L'instabilité gléno-humérale revêt de nombreuses formes cliniques. La classification basée sur l'étiologie (lésion de l'appareil capsulo-ligamentaire ou dysfonction d'origine musculaire) permet d'orienter le traitement. Lors d'instabilité traumatique, avec récidive de luxation, la réparation chirurgicale donne de bons résultats. Les cas d'instabilité sur dysfonction musculaire, avec composante volontaire, restent du domaine de la rééducation.
La luxation d'épaule est une pathologie classique touchant principalement les jeunes adultes, mais pouvant survenir à tout âge. Elle est fréquemment liée à la pratique des sports de contact. Avec l'augmentation d'adeptes de tous âges et l'apparition de nouvelles activités sportives (snowboard, patinage à roulettes), une recrudescence des lésions traumatiques du membre supérieur (épaule, coude, poignet) a été observée.
Le but de cette revue est de rappeler les différentes étapes diagnostiques et les principes de prise en charge des instabilités gléno-humérales.
L'épaule permet de positionner la main dans l'espace. La grande amplitude de mouvement est rendue possible par la faible conformité osseuse entre la glène et l'humérus. L'équilibre articulaire dépend de l'intégrité des facteurs de stabilisation.1
Les ligaments gléno-huméraux (supérieur, moyen, inférieur) et la capsule articulaire sont situés en périphérie de l'articulation. Ils agissent en fin d'amplitude de mouvement.
Le bourrelet glénoïdien (labrum) a pour fonction d'augmenter la surface de contact entre la tête humérale et la glène.
La coiffe des rotateurs augmente la force de compression de la tête humérale contre la glène, et ce durant tout l'arc de mouvement.
Les muscles stabilisateurs de l'omoplate permettent d'orienter la glène par rapport à l'humérus.
Plusieurs types de classification des instabilités existent, tenant compte de la direction (antérieure, postérieure, inférieure), de la fréquence (premier épisode, récidive) ou de l'étiologie (traumatique ou non). Nous préférons la classification étiologique,2 qui fait référence aux lésions associées à l'instabilité et qui a l'avantage d'être orientée vers le traitement.
Nous définissons les instabilités comme étant : lésionnelles traumatiques, lésionnelles atraumatiques et sur dysfonction musculaire.
Un traumatisme adéquat (accident) est à l'origine du premier épisode de luxation. Celui-ci entraîne des lésions des stabilisateurs statiques (ligaments, labrum) dont la guérison incomplète est à l'origine des récidives d'instabilité. Elle est en général uni-directionnelle (antérieure ou postérieure) et survient sans facteur prédisposant au niveau des structures stabilisatrices.
Les luxations (ou subluxations) font suite à des micro-traumatismes (surcharge) lors de la pratique sportive ou du travail. Il s'agit en général d'une instabilité uni-directionnelle (antérieure ou postérieure), qui se développe sur un terrain prédisposant (hyperlaxité capsulaire et ligamentaire). Les lésions des structures stabilisatrices surviennent progressivement et secondairement.
Il s'agit en général de subluxations, qui peuvent être uni- ou multidirectionnelles. Il existe toujours une hyperlaxité capsulo-ligamentaire alors que les lésions des structures stabilisatrices sont absentes.
L'anamnèse et l'examen clinique ont pour buts de déterminer les causes de l'instabilité, (lésions ou dysfonction des structures stabilisatrices), et de rechercher des complications éventuelles.
L'anamnèse déterminera la nature traumatique de l'événement, alors que l'examen clinique recherchera des complications vasculaires ou neurologiques, qui pourraient avoir une influence quant à l'urgence du traitement.
La même démarche est appliquée immédiatement après la réduction et au premier contrôle (après quelques jours), en évaluant également la coiffe des rotateurs (possibilité de rupture).
