est élevée à 40 milliards soit 10,4% du PIB (produit intérieur brut), ce qui représente un investissement considérable par rapport à d'autres domaines. Cela semble beaucoup trop aux yeux des politiques et des assurances maladie qui n'ont de cesse de rabâcher la sempiternelle rengaine «La santé coûte trop cher !».Parmi les principaux intervenants dans le système de santé, rappelons qu'il y a les prestataires de soins, les assurés (7,266 millions de Suisses en 2000), les institutions politiques et les assurances. Ces quatre acteurs ensemble sont donc responsables de la dépense des 40 milliards, mais les instances politiques et les assurances veulent se décharger de leur responsabilité dans cette affaire en n'hésitant pas à incriminer les assurés qui «consomment trop» et les médecins qui «coûtent trop».Cela m'amène à poser une question fondamentale : qui doit décider de ce que devrait coûter la santé ?Actuellement, il semble que les assurances maladie et les instances politiques accaparent ce devoir sans que les deux autres interlocuteurs légitimes assurés et prestataires de soins ne puissent réellement avoir droit au chapitre, si ce n'est pour assumer l'augmentation annuelle des primes maladie, «maîtrise des coûts de la santé oblige».Rappelons comment sont dépensés ces 40 milliards et par qui ils sont financés.Quarante sept pour cent de cette somme sont dépensés dans les soins hospitaliers, 35% dans les soins ambulatoires, 11% pour les médicaments et 7% par l'administration (OFAS, 1998).Soixante-huit pour cent de ces 40 milliards sont financés par nos primes d'assurances, par notre participation directe sous forme de franchise et assurance complémentaire, 24% par les pouvoirs publics, 7% par la contribution sociale des entreprises (LAA, AI-AVS) et 1% par les réserves des assurances.Il ressort que plus de 90% du financement de ces 40 milliards sont assurés par le peuple suisse lui-même, soit de façon directe par sa participation aux primes et franchises ou de manière indirecte par le truchement des impôts (OFAS, 1998).Il est stupéfiant de constater qu'une minorité les compagnies d'assurances qui gèrent l'assurance maladie obligatoire qui ne participe autrement aux frais de la santé qu'en y reversant les primes des cotisants, puisse prendre influence au point d'imposer les mesures qu'elle entend au détriment d'une majorité dans un pays qui se veut démocratique !Inquiétant est le laxisme de nos instances politiques à cet égard qui, sous prétexte d'un lobby des assurances trop puissant pour être contrecarré par une volonté politique, leur laissent les coudées franches. De fait, les décisions émanant de ces dites instances ont non seulement l'admirable propriété d'être aussi médiatiques qu'inefficaces mais, en plus, elles renforcent l'hégémonie des compagnies d'assurance dans la politique de santé helvétique. Les décisions ou les projets politiques, comme la clause du besoin et la fin de l'obligation de contracter, permettent d'éviter le réel débat en brouillant les pistes afin de diviser l'opinion publique et de mieux régner sur cette dernière. Il est aisé de monter les différents interlocuteurs du débat autour de ces questions l'un contre l'autre en imputant la responsabilité de la quasi-totalité des frais de la santé helvétique soit aux uns, soit aux autres. Preuve en est le décalage entre le communiqué de presse distribué aux médias par la communauté intrahospitalière genevoise et le contenu des articles publiés par la presse à ce sujet.Il est donc essentiel de rappeler haut et fort que la nature des revendications de la communauté médicale a pour but non pas de défendre les intérêts d'une corporation mais de dénoncer les décisions aberrantes prises par nos instances politiques pour soi-disant diminuer les coûts de la santé.Vu sous cet angle, il semble que les médias soient habilement utilisés par le politique afin d'éviter d'aborder les réels enjeux d'un débat démocratique en le réduisant à une «banale» revendication syndicaliste ou défense corporatiste ! De là à articuler que les instances politiques manipulent la masse média pour défendre leurs intérêts et ceux des assurances sociales, il n'y a qu'un pas qu'on hésite à franchir. Cependant, lorsque l'on connaît le pouvoir qu'attribue Ignacio Ramonet (chroniqueur du journal Le Monde Diplomatique) aux médias dans la société actuelle stipulant qu'actuellement, la principale clé du pouvoir dans notre