Après l'analyse du calcul, le bilan biologique est un élément indispensable du diagnostic étiologique des lithiases urinaires. De plus, il est irremplaçable pour adapter la thérapeutique préventive et surveiller son efficacité. La prévention des lithiases urinaires est basée sur la correction personnalisée des facteurs de risque lithiasiques identifiés. Elle fait intervenir une augmentation des apports liquidiens et la rééquilibration des apports alimentaires de calcium, sodium, protides, purines et oxalates. Dans certains cas, l'adjonction d'un traitement pharmacologique permet de contrôler une hypocitraturie, une hyperuricurie ou en cas d'insuffisance des mesures diététiques, une hypercalcémie.
La lithiase urinaire est une affection très fréquente dans nos pays industrialisés. Sa prévalence est d'environ 15% chez les hommes et 5% chez les femmes, et l'on estime qu'environ la moitié des sujets atteints fera au moins une récidive. Cette pathologie entraîne nombre d'hospitalisations en raison des violentes douleurs liées à la migration d'un calcul et de la nécessité de lever l'obstacle à l'écoulement de l'urine en ayant souvent recours à des méthodes chirurgicales et/ou physiques (lithotripsie). La prévention des lithiases urinaires est efficace et repose sur des mesures hygiénodiététiques et thérapeutiques simples1-4 permettant de réduire de manière très significative l'impact de la lithiase rénale sur les dépenses de santé. Malheureusement, la lithiase urinaire est encore trop souvent considérée com2me une fatalité et bien peu de patients bénéficient d'une évaluation de leurs facteurs de risque lithiasique permettant d'élaborer une prise en charge personnalisée. Nous passerons donc brièvement en revue les indications du bilan biologique et les enseignements qu'il procure au praticien.
La réalisation d'un bilan biologique approfondi est généralement réservée aux patients présentant un second épisode lithiasique. On rappellera que dans tous les cas l'analyse physique du calcul5 est un atout précieux pour le diagnostic étiologique et la définition de l'approche thérapeutique.
Un bilan biologique minimal est recommandé en cas de premier épisode. Ce dernier comporte dans tous les cas une évaluation du débit urinaire sur 24 heures, indispensable afin d'adapter les apports hydriques. Pour une lithiase radio-opaque, il est important de réaliser au minimum un dosage de la calcémie. En effet, un certain nombre d'hyperparathyroïdismes primaires sont révélés par des lithiases rénales et le dosage de la calcémie permet de dépister précocement cette pathologie. Il est également conseillé de réaliser une mesure du pH urinaire à jeun sur les secondes urines du matin. Un pH urinaire > 6 pouvant être en rapport avec un trouble de l'acidification urinaire nécessitera un bilan plus approfondi. Pour une lithiase radio-transparente, constituée d'acide urique dans la grande majorité des cas, un dosage de l'uricémie, de l'uricurie sur 24 heures et une mesure du pH urinaire à jeun sont indispensables pour adapter la thérapeutique préventive.
Un bilan biologique approfondi doit être réalisé en cas de récidive lithiasique, même si celle-ci est séparée du premier épisode par un intervalle libre de plusieurs années. Au décours d'un premier épisode lithiasique, un certain nombre de situations requièrent également une évaluation plus poussée des facteurs de risque : lithiases multiples, néphrocalcinose, rein unique, anamnèse familiale, maladies digestives. Le bilan biologique comporte un dosage de la calcémie, phosphatémie, uricémie, kaliémie et créatininémie. De plus, les urines des 24 heures sont collectées et l'on mesure : la créatininurie, la calciurie, la phosphaturie, la natriurèse, la kaliurèse, l'uraturie, l'oxalurie, la citraturie et l'excrétion urinaire d'urée. Les normes en vigueur au laboratoire d'explorations fonctionnelles rénales des HUG sont mentionnées dans le tableau 1. On y adjoindra un dépistage de la cystinurie, une mesure du pH urinaire à jeun (secondes urines du matin) et un examen microscopique du sédiment urinaire à la recherche de cristaux et d'éléments figurés.
