De nombreuses études épidémiologiques affirment que l'asthme est une maladie chronique bien que peu de données font état d'informations recueillies directement auprès des patients. A partir de deux collectifs, l'un épidémiologique, l'autre clinique, nous montrons que l'asthme est une maladie de longue durée affectant les asthmatiques pendant plus de douze ans de leur vie, en moyenne, alors que ces patients ont un âge moyen de 44 ans environ. De plus, les symptômes en relation avec l'asthme affectent ces patients tout au long de l'année dans plus de la moitié des cas détruisant le cliché que l'asthme est une maladie à prévalence surtout saisonnière. Enfin, l'asthme même stable et de sévérité modérée engendre des coûts importants en terme de consommation des services d'urgence et d'hospitalisations. Ces constatations devraient inciter les professionnels de la santé à affiner leur stratégie thérapeutique afin de diminuer la morbidité importante de cette maladie et en abaisser les coûts de prise en charge.
Comparaison entre un collectif clinique et un collectif épidémiologique
L'asthme est défini comme une maladie chronique.1 Cependant, peu d'études ont été faites sur l'évolution de la maladie chez l'adulte au cours de l'existence, montrant notamment son faible taux de rémission.2,3
Il y a bientôt vingt ans, deux études ont montré que plus l'asthme durait, plus il y avait tendance à développer une obstruction irréversible des voies aériennes.4,5 Par ailleurs, chez l'enfant avec bronchite sifflante, il y a d'autant plus de chances de développer une récurrence à l'âge adulte en cas d'atopie ou quand il y a contact avec la fumée de tabac.6
Nous n'avons trouvé aucune étude contenant un collectif de patients adultes avec asthme modéré, suivis cliniquement avec description de la durée de l'asthme à travers les années. De ce fait nous avons interrogé systématiquement un tel collectif et avons tenté d'appréhender l'impact de la maladie sur ces patients.
Nous avons, ensuite, comparé ce collectif avec les asthmatiques découverts lors de l'étude épidémiologique SAPALDIA. L'un et l'autre collectif proviennent de la même population (Valais central). Il devient ainsi possible de connaître si l'asthme même modéré représente une maladie chronique pour le patient tant au cours de sa vie que dans le cours de l'année.
L'étude SAPALDIA est une étude épidémiologique nationale multicentrique.7 La partie transversale de l'étude visait plusieurs objectifs dont ceux de mieux connaître la prévalence de l'asthme et de la bronchite chronique en Suisse et de déterminer l'influence de l'environnement et des facteurs personnels sur ces taux de prévalence.
Huit centres d'études couvrant toute la Suisse ont été choisis : Genève, Bâle-Ville, Lugano, Davos, Montana, Payerne, Aarau et Wald. Les participants répondaient lors de leur visite notamment à un questionnaire de 290 questions. Pour la comparaison entre deux collectifs nous nous sommes uniquement intéressés au collectif recueilli dans la région de Montana.8
Le second collectif est issu de l'étude GER.9 C'est une étude clinique conduite en Valais. Les patients souffrant d'un asthme de sévérité modérée et stable y ont été enrôlés de mai 1998 à janvier 2000. Les critères d'inclusion dans l'étude comprenaient : un VEMS >= 50% de la valeur prédite avec >= 20% de variabilité après bronchodilatateurs ; une absence d'exacerbation dans les trente jours précédant le début de l'étude.
Dans l'étude SAPALDIA, l'inclusion dans le collectif nécessite la confirmation anamnestique de l'asthme par un médecin. Par contre, dans l'étude GER, l'asthme de sévérité modérée est confirmé par le médecin traitant et un pneumologue.
Le questionnaire de l'étude GER reprend en partie celui de l'étude SAPALDIA, les patients devant répondre à des questions sur l'asthme, la durée de la maladie, son retentissement en termes de consultations en urgence ou d'hospitalisations dans les douze derniers mois.
La durée de l'asthme est définie comme la différence entre l'âge lors de la dernière crise et l'âge lors de la première crise. La présence de symptômes respiratoires durant l'année a été précisée par saisons dans le questionnaire SAPALDIA et par périodes bi-mensuelles lors de l'étude GER.
Deux paramètres de morbidité de l'asthme ont été évalués dans les deux études (hospitalisation pour des problèmes respiratoires dans les douze derniers mois et utilisation d'un service d'urgences pour des problèmes respiratoires durant les douze derniers mois).
Les questions posées à l'un et l'autre collectifs sont résumées dans le tableau 1.
Durée de l'asthme
La durée moyenne de l'asthme ne diffère pas significativement entre le collectif d'asthmatiques recueilli par l'enquête épidémiologique SAPALDIA et celui recueilli parmi des asthmatiques légers traités ambulatoirement (fig. 1) bien que la durée de l'asthme soit plus longue dans le collectif clinique.
