Edito: Maladies chroniques maladies génétiques
Thierry Rochat et Philippe Leuenberger
Rev Med Suisse
2002; volume -2.
22586
Résumé
Le Swiss Working Group for Cystic Fibrosis regroupe un certain nombre de médecins et de chercheurs suisses intéressés par la mucoviscidose (CF). Lors d'une séance récente de ce groupe, la présentation d'un dossier clinique a entraîné une discussion intéressante sur la notion de maladie congénitale. En Suisse, la mucoviscidose est considérée par le législateur comme une «maladie congénitale». A ce titre, elle donne droit jusqu'à l'âge de 20 ans à une couverture intégrale par l'Assurance invalidité. Au-delà de cet âge, les frais médicaux relèvent de l'assurance maladie, ce qui implique franchise et participation, soit quelques milliers de francs de dépenses médicales annuelles à charge du patient.Ainsi donc, le dossier discuté était celui d'un enfant présentant la plupart des signes cliniques d'une mucoviscidose. Le test de la sueur était toutefois négatif et le séquençage du gène CFTR ne révélait pas la double mutation nécessaire pour retenir le diagnostic, selon les connaissances actuelles. Le patient avait pourtant une infection respiratoire chronique à Pseudomonas aeruginosa, nécessitait une physiothérapie respiratoire quotidienne, des traitements antibiotiques intraveineux plusieurs fois par an, etc. Le médecin posait la question : faut-il annoncer le patient àl'Assurance invalidité ? La plupart des participants, au nom de l'équité, jugeaient que cet enfant, malade chronique, devait bénéficier du même statut qu'un enfant «CF». Et pourtant, tout laisse présager la réponse de l'administration : pas de mutation, donc pas de mucoviscidose, donc pas de maladie congénitale, donc pas de prestation d'invalidité. A l'inverse, un autre patient, avec un test de la sueur positif et une double mutation bien identifiée, bénéficie d'une prise en charge intégrale de ses frais médicaux, alors qu'il présente une forme légère de mucoviscidose qui lui permet de pratiquer un sport au niveau de la compétition nationale, de se passer de traitements antibiotiques intraveineux et d'avoir une vie quasi normale.On voit que notre système de remboursement de soins actuel conduit à une inégalité de traitement manifeste entre ces deux cas. A première vue, ils peuvent paraître exceptionnels et on ne peut pas attendre de la loi qu'elle prévoit tous les cas d'exception. Mais ces cas n'ont rien d'extraordinaire, au contraire. La médecine génétique nous prédit que la plupart des maladies chroniques sont déterminées génétiquement. Et tel cas, chez lequel aucune mutation n'est identifiable aujourd'hui, apparaîtra demain comme étant génétiquement déterminé. La notion mendélienne qui associe une mutation à une maladie ne représentait que le b-a ba de nos connaissances. Le rôle du polymorphisme génétique dans la prédisposition à la BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive) commence tout juste d'être étudié. Le rôle des introns, ces séquences de notre ADN que l'on croyait silencieuses, apparaît essentiel dans le mécanisme de transcription de l'ARN et permet d'expliquer, par exemple, les formes frustes de mucoviscidose qui ne se manifestent cliniquement que par une stérilité sur agénésie des canaux déférents. Les facteurs épigénétiques, enfin, qui contribuent à ce que deux individus porteurs de la même mutation aient des maladies de gravité totalement différentes représentent un domaine de développement fascinant de la recherche.Un autre exemple, tiré des acquisitions thérapeutiques récentes en pneumologie, vient illustrer une problématique semblable. Dans l'hypertension artérielle pulmonaire primitive, une autre maladie chronique rare et léthale, un dérivé des prostacyclines, commercialement disponible en Suisse, extrêmement coûteux (Ilomedin® de Schering), a clairement démontré son efficacité. Il n'est remboursable que pour les assurés qui disposent d'une assurance complémentaire. Celle-ci n'apparaît donc plus comme un luxe, mais représente l'élément déterminant pour le traitement de fond du patient, et peut déterminer son espérance de vie ! La médecine à deux vitesses a déjà commencé
Si notre système de remboursement de soins veut rester cohérent, il ne sera pas possible d'éviter une réflexion en profondeur. Le lien entre maladie chronique et prédiposition génétique est un des éléments clés que doit intégrer toute discussion de fond sur l'assurance maladie. A condition qu'il y ait une volonté politique de maintenir la notion de solidarité dans ce domaine !
Contact auteur(s)
Thierry Rochat
Médecin-chef de la Division de pneumologie
Hôpitaux universitaires de Genève
et
Philippe Leuenberger
Médecin-chef de la Division de pneumologie
Centre hospitalier universitaire vaudois
Lausanne