Avant d'aborder les considérations spécifiques à chaque type de lithiase, il est important de rappeler que, sauf exception, la diurèse journalière moyenne des patients lithiasiques se situe largement en dessous du seuil des deux litres par jour. Une faible diurèse est un facteur de risque majeur pour la constitution de lithiases urinaires, à la fois par un effet de sursaturation de l'urine et par la diminution de l'effet mécanique de lavage des cavités excrétrices. Il est donc primordial d'obtenir une diurèse abondante et régulière ce qui n'est pas chose facile. En effet, la plupart des patients ont une sensation de soif émoussée et il leur est très difficile d'absorber des quantités suffisantes de liquide. Le rôle du médecin consultant est ici primordial en expliquant le pourquoi et le comment de l'hyperhydratation (quantité à absorber, boisson à heures fixes, point de repère avec la couleur des urines...).
C'est la forme de lithiase la plus communément rencontrée dans les pays industrialisés. Elle rend compte de 60 à 80% des lithiases analysées. Le bilan biologique s'attachera à rechercher les facteurs de risque suivants : hyperoxalurie, hyperuraturie, hypocitraturie et hypercalciurie.
L'hyperoxalurie est un facteur de risque majeur pour la constitution de lithiases d'oxalate de calcium. En effet, la concentration urinaire d'oxalate est dix fois moindre que la concentration de calcium et toute augmentation de l'oxalurie s'accompagne d'un risque accru de précipitation,2 le calcium étant largement en excès. L'oxalurie étant étroitement dépendante de l'alimentation et soumise à d'importantes fluctuations journalières, il est nécessaire de la rechercher sur au moins deux prélèvements réalisés à un mois d'intervalle. Il convient de rechercher une pathologie digestive favorisant l'absorption des oxalates : maladie de Crohn, rectocolite hémorragique, maladie cliaque, syndrome de l'intestin grêle court, by-pass digestif, mucoviscidose... Toute inflammation du côlon ou malabsorption des graisses s'accompagne d'une augmentation de l'absorption colique des oxalates. En l'absence de pathologie digestive prédisposante, l'estimation des apports journaliers en calcium est primordiale. Lorsque les apports en calcium sont normaux, l'oxalate forme des sels avec le calcium, précipite dans la lumière digestive et est éliminé.2 En cas de régime pauvre en calcium, la quantité d'oxalate libre reste élevée dans la lumière digestive et son absorption digestive sera importante. L'hyperoxalurie doit être corrigée par une réduction des apports alimentaires (légumes feuille, chocolat...) et par une normalisation des apports de calcium, soit au moins un gramme par jour. En cas de pathologie digestive, un traitement par la cholestyramine associé à un supplément de calcium par voie orale peut s'avérer nécessaire.
L'hyperuraturie constitue un second facteur de risque majeur pour la constitution de lithiases d'oxalate de calcium. L'effet favorisant des urates sur la cristallisation de l'oxalate de calcium est observé in vitro6 et fait appel à des mécanismes à la fois directs et indirects (inactivation d'inhibiteurs de cristallisation). Dans la grande majorité des cas, l'hyperuraturie est en relation avec une consommation excessive de produits carnés attestée par une augmentation concomitante de l'excrétion urinaire d'urée. Dans certains cas, elle s'accompagne d'une hyperuricémie. Sur le plan thérapeutique, une normalisation des apports en protéines, soit un gramme par kilo de poids corporel et par jour, associée à la suppression des aliments les plus riches en purines (abats, bière), permet le plus souvent de contrôler l'hyperuraturie. Chez certains patients peu compliants ou présentant une hyperuricémie associée, l'adjonction d'allopurinol (100 à 300 mg/j) peut être nécessaire.