Asthme au cours de l'année
Si l'on précise les périodes de l'année durant lesquelles les patients souffrant d'asthme diagnostiqué épidémiologiquement, se plaignent de symptômes, 7% d'entre eux ont des plaintes tout au long de l'année, 42% pendant le printemps et l'été, 24% seulement durant le printemps (fig. 2). Lors de l'étude clinique GER, les plaintes parmi les patients participants étaient sensiblement différentes, avec une répartition des plaintes plus régulièrement répartie tout au long de l'année (fig. 3). Il n'est pas possible pour des raisons méthodologiques de procéder à une comparaison statistique plus approfondie. Néanmoins, il ressort que l'asthme n'est pas une maladie de courte durée en termes d'années et n'est pas une maladie saisonnière n'affectant la santé des asthmatiques que dans les périodes printanières à forte concentration pollinique.
Morbidité de l'asthme
La morbidité de l'asthme est importante dans les deux collectifs. Lors de l'étude SAPALDIA un patient sur quatre, environ, était hospitalisé au moins une fois dans les douze derniers mois, ce chiffre étant de 35% chez les asthmatiques détectés cliniquement (tableau 2). Par contre, les asthmatiques détectés cliniquement ont, de façon significative, plus souvent recours à un service d'urgence.
Cette étude pilote comparant un collectif épidémiologique et un collectif clinique d'asthmatiques démontre, sans conteste, que l'asthme est une maladie chronique affectant une longue partie de la vie des asthmatiques telle qu'exprimée en années mais aussi que l'asthme perturbe la vie de ces patients pendant la majorité de l'année si l'on se réfère à ce que ces malades décrivent soit par mois, soit par saison en se focalisant sur les douze derniers mois vécus. Il est connu que l'asthme dure longtemps en terme de durée de vie.4,5,10 Nous n'avons pas trouvé d'études s'intéressant à la variabilité saisonnière des symptômes ressentis par les asthmatiques. Cette étude apporte des informations sur la charge subjective telle que ressentie par l'asthmatique : seule une minorité des asthmatiques observés souffre de leur maladie durant une seule saison. Environ la moitié des asthmatiques «cliniques» se plaignent de symptômes d'asthme tout au long de l'année avec la prévalence la plus faible de symptômes en fin d'été. Il est intéressant de constater que cette observation se retrouve dans le collectif épidémiologique : seul un petit pourcentage de patients se plaint de symptômes en été ou au printemps (respectivement 7 et 24%) ; près de la moitié des asthmatiques souffrent d'asthme pendant deux saisons au moins. Ces données montrent, incidemment, que la morbidité de l'asthme est importante, et ce, y compris dans un collectif d'asthmatiques de sévérité modérée.
Nos résultats recueillis dans deux collectifs différents comportent plusieurs limitations. D'abord, il est certain que ces collectifs ne sont pas comparables vu les circonstances différentes de leur constitution. Bien que le collectif épidémiologique représente un échantillonnage représentatif des asthmatiques colligés dans le Valais central, vu la prévalence de l'asthme comparable à celle enregistrée dans les huit autres régions de Suisse,7,8,11 rien ne nous permet d'affirmer qu'ils reflètent les coûts directs et indirects d'une prise en charge médicale de l'asthme. Quant au collectif «clinique», il n'est pas exclu qu'il sous-estime la charge réelle de l'asthme dans cette population, vu que seuls des asthmes modérés et stables y ont été sélectionnés. Néanmoins, l'un et l'autre collectif d'asthmatiques démontrent que l'asthme est responsable d'une consommation importante des ressources de santé puisque les asthmatiques «cliniques» et les asthmatiques «épidémiologiques» avaient besoin d'être hospitalisés au moins une fois par an, respectivement dans 35 et 24% des cas. Par contre, les asthmatiques de l'étude GER nécessitaient quasiment tous (88%) l'utilisation de services d'urgence alors que les asthmatiques recueillis par SAPALDIA le faisaient dans 24% des cas, ce qui représente un chiffre important vu que dans l'étude épidémiologique il s'agit d'un tout venant d'asthmatiques. Cette simple observation confirme les résultats d'autres études aux Etats-Unis et en Suisse révélant que les asthmatiques grèvent lourdement les budgets de la santé.12-14 Scuz et coll.14 ont montré dans notre pays que les hospitalisations comptent pour plus de 45% des coûts directs de l'asthme chez l'asthmatique adulte et que les asthmes instables, ce qui n'est pas le cas de nos asthmatiques engendrent des coûts par patient trois fois plus élevés que les asthmatiques stables.
Lorsque les programmes d'enseignement pour asthmatiques seront mis sur pied, il y aura lieu de rendre les thérapeutes attentifs à développer des stratégies thérapeutiques non seulement saisonnières mais perannuelles. D'autres études sont aussi nécessaires afin de mieux préciser l'évolution de l'asthme au cours du temps et de mieux définir les facteurs permettant de prédire quels asthmatiques devraient bénéficier d'un traitement continu perannuel plutôt que d'un traitement saisonnier vu les coûts importants de ces traitements.