Edito: La tempête
Pierre Hoffmeyer et Pierre-François Leyvraz
Rev Med Suisse
2002; volume -2.
22635
Résumé
Un vent violent s'est levé et souffle sur la plaine. Les grands arbres solidement enracinés ont déjà perdu toutes leurs feuilles. La Fontaine a jadis chanté les vertus de la souplesse et de la résilience du roseau comparativement au chêne à l'apparence si solide. Notre profession et nos institutions sont au centre de cette tourmente. Les vents sont violents et tourbillonnent dangereusement. Ces vents ont pour noms : Explosion. Augmentation. Pléthore. Inadéquation. Médecine à deux vitesses. Climat médico-légal. Fin de l'obligation de contracter. Clause du besoin. Moutons noirs
Et pourtant
Sur le plan technique les progrès n'ont jamais été aussi rapides et efficaces que ces dernières années. L'imagerie moderne permet une évaluation diagnostique dont on ne pouvait que rêver il n'y a qu'une dizaine d'années. Pour s'en convaincre il suffit de ressortir une IRM ou un scanner du début des années 90.Et pourtant
Les interventions de la chirurgie orthopédique se sont standardisées, beaucoup de gestes inutiles sont tombés dans l'oubli comme par exemple les sections d'ailerons rotuliens ou de plica, l'acromioplastie isolée ou l'ostéotomie de la hanche pour coxarthrose évoluée. L'arthroscopie diagnostique est aujourd'hui réservée à des situations d'exception.Et pourtant
Le patient et son vécu sont revenus au centre des préoccupations. Les durées de séjour en milieux hospitaliers ont été réduites de moitié en cinq ans : techniques diagnostiques, chirurgicales et anesthésiques obligent. L'évolution des matériaux et des techniques permet des interventions moins invasives, moins traumatisantes et moins douloureuses.Et pourtant
Sur le plan académique rien de sérieux ne se publie aujourd'hui sans l'aval d'une commission d'éthique, sans référence à l'«outcome», sans mentionner l'«Evidence-based medicine» ou sans «score» préalablement validé. Fini les publications où seuls comptaient les résultats radiologiques ou morphologiques.Et pourtant
Sur le plan de la formation, les évolutions de ces dernières années sont sensibles. Des programmes de formation sont élaborés et deux examens post-gradués sanctionnent les connaissances des futurs spécialistes. Un contrôle de la formation continue a été mis en place pour les spécialistes installés. Les exigences sont continuellement réadaptées aux nouvelles règles de la sécurité et de bonnes pratiques.Et pourtant
Parlons de la pléthore. Dans cinq ans il y aura pénurie. Les hôpitaux se vident de leurs jeunes médecins. Aux Etats-Unis ils allègent les exigences en matière de visa pour que certains Etats comme le Maine puissent avoir un nombre adéquat de médecins. En France voisine l'internat de chirurgie n'attire plus. Et chez nous le nombre d'étudiants en médecine est en chute libre.Mais alors d'où vient la tempête ?L'efficacité a un coût
l'impatience aussi. Notre spécialité est devenue très efficace, il faut donc satisfaire à des besoins croissants. L'accidenté attend maintenant un diagnostic rapide et sûr, une intervention en toute sécurité et un prompt retour à la vie active, le tout si possible sans douleur et dans une ambiance rassurante et confortable. Et si le traumatisme laisse des séquelles, la réinsertion doit se faire équitablement, ce qui nécessite des ressources. On le voit bien les compétences cliniques et les techniques chirurgicales ne suffisent plus. Pour cela il faut un système qui permette cette prise en charge optimalisée.Au lieu d'offrir une résistance aux vents ambiants nous devons régler nos voiles et assumer la responsabilité du management des ressources au-delà de nos compétences chirurgicales. Pour atteindre ce double objectif de nombreux «acteurs» tentent de nous supplanter et de nombreux «experts» sont là, prêts à nous fournir de l'aide. Cette «aide» qui ressemble aux plans élaborés par un état-major à l'abri et destinés au fantassin envoyé dans un champ de mines.Pour répondre aux exigences modernes et pour survivre aux vents violents nous devons introduire de la souplesse. Nous devons adapter nos pratiques à la situation socio-économique moderne pour empêcher que ce ne soient les intérêts administrativo-financiers qui occupent le centre du terrain et en expulsent ceux des patients.
Contact auteur(s)
Pierre Hoffmeyer
Médecin-chef de service
Clinique et Policlinique
d'orthopédie et de
chirurgie de l'appareil moteur
Hôpital cantonal
universitaire
Genève
et
Pierre-François Leyvraz
Chef de service
Service d'orthopédie et de traumatologie de l'appareil moteur
CHUV
Lausanne