L'hypocitraturie est également fréquemment en cause chez les patients présentant des lithiases d'oxalate de calcium. Le citrate étant un inhibiteur majeur de la cristallisation de l'oxalate de calcium, mais aussi de l'agrégation des cristaux, la réduction de son excrétion urinaire s'accompagne d'un risque lithiasique accru.3,4 Une hypocitraturie peut être secondaire à une consommation excessive de produits carnés ou à une acidose tubulaire distale. Elle est souvent isolée et possiblement en rapport avec une augmentation de sa réabsorption rénale. L'hypocitraturie sera corrigée par l'administration de sels de citrate de potassium ou de magnésium qui, contrairement au citrate de sodium, ont montré leur efficacité préventive. De plus, les sels de citrate de potassium n'entraînent pas d'hypokaliémie secondaire à une alcalose métabolique. On débutera par une posologie de trois fois 20 mmol par jour qui sera ensuite ajustée pour obtenir une citraturie se situant dans les valeurs hautes de la norme. On évitera une alcalinisation du pH urinaire au-delà de sept qui risque de favoriser la formation de lithiases de phosphate de calcium (voir plus loin).
Une hypercalciurie est fréquemment rencontrée dans les lithiases d'oxalate de calcium et l'on doit impérativement mesurer la calcémie afin d'exclure un hyperparathyroïdisme primaire. La réalisation d'un bilan biologique plus approfondi permettant de différencier les hypercalciuries dites absorptives, résorptives ou rénales ne présente que peu d'intérêt pratique et doit être réservée à des cas particuliers. Théoriquement, la calciurie étant quasiment toujours au moins dix fois supérieure à l'oxalurie, l'hyperoxalurie constitue un facteur de risque plus important que l'hypercalciurie isolée (voir plus haut). Il faut toutefois noter que nombre de lithiases sont constituées d'un mélange de cristaux d'oxalate de calcium et de phosphate de calcium, la formation de ces derniers étant plus étroitement dépendante de la calciurie. L'excrétion urinaire de calcium est augmentée par des apports sodés et protidiques élevés.2 La réabsorption du calcium étant couplée à celle du sodium, toute diminution de cette dernière s'accompagne d'une augmentation de la calciurie. D'autre part, un régime riche en protides augmente la filtration glomérulaire et par conséquent la charge de calcium filtré. Si les apports sodés et protidiques sont excessifs, ils seront normalisés à moins de 150 mmol de sodium par jour et à un gramme par kilo de poids corporel et par jour de protéines. La réduction des apports alimentaires en calcium en dessous d'un gramme par jour doit être bannie. Cette mesure a, en effet, montré qu'elle augmentait l'incidence des lithiases urinaires, probablement en relation avec une augmentation de l'oxalurie.2 Par conséquent, les apports journaliers de calcium seront maintenus à un gramme par jour. Cette attitude est généralement suffisante pour normaliser la calciurie. En cas de nécessité, un diurétique thiazidique sera utilisé (25 mg par jour d'hydrochlorothiazide), de préférence en association avec un diurétique épargneur de potassium afin d'éviter la constitution d'une hypokaliémie.
L'efficacité des mesures thérapeutiques doit être vérifiée par le dosage périodique des différents facteurs de risque lithiasiques sur les urines de 24 heures et la recherche de cristaux d'oxalate de calcium par l'examen microscopique du sédiment urinaire. En pratique, un bilan biologique de contrôle sera réalisé un mois après l'instauration des mesures thérapeutiques, puis avec une périodicité de six mois la première année et ensuite tous les ans.
Les lithiases de phosphate de calcium représentent 10 à 20% des lithiases urinaires et sont favorisées par un pH urinaire alcalin (> 6). Ces lithiases sont très souvent mixtes et associées à des oxalates de calcium, et sont comme ces dernières favorisées par l'hypercalciurie et l'hypocitraturie. La recherche d'un hyperparathyroïdisme primaire doit être particulièrement attentive en cas de lithiase de phosphate de calcium.
