Hasard ou pas, l'annonce faite, il y a quelques jours à Paris, de la survenue d'une première et grave complication chez l'un des enfants souffrant d'un déficit immunitaire majeur et soignés par thérapie génique (Médecine et Hygiène du 16 octobre) n'aura précédé que de quelques jours le dixième meeting annuel de la Société européenne des spécialistes de thérapie génique. On a donc longuement abordé cette question lors de cette manifestation organisée du 13 au 16 octobre à Antibes, présidée par le Pr David Klatzmann (groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris) et à laquelle ont participé 700 personnes. Au terme de cette rencontre, la Société européenne de thérapie génique a pris ouvertement position contre la décision de suspension des essais de thérapie génique prise par plusieurs pays l'Italie et l'Allemagne notamment après la révélation de cette complication, de suspendre les essais cliniques de thérapie génique. A noter que, pour leur part, les Etats-Unis viennent de revenir sur la décision initiale de suspension, la Food and Drug Administration ne suivant pas sur ce thème l'avis du comité émanant des NIH.
Thérapie génique ? Cette émergence de la révolution génétique dans le champ médical peut être définie comme «l'introduction délibérée de matériel génétique dans les cellules somatiques humaines dans le but de corriger un défaut génétique ou de pallier le manque d'une protéine en apportant le gène responsable de sa synthèse». Dix ans après son apparition, ce sont bien les Etats-Unis, avec près de 500 essais cliniques autorisés (80% de l'ensemble mondial) qui occupent dans ce domaine une position largement dominante loin devant le Royaume-Uni, la France, le Canada et l'Allemagne. En France, une quarantaine d'essais cliniques ont déjà été autorisés. Au total, on estime à près de 4000 le nombre des patients qui ont été enrôlés dans ces essais, la majorité d'entre eux se situant dans le domaine de la cancérologie loin devant les pathologies d'origine héréditaire, infectieuse ou cardiovasculaire (avec des tentatives de revascularisation pour lutter contre l'artérite des membres inférieurs ou l'infarctus du myocarde, grâce à l'utilisation de gènes de facteurs de croissance).
La réunion d'Antibes a permis de prendre la mesure de l'enthousiasme des chercheurs engagés dans cette discipline ainsi que la très large gamme des potentialités de cette dernière. Comment, dans ce contexte, interpréter la complication apparue chez l'un des huit enfants souffrant d'un déficit immunitaire combiné sévère lié à une anomalie génique due au sexe et pris en charge par l'équipe des Prs Marina Cavazzana-Calvo et Alain Fischer (Inserm U 429, hôpital Necker-Enfants-Malades, Paris) ? Quelles leçons tirer de la «prolifération non contrôlée de lymphocytes T gamma-delta» survenue après un épisode de varicelle chez cet enfant âgé de trois ans qui avait été traité par thérapie génique à l'automne 1999 ? Pour le Pr David Klatzmann, les choses doivent être clairement dites : «Il n'y a pas d'alternative à la poursuite des travaux».
«A ce jour, rien ne permet encore d'expliquer l'origine de cette complication, une hyperprolifération d'un clone d'une catégorie de lymphocytes, a-t-il déclaré au Monde. Il faut aussi ajouter que le jeune patient est vivant et qu'il est traité pour cette complication. Nous devons, en outre, analyser la situation présente au regard des risques inhérents à la pathologie initiale dont souffrait cet enfant et pour laquelle aucune proposition thérapeutique ne pouvait être faite, ce qui le condamnait à très court terme. Nous sommes ici dans le champ de la thérapie génique, et cette complication est, potentiellement, liée au vecteur viral utilisé dans ce traitement afin de faire pénétrer le gène dans les cellules des jeunes malades. C'est pourquoi notre communauté fait tout pour comprendre. Si la complication est due au vecteur viral, des solutions techniques pourront être étudiées et expérimentées pour pallier ce risque.»
Que penser, dès lors, de la suspension décidée en urgence par certaines autorités sanitaires ? «La manière dont cet événement a été scruté à l'échelon international est à la hauteur de l'ampleur des premiers succès obtenus par l'équipe du Pr Alain Fischer, dont la qualité et l'exemplarité des travaux sont unanimement reconnues. Il est vrai que dans certains pays, l'Allemagne et l'Italie notamment, pour des raisons plus politiques que scientifiques, l'arrêt de tous les essais cliniques a été décrété ou est en passe de l'être. Ce sont, à nos yeux, des initiatives totalement contre-productives. Il y a beaucoup à dire sur la manière dont certaines autorités gouvernementales gèrent les questions liées à la science et à la santé publique, ajoute le Pr Klatzmann. Si la raison commande de suspendre cet essai clinique et de tout faire pour comprendre ce qui s'est passé, établir un moratoire généralisé sur les activités de thérapie génique est totalement infondé. La non-reprise des travaux de l'équipe du Pr Fischer et des essais cliniques similaires constituerait une forme de régression.»
Pour le spécialiste parisien, ne pas poursuivre une démarche qui a permis d'obtenir des premiers succès thérapeutiques interdirait, notamment, de répondre et d'apprécier correctement le rapport risque-bénéfice. Sans doute faut-il comme lui avoir le courage à notre époque où le principe de précaution est roi de dire que nous sommes là confrontés à la triste banalité de la méthodologie de tous les essais cliniques, de toutes les expérimentations médicamenteuses. «Nous mesurons bien les difficultés de la pédagogie dans ce domaine, conclut le Pr Klatzmann. Mais la raison impose de dire et de redire que nous devons poursuivre nos travaux, car il n'y a pas d'alternative.»