Nous avons appris, depuis plusieurs décennies déjà, à comprendre que parmi les grands dossiers de santé publique celui de l'association entre la prise d'alcool et la conduite d'un véhicule automobile n'était pas l'un des moindres, et nous découvrons chaque jour avec un peu plus d'acuité que la conduite d'un véhicule après la prise d'alcool est une cause majeure d'accidents mortels de la circulation. «En France, bien que la consommation d'alcool soit traditionnellement importante, son influence précise sur le nombre et la gravité des accidents de la route a été relativement peu étudiée. Cela est préoccupant compte tenu de l'importance de la mortalité et de la morbidité liées aux accidents de la route : toutes causes confondues, le nombre d'accidents de la circulation ayant occasionné des lésions corporelles oscille autour de 125 000/an, provoquant environ 8000 morts/an» peut-on lire, sous la signature du Pr Michel Reynaud (Département de psychiatrie et d'addictologie, Hôpital Paul Brousse, Villejuif), dans le dernier numéro (daté du 25 novembre) de La Revue du Praticien-Médecine Générale.Pourquoi aura-t-il fallu attendre si longtemps pour disposer de la première étude détaillée concernant 500 000 accidents corporels dont 28 500 mortels ? On notera, signe des temps, qu'elle émane d'un spécialiste connu pour ses travaux sur l'alcoolisme mais qui, dorénavant se situe officiellement aux confins de la psychiatrie et de cette nouvelle et bienvenue discipline qu'est la science de l'addiction. Ecoutons ce que nous dit le Pr Raynaud : «Les données habituellement disponibles sont celles fournies par l'Institut national de recherche sur les transports et la sécurité (INRETS), la police et le ministère des transports. Elles permettent de considérer que si 1,4% des conducteurs contrôlés lors des dépistages préventifs, et notamment des opérations systématiques, ont une alcoolémie supérieure au seuil légal de 0,5 g/l, en revanche, lorsque le contrôle est effectué après un accident, ce taux atteint 6,5%. En cas d'accident mortel, une alcoolémie supérieure à 0,5 g/l est constatée dans environ 30% des cas.»Ecoutons le toujours, lui qui ne craint pas, dans une publication médicale à mettre d'inhabituels qualificatifs que de pudiques relecteurs anglo-saxons auraient balayés au motif qu'ils constituent un insupportable mélange entre le fait (l'objectif et l'objectivable) et le commentaire (le point de vue personnel, l'impondérable subjectif) de ce dernier. Raynaud, donc : «La mortalité chez les jeunes est particulièrement terrible. Avec plus de 2000 morts chez les moins de 25 ans en 2001, les jeunes représentent plus du quart de l'ensemble des tués, alors qu'ils ne correspondent qu'à 13% de la population.»Pour évaluer avec la meilleure précision les effets de l'alcool sur les accidents de la route, et notamment sur la mortalité routière, l'auteur a eu recours à une base de données exhaustive. Ainsi, les rôles respectifs de l'alcool, de l'âge et du sexe du conducteur, de la perte de contrôle du véhicule ont pu être évalués ainsi que ceux de la nuit, du week-end, tout comme certaines caractéristiques concernant le réseau routier, les conditions climatiques, les véhicules en cause. Ces données, fournies par le Service d'études techniques des routes et autoroutes (SETRA), couvraient de manière exhaustive tous les accidents corporels survenus en France entre le 1er septembre 1995 et le 31 décembre 1999, soit 546 005 accidents ayant entraîné des dommages corporels.Une précision : la date de début de l'étude le 1er septembre 1995 correspondait en France à la dernière modification du seuil légal d'alcoolémie au volant (passage de 0,8 à 0,5 g/l). La publication dans les colonnes de La Revue du Praticien-Médecine Générale a pour objectif la «prise de conscience du rôle essentiel de l'alcool dans les accidents mortels de la route». On dira ici, simplement, que l'objectif est atteint. On dira aussi que le constat établi doit, en urgence, dépasser notre seule communauté médicale pour, en urgence, être connu de tous.Pour le Pr Raynaud, il ne fait guère de doute que les accidents avec un test positif sont plus fréquents et plus graves la nuit et le week-end, semblent correspondre à une modalité d'alcoolisation «festive», fréquente dans de nombreux pays occidentaux, et bien acceptée sur le plan social et culturel. Pour le dire concrètement, il s'agit le plus souvent «d'une prise ponctuelle et importante d'alcool par des sujets qui ne sont pas «malades» par rapport à l'alcool (ni abus ni dépendance).» L'accident survient alors classiquement en sortie de restaurant ou de discothèque. Et qu'on ne s'y trompe pas : c'est bien l'alcoolémie qui est le facteur de surmortalité des accidents et non pas, comme on pourrait le croire, le fait de rouler la nuit ou le week-end ou encore le fait d'être jeune.(A suivre)