Un déficit d'acidification des urines en relation avec une acidose tubulaire distale doit être recherché. Un pH urinaire à jeun supérieur ou égal à 6,5 associé à une hypocitraturie doit faire suspecter ce diagnostic.7 On mesurera la kaliémie, la chlorémie, la bicarbonatémie et on pratiquera un test de charge acide par voie orale afin de confirmer le diagnostic d'acidose tubulaire. Il s'agit généralement d'une acidose dite incomplète, car parfaitement compensée et asymptomatique. Cette pathologie est fréquemment associée à une hypercalciurie, qui peut être secondaire à l'acidose (résorption osseuse), ou causale, par le biais d'une néphrocalcinose. Le traitement repose dans ce cas sur l'administration de sels de citrate de potassium afin de corriger le déficit en bases et l'hypocitraturie. L'adjonction d'un diurétique thiazidique peut être nécessaire pour juguler l'hypercalciurie.
La surveillance du traitement repose sur la mesure périodique des paramètres biologiques urinaires et la recherche de cristaux à l'examen microscopique du sédiment urinaire.
Les lithiases d'acide urique représentent environ 10% des lithiases rencontrées dans nos pays industrialisés. Elles peuvent être associées à une hyperuricémie et/ou une hyperuraturie qui doivent être corrigées par une réduction des apports de produits carnés et la suppression des aliments les plus riches en purines (abats, bière). Si ces mesures sont insuffisantes, l'adjonction d'allopurinol permettra de juguler l'hyperuraturie. Dans tous les cas, les lithiases d'acide urique sont associées à un pH urinaire acide (8 Afin de corriger l'excès d'acidité urinaire, une alcalinisation par des sels de citrate de potassium doit être réalisée. On débutera par une dose de trois fois 20 mmol que l'on ajustera en fonction du pH urinaire des urines du matin. L'objectif est d'obtenir un pH urinaire constamment supérieur à 6 (6,5 serait idéal). La surveillance sera réalisée par la mesure du pH urinaire le matin à jeun et la recherche de cristaux d'acide urique à l'examen microscopique du sédiment urinaire.
Le bilan biologique et tout spécialement la mesure du pH et l'analyse du sédiment urinaire orientent le diagnostic de lithiase de struvite. En effet, ces lithiases se forment à pH très alcalin et signent une infection urinaire à germes uréasiques. Un pH urinaire supérieur à 7,5 associé à des stigmates d'infection urinaire (leucocyturie) et/ou la présence de cristaux de struvite doivent faire suspecter ce diagnostic dont le traitement repose sur l'éradication des lithiases et l'antibiothérapie.
La cystinurie sera diagnostiquée sur la base de la présence de cristaux de cystine. Un test de dépistage qualitatif positif de la cystinurie doit être suivi d'un dosage quantitatif de la cystine sur les urines de 24 heures afin de distinguer les patients hétérozygotes présentant un faible risque, des patients homozygotes présentant un risque majeur de détérioration de la fonction rénale. Le traitement de la cystinurie repose sur une hyperhydratation massive (4 à 5 litres par jour) et l'alcalinisation des urines au-delà de pH 7 (but 7,5-8) par l'administration de citrate de potassium. Les composés possédant un groupement thiol (D-pénicillamine...) sont générateurs d'effets secondaires potentiellement graves et ne semblent pas diminuer le nombre de récidives.9
Comme l'analyse physique de la composition des lithiases urinaires, le bilan biologique est irremplaçable pour le diagnostic étiologique et la proposition de mesures thérapeutiques préventives ayant fait la preuve de leur efficacité. Ces dernières reposent essentiellement sur une hyperhydratation associée à la rééquilibration des apports alimentaires de calcium, protides, purines, sodium et oxalates. On ne rappellera jamais assez qu'un régime pauvre en calcium est à proscrire chez les patients souffrant de lithiase urinaire. Le concours d'une diététicienne spécialisée est un précieux atout pour emporter l'adhésion du patient à ces mesures préventives. Dans certains cas, l'adjonction d'un traitement pharmacologique peut s'avérer utile pour corriger une hypocitraturie, une hyperuricurie ou une hypercalciurie.