L'examen clinique a pour but de déterminer s'il s'agit d'une instabilité par lésions ou dysfonction des structures stabilisatrices. Ceci est réalisé par l'évaluation de la laxité et par la recherche d'une instabilité gléno-humérale.3 La laxité gléno-humérale est définie par l'importance de la translation antérieure, postérieure ou inférieure de la tête humérale par rapport à la glène. Pour l'évaluer, l'examinateur exerce un mouvement de translation de la tête humérale. La laxité varie d'une personne à l'autre, mais est en général symétrique d'une direction à l'autre et d'un côté à l'autre. L'augmentation de la laxité inférieure, avec apparition d'un sillon sous l'acromion lors de traction axiale sur le bras, est pathognomonique de l'hyperlaxité multidirectionnelle (fig. 1). La recherche d'une instabilité gléno-humérale est réalisée par les tests d'appréhension, antérieure ou postérieure. Le bras est progressivement placé dans une position susceptible de provoquer la luxation ou subluxation (abduction-rotation externe pour la luxation antérieure et flexion-rotation interne pour la luxation postérieure). Le patient pourra exprimer une appréhension de la luxation, avec parfois une contraction musculaire réflexe.
L'instabilité lésionnelle traumatique, se traduit par une augmentation uni-directionnelle de la laxité, et par une appréhension de la luxation dans la même direction.
Lors d'instabilité lésionnelle atraumatique (ou sur micro-traumatismes), il existe également une augmentation asymétrique de la laxité, mais sur un fond d'hyperlaxité, et une appréhension de la luxation.
Lors d'instabilité sur dysfonction musculaire, il existe toujours une hyperlaxité multidirectionnelle alors que l'appréhension est absente. De plus, la subluxation est parfois volontaire.
Au stade aigu et avant la réduction, les radiographies de l'épaule, en incidence de face et axiale, sont indispensables. Elles permettent d'objectiver la luxation et d'exclure des fractures associées. La découverte d'une fracture devrait faire demander un avis spécialisé avant la réduction (déplacement possible de la fracture lors des manuvres de réduction, avec risque de nécrose de la tête humérale).4
Au stade des récidives, les radiographies aident parfois à déterminer s'il s'agit d'une instabilité lésionnelle ou sur dysfonction. Une lésion de Hill-Sachs (fracture par impaction de la tête humérale) ou de Bankart (arrachement osseux au bord de la glène) orientent le diagnostic vers une instabilité de nature lésionnelle (fig. 2).
Des investigations complémentaires sont indiquées si des complications sont suspectées ou une intervention chirurgicale envisagée. L'arthro-CT permet d'évaluer l'état de l'appareil capsulo-ligamentaire, une fracture ou une usure de la glène. L'arthro-IRM a une moins bonne définition notamment au niveau osseux, mais permet d'apprécier l'état de la coiffe des rotateurs.5
Il s'agit de la forme la plus fréquente. Un traumatisme (en abduction et rotation externe du bras) est à l'origine du premier épisode (accident de sport ou de travail). La luxation provoque des lésions capsulo-labrales, au bord antéro-inférieur de la glène.6 Leur cicatrisation incomplète peut être à l'origine des récidives (fig. 3).
Après le premier épisode de luxation, et pour les patients âgés de moins de 60 ans, une immobilisation bras au corps (gilet orthopédique, Desault, etc.) durant trois semaines est souvent proposée. Elle a pour but de favoriser la cicatrisation des lésions et de diminuer ainsi les risques de récidive. Les bénéfices d'une immobilisation après l'âge de 60 ans paraissent moins importants.7
Au stade des récidives, la prise en charge chirurgicale est proposée.8 Les techniques dites anatomiques ont pour but de réparer les lésions capsulo-labrales et sont réalisées par arthrotomie ou arthroscopie. Les interventions dites non anatomiques modifient la géométrie osseuse (butée osseuse sur la glène, ostéotomie de dérotation de l'humérus). Les interventions pratiquées lors d'instabilité gléno-humérale antérieure, traumatique et lésionnelle, ont un bon pronostic et permettent souvent la reprise des activités sportives au meilleur niveau.
