La bête gagne du terrain. Apparue il y a quelques années en provenance d'angoisses nordiques, largement recyclée sur le sol nord-américain, elle trône désormais dans tous les supermarchés, détrône les cyclamens, fait oublier nos saints, inquiète de plus en plus le Vatican. L'an dernier, les adolescents en manque de repères menaçaient et quémandaient des sucreries sur la voie publique. Aujourd'hui nous les avons vus pour la première fois à Tours, rue Georget, sonner au crépuscule, entrer dans les demeures. Ils reproduisent au moment de la fête des morts, à un demi-siècle ou presque de distance, ce que nous faisions au beau milieu du Carême chrétien, aux marches de la Touraine et de l'Anjou, avec des boîtes de conserves fendues, tirelires d'un jour. Mais on ne fait plus Carnaval, de nos jours. On fête Halloween. Et certains se souviendront longuement du millésime 2002.
En France, dans le département de la Moselle, trois cambrioleurs encagoulés, qui avaient pénétré par effraction dans la maison d'un couple de retraités à Sarrebourg ont eu la surprise de se voir offrir de la soupe au potiron et des bonbons, les maîtres des lieux croyant avoir affaire à des plaisantins à l'occasion d'Halloween. «Atteint dans sa dignité, l'un des cambrioleurs a alors répliqué qu'il était venu pour le coffre-fort, et ce n'est qu'après s'être fait dûment ouvrir le meuble sous la menace, selon la tradition, qu'il a pris la fuite avec un butin, semble-t-il, symbolique. Mais l'honneur était sauf» nous explique l'Agence France-Presse.
Autre scène, le même jour, dans le département du Lot-et-Garonne, où, entouré de flambeaux, un conjureur trace une croix noire au sol, fait neuf pas, lève son bâton au ciel et s'exclame : «Renard, je te jette un sort ! Tu ne passeras point ce tison. Va-t-en d'ici !». Nous sommes dans le petit village de Villefranche-du-Queyran qui a remis au goût du jour la fête traditionnelle de la «conjuration du renard», afin de contrer «l'invasion» d'Halloween en France. «On nous a imposé une fête américaine mais qui n'a aucun écho dans notre vie collective. Cette fête pue ! Sa vocation est clairement mercantile», s'emporte Jean-Marie Balout, le maire du village de 370 habitants, à l'origine de la renaissance de cette fête. Cette célébration, «dont les origines se perdent dans la nuit des temps» selon le maire, s'était arrêtée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle permettait, grâce à l'invocation des esprits à la veille de la Toussaint, de chasser les renards qui s'attaquaient aux troupeaux, au pire de les envoyer dans les villages voisins. «Nous avons voulu offrir une alternative à Halloween et massivement les gens préfèrent» cette fête, renchérit le maire, le sourire aux lèvres. «Il y en a marre de cette colonisation en plein sud-ouest» dit-il en distribuant des masques de renardeaux aux enfants.
Dans le petit village italien de San Giuliano di Puglia, on n'avait pas prévu de distribution de masques de renardeaux aux enfants. La terre avait tremblé quelques heures auparavant mais rien n'aurait empêché de fêter Halloween. Le prêtre avait bien laissé entendre que le bâtiment scolaire avait souffert du séisme et qu'il n'était guère prudent d'y aller pour festoyer. Mais précisément, c'était le prêtre catholique qui le disait ; affaire de concurrence, sans doute. On allait trinquer avec les ombres. L'école s'effondra. Bilan : trente-cinq personnes sauvées et vingt-neuf morts, dont vingt-six enfants.
Henri Tincq, dans les colonnes du Monde daté du jour de la fête des morts de l'an de grâce 2002 : «Devant l'engouement des Français pour Halloween rite celte devenu fête nationale aux Etats-Unis et qui gagne le monde entier depuis une dizaine d'années l'Eglise catholique se mobilise pour rappeler le sens des fêtes de la Toussaint et du Jour des morts. Une campagne sur le thème «holy wins» («le saint gagne» ) a été lancée par le diocèse de Paris et l'épiscopat ouvre le débat sur la signification de la mort et sa transmission aux jeunes. Auteur du livre «La face cachée d'Halloween», le philosophe Damien Le Guay dénonce le retour d'un univers de magie peu propice à l'apprentissage de la liberté.»
Mgr Hippolyte Simon, évêque de Clermont-Ferrand à propos d'Halloween : «Ces rites ne sont pas bien méchants mais il faut se demander ce qu'ils pourront produire s'il arrive que l'imaginaire des futures générations n'est plus structuré que par ces seules références, dans l'oubli de la signification chrétienne de la Toussaint.» Demandons-nous, mon père, demandons-nous.