société est d'ordre médiatique (la deuxième d'ordre économique, reléguant le pouvoir politique à la dernière place), il devient aisé de franchir ce dernier pas.Quels enjeux ?Entre autres, éviter ce débat permet aux instances politiques de notre pays de détourner le regard de 7,266 millions de cotisants (qui assument, rappelons-le, plus de 90% de la charge effective des coûts de la santé) des 200 millions de francs suisses qui ont tout bonnement disparu en 2000 de la comptabilité des assurances maladie (OFAS, 2002).Selon ce rapport publié en 2002 portant sur l'année 2000, les assurances maladie ont reçu 13,4 milliards de francs via les primes des assurés. Leur dépenses réserves, provisions, compensation des risques et frais administratifs compris s'élèvent à 13,2 milliards de francs. Un simple calcul (13,4 - 13,2) nous montre qu'il y a bien eu, au bas mot, un trou de 200 millions au profit des assurances maladie en une seule année ! Lorsque l'on sait que l'OFAS n'a pas d'autres moyens pour vérifier les chiffres qui leur sont transmis par les différentes assurances qu'en établissant des rapports de vraisemblance, il est fort à parier que ce chiffre ne corresponde qu'à la pointe de l'iceberg.Par analogie avec le hold-up de l'UBS qualifié de «casse du siècle» (une centaine de millions de francs suisses dérobés) il y a quelques années et en vertu du principe de proportionnalité, on pourrait dire qu'il s'agit également ici d'un autre «casse du siècle» !Assomption racoleuse et mensongère ? Il serait grand temps que les assurances maladie nous le prouvent et seul un accès libre à l'intégralité de leur comptabilité sera en mesure de démentir ce propos.Quels bénéficiaires ?Selon le registre des intérêts des conseillers nationaux et aux Etats, on note une quarantaine de députés qui sont directement ou indirectement liés aux caisses-maladie ou à d'autres acteurs importants du secteur de la santé. Parmi cette quarantaine, quatre personnes semblent particulièrement exposées à de flagrants conflits d'intérêts en raison de leur activité politique tout en siégeant à la tête des conseils d'administration de certaines assurances maladie.Je cite : Eugen David, conseiller aux Etats (PDC), qui siège à la direction de Helsana, la plus grande caisse-maladie de Suisse ; il s'est prononcé en faveur d'une réduction du catalogue des prestations de l'assurance obligatoire. Christoffel Brändli, également conseiller aux Etats (UDC), préside Santésuisse (concordat des assureurs maladie). Félix Gutzwiller, conseiller national, défenseur des hôpitaux privés et reconnu comme médecin et spécialiste de la médecine préventive, en faveur de la réduction du catalogue des prestations. Il s'engage régulièrement pour diminuer le rôle de l'Etat dans la politique de la santé. Hans Ueli Raggenbass, autre conseiller national, qui siège à la Swica, une importante caisse-maladie (475 000 affiliés). C'est aussi un défenseur de la réduction du catalogue des prestations, très aligné sur les positions des grandes caisses et des assureurs privés, partisan de la privatisation des hôpitaux.Ainsi, il est aisé de distinguer des bénéficiaires potentiels directs dans ce labyrinthe «médiatico-politico-socio-économique» de la santé publique helvétique.Ce qui est certain, c'est que les instances politiques de notre pays ne peuvent ignorer ces exactions, hébergeant en leur sein des individus qui portent la double casquette de personnage politique et de dirigeant à part entière de caisses-maladie. Non contents de s'abstenir de dénoncer publiquement la pression qu'exercent les lobbys des assurances maladie dans la politique de santé suisse, le Conseil fédéral couvre ces dites institutions en utilisant les paravents politiques de la clause du besoin et de la suppression de l'obligation de contracter tout en désignant des boucs émissaires (assurés et prestataires de soins), noyant ainsi le poisson de façon élégante.La récente polémique concernant les rentes du 2e pilier montre que dans ce domaine aussi, les décisions politiques prises par nos dirigeants se font sous pression des caisses, mais de pension cette fois-ci, et que l'absence de transparence de ces dites caisses ne suscite, une fois encore, qu'un mutisme approbateur de la part du Conseil fédéral.Il me semble essentiel de rappeler que par son silence, le Conseil fédéral se rend complice des activités non transparentes des caisses-maladie et de pension.