L'affection est plus rare. La luxation fait suite à un traumatisme en flexion et rotation interne (chute sur les bras tendus) ou à des convulsions (action prédominante des muscles rotateurs internes). Dans 50% des cas, la luxation n'est pas diagnostiquée en urgence, alors que l'examen clinique met invariablement en évidence une limitation de la rotation externe (fig. 4). Les lésions sont identiques à celles des luxations antérieures, mais situées postérieurement, et la prise en charge est analogue.
L'instabilité est due à une surcharge ou des micro-traumatismes, en général lors d'activité sportive ou professionnelle, et se développe sur un terrain d'hyperlaxité. La répétition des subluxations, lors de mouvements en flexion-rotation interne, provoque secondairement des lésions capsulaires et ligamentaires postéro-inférieures. A l'examen, il existe une augmentation asymétrique de la laxité postérieure, associée à des subluxations postérieures, toujours involontaires et positionnelles (c'est-à-dire qu'elles surviennent uniquement lors de mouvements en flexion-rotation interne) (fig. 5). La rééducation (tonification des stabilisateurs dynamiques) reste le traitement de choix, alors que la chirurgie n'est proposée qu'occasionnellement en cas d'échec (capsulorraphie postérieure, éventuellement associée à des réparations capsulo-labrales, voire des butées osseuses). Les résultats après chirurgie sont moins bons que lors d'instabilité traumatique, car le terrain d'hyperlaxité sous-jacent ne peut pas être facilement corrigé.
Ce type d'instabilité touche plus souvent les adolescents et les jeunes adultes, et se développe toujours dans un cadre d'une hyperlaxité multidirectionnelle. Il n'existe pas de réel traumatisme, même si un accident est parfois retrouvé au début. Les subluxations (antérieures, postérieures ou inférieures) ne dépendent pas de la position du bras et peuvent survenir coude au corps. Le caractère volontaire est parfois retrouvé (fig. 6). Les lésions sont absentes. La chirurgie est contre-indiquée dans ces cas, qui ne nécessitent en général pas de traitement.
Les subluxations et luxations gléno-humérales peuvent être compliquées de fractures (omoplate ou humérus), de rupture de la coiffe des rotateurs, de lésions neurologiques ou vasculaires. Celles-ci sont d'autant plus fréquentes que le patient est âgé, qu'il s'agit d'un premier épisode de luxation, de nature traumatique. Cependant, les complications peuvent survenir également chez des patients jeunes et présentant une certaine hyperlaxité. Par contre, elles sont exceptionnelles lors d'instabilité de nature dysfonctionnelle.
Les lésions de la coiffe des rotateurs surviennent dans 30% des cas lors de premier épisode de luxation gléno-humérale antérieure survenu entre 40 et 60 ans, mais dans 80% des cas après 60 ans.9 En cas de doute quant à l'intégrité de la coiffe des rotateurs, une arthro-IRM pourra être indiquée, et l'avis spécialisé requis afin de déterminer si un geste chirurgical au niveau de la coiffe des rotateurs doit être envisagé.
L'incidence des lésions neurologiques est de 48% après une luxation gléno-humérale antérieure. Dans 42% des cas, le nerf axillaire est atteint.10 Il s'agit le plus souvent de lésions bénignes avec un bon pronostic de récupération.
L'instabilité gléno-humérale revêt de nombreuses formes tant du point de vue étiologique que des présentations cliniques. La classification est basée sur la présence ou l'absence de lésions des structures stabilisatrices. L'examen clinique et l'imagerie auront donc pour but de rechercher ou d'exclure des lésions capsulo-ligamentaires, qui vont déterminer le traitement à proposer.
La réduction doit être réalisée après que des radiographies aient permis d'exclure une fracture associée.
Au stade des récidives, la réparation des lésions capsulo-ligamentaires donne de bons résultats. Par contre, lors d'instabilité sur dysfonction musculaire, l'approche chirurgicale n'est pas indiquée.