Des chercheurs travaillant au sein de l'INSERM, du CNRS et de l'Institut Curie de Paris viennent d'annoncer avoir réussi à mettre en évidence, chez la souris modèle animal du sarcome d'Ewing l'efficacité d'une approche thérapeutique innovante : l'association d'un interféron humain (a ou b) et d'un agent antitumoral courant, l'ifosfamide. Leurs résultats qui sont publiés dans le numéro de novembre 2002 de la revue Oncogene ouvrent une piste intéressante pour la mise au point d'une stratégie thérapeutique moins lourde et plus efficace contre la tumeur d'Ewing. Ils devront bien évidemment être confirmés par des essais cliniques avant de constituer un espoir, en particulier pour les patients porteurs de métastases dont l'espérance de vie est très réduite.
On sait que le sarcome ou tumeur d'Ewing est une variété de cancer se développant aux dépens du tissu conjonctif de l'os et qu'il atteint l'enfant, l'adolescent et le jeune adulte (jusqu'à 30 ans) avec un pic de fréquence entre 10 et 15 ans. On observe en France, de 50 à 100 nouveaux cas par an. Le point de départ de la tumeur est la moelle osseuse, ce qui explique qu'il siège essentiellement au niveau des os plats et dans la partie diaphysaire des os longs. «Le potentiel métastatique est important et concerne essentiellement les poumons et le squelette.
En trente ans, le traitement de la tumeur d'Ewing, à l'origine essentiellement basé sur la radiothérapie, a profondément évolué. Aujourd'hui, la stratégie thérapeutique utilisée pour venir à bout d'une tumeur localisée combine, dans la majorité des cas, chimiothérapie et chirurgie. Une chimiothérapie postopératoire, et parfois une radiothérapie, complète le traitement» rappelle-t-on auprès de l'Institut Curie.
C'est d'ailleurs au sein de cet Institut Curie qu'a été découverte, en 1983, et caractérisée, en 1992, l'anomalie chromosomique responsable de cette affection. Il s'agit d'une translocation, échange anormal de matériel génétique qui, dans 90% des cas, se produit entre les chromosomes 11 et 22 et aboutit à la synthèse d'une protéine anormale dénommée EWS-FLI-1. Dans 10% des cas, la translocation se fait entre les chromosomes 22 et 21 et donne lieu à la synthèse d'une protéine anormale EWS-ERG.
La découverte de ces altérations génétiques a permis la mise au point, à l'Institut Curie en 1994, d'un test diagnostique de la tumeur d'Ewing.
S'appuyant sur une étroite collaboration entre médecins et chercheurs, l'Institut Curie est progressivement devenu un centre de référence, de renommée internationale, pour la prise en charge clinique des jeunes patients ainsi que pour l'analyse moléculaire de ces tumeurs. Et toujours dans cet institut, l'équipe de Jeanne Wietzerbin, directrice de recherche au CNRS (Unité INSERM 365 «Interférons et cytokines»), poursuit depuis plusieurs années des études sur l'action des interférons et d'autres cytokines sur ce sarcome.
Dans les nouveaux travaux dont les résultats viennent d'être publiés les chercheurs ont évalué, chez la souris, l'efficacité antitumorale de l'interféron a et de l'interféron b, deux interférons de type I, puis de l'association de l'un ou de l'autre de ces interférons avec l'ifosfamide (IFO), un anticancéreux largement utilisé. Des expériences antérieures menées in vitro avaient en effet montré l'activité antiproliférative de ces interférons sur des lignées cellulaires dérivées de tumeur d'Ewing et l'étape suivante consistait à observer l'activité de ces molécules in vivo, chez la souris. Le modèle animal de la maladie est une souris dite nude à laquelle on injecte en sous-cutané des cellules d'Ewing dérivées de tumeurs humaines. L'immunodépression qui caractérise cet animal fait que la greffe se maintient et engendre une tumeur solide d'origine humaine qui peut servir à évaluer le potentiel thérapeutique de traitements innovants.
Rappelons ici que les interférons (IFN) constituent une famille de protéines sécrétées par pratiquement tous les types cellulaires et que les données sérologiques et moléculaires ont permis leur classification en deux types. Comme pour beaucoup de cytokines et de facteurs de croissance, les effets des IFN sont initiés par leurs interactions avec des récepteurs de surface spécifiques. Les IFN de type I se lient à un récepteur commun, différent de celui reconnu par l'IFN de type II. Tous ont une activité antivirale et ce sont aussi des médiateurs intercellulaires capables de moduler plusieurs fonctions biologiques majeures comme le contrôle de la prolifération et de la différenciation cellulaire, ou l'activation de certains lymphocytes. Ces dernières années, de nombreuses études in vitro et in vivo ont montré que les interférons humains étaient capables d'inhiber la prolifération des cellules tumorales et, dans certains cas, de provoquer la mort par apoptose des cellules cancéreuses.
«L'administration d'IFNa ou d'IFNb, après l'injection des cellules tumorales, empêche la prise de la greffe et la croissance de la tumeur chez la souris. De plus, l'IFNb et, d'une façon plus modeste, l'IFNa retardent le développement de tumeurs déjà établies» soulignent les chercheurs de Curie. Ces derniers expliquent d'autre part avoir aussi voulu évaluer, sur ce modèle expérimental, l'activité de l'ifosfamide, un agent bloquant la réplication de l'ADN et par conséquent la prolifération cellulaire. Il a en effet été récemment relaté que cette molécule, ajoutée à la chimiothérapie conventionnelle utilisée dans les tumeurs d'Ewing, était de nature à améliorer la réponse des patients jusque-là résistants à de telles thérapeutiques. L'équipe de Jeanne Wietzerbin a donc poursuivi sa démarche par une série d'expérimentations destinées à apprécier les conséquences de l'utilisation de l'IFNa ou de l'IFNb associé à l'ifosfamide.
«Tout se passe, expliquent-ils, comme si les interférons rendaient les cellules tumorales plus sensibles à la chimiothérapie et que, de son côté, l'ifosfamide augmentait la sensibilité des cellules tumorales aux effets anti-prolifératifs des interférons. Ces observations sont très encourageantes d'autant que, dans les stades avancés de la maladie ou lorsque la maladie est métastatique au moment du diagnostic, la survie est assez compromise malgré des traitements lourds combinant chirurgie, chimiothérapie et/ou radiothérapie.
Elles demandent cependant à être confirmées par des essais cliniques. L'idée est de développer une nouvelle stratégie thérapeutique, associant uniquement interféron et ifosfamide, destinée en premier lieu aux patients résistant aux traitements conventionnels.»
Sancéau J, Poupon M.-F, Delattre O, Sastre-Garau X, Wietzerbin J. Strong inhibition of Ewing tumor xenograft growth by combination of human interferon-alpha or interferon-beta with ifosfamide. Oncogene 2002 ; 21 : 7700-9.