L'équipe de Laurence Colleaux (Unité INSERM 393 «Handicaps génétiques de l'enfant» dirigée par Arnold Munnich, Hôpital Necker, Paris) travaillant en collaboration avec des chercheurs suisses annonce dans les colonnes de la revue américaine Science (datée du 29 novembre) avoir identifié le premier gène non lié au chromosome X responsable de retard mental non syndromique.1 «Ce gène assure la synthèse de la neurotrypsine, une protéine de la famille des protéases et impliquée dans le mécanisme de transmission synaptique entre neurones, résume-t-on auprès de l'INSERM. La mutation de ce gène est responsable du retard mental observé chez les patients. Cette découverte ouvre la voie au développement de nouveaux outils de dépistage et à l'amélioration de la prise en charge des malades.»On sait à quel point le retard mental (RM) peut être un handicap majeur. On ignore trop souvent que c'est une pathologie fréquente, touchant environ 3% de la population générale. Il faut aussi savoir qu'en dépit des progrès récents et majeurs accomplis dans le champ de la génétique médicale, dans 40% des cas, la cause exacte du RM demeure encore totalement inexpliquée. On estime enfin, à partir de divers travaux antérieurs conduits dans ce domaine qu'un quart de ces cas seraient dus à des mutations de gènes qui restent à découvrir. C'est dire si l'identification des gènes responsables de ces pathologies constitue donc l'enjeu majeur de la génétique médicale comme de la santé publique.Il est désormais classique de faire la part en deux groupes de pathologies : Les retards mentaux dits syndromiques, qui associent des anomalies neurologiques, morphologiques, viscérales ou biochimiques. Les gènes de RM syndromiques sont très divers et participent à de multiples processus cellulaires de sorte qu'il est souvent difficile de comprendre le lien exact entre le défaut moléculaire et la déficience cognitive observée. Les retards mentaux non syndromiques, définis par un RM isolé, sans autres anomalies cliniques. A l'inverse, les gènes responsables de ces formes de RM participent directement aux processus liés aux fonctions cognitives : mémorisation, apprentissage, comportement, etc.«Le nombre des gènes responsables de RM est estimé à environ 300 et, seuls 90 d'entre eux ont été identifiés. Parmi ces derniers, nous ne recensons que 11 gènes de RM non syndromique, tous portés par le chromosome X. Il reste donc de nombreux gènes de RM à identifier, soulignent les chercheurs de l'INSERM. L'extrême hétérogénéité génétique de ces maladies rend difficile l'utilisation des techniques classiques d'analyse de liaison génétique.» L'équipe de Laurence Colleaux a donc choisi d'appliquer une nouvelle stratégie qui s'appuie sur l'étude de patients issus de mariages consanguins. L'étroite interaction de l'Unité de recherche INSERM avec le Département de génétique médicale de l'Hôpital Necker-Enfants Malades a facilité la mise en place de cette étude et cette approche a démontré sa pertinence puisqu'elle a permis d'identifier, dans deux familles, une mutation d'un gène porté par le chromosome 4. Ce gène, très fortement exprimé dans le cerveau, assure la synthèse de la neurotrypsine, un membre de la famille des sérines protéases. Les travaux de l'équipe INSERM démontrent que la neurotrypsine est une protéine vraisemblablement impliquée dans la transmission synaptique.«Outre le fait qu'il s'agit de la caractérisation du premier gène de RM non syndromique porté par un chromosome non sexuel, ces résultats ouvrent de nombreuses perspectives dans le domaine de la génétique médicale et de la neurobiologie. Il s'agit en effet de la première démonstration qu'un dysfonctionnement dans le mécanisme de transmission synaptique pourrait conduire à un déficit intellectuel. Reste maintenant à décoder la cascade de gènes impliqués dans ce mécanisme et leur rôle éventuel dans d'autres RM, résument les chercheurs. D'un point de vue médical, la caractérisation de la mutation à l'origine de cette maladie est une avancée majeure pour les familles concernées. La détection précoce de cette mutation permettrait en effet d'éviter d'autres investigations coûteuses et parfois pénibles. L'établissement du diagnostic permettrait également de proposer un conseil génétique aux patients porteurs du gène muté, notamment pour estimer les risques de transmission à leurs enfants. Enfin, il permettrait de donner des éléments de réponse quant à l'évolution du ou des handicaps associés et aux possibilités de prises en charge thérapeutiques et/ou éducatives.»1 Molinari F, Rio M, Meskenaite V, Encha-Razavi F, Augé J, Bacq D, Briault S, Vekemans M, Munnich A, Attié-Bitach T, Sonderegger P, Colleaux L. Truncating neurotrypsin mutation in autosomal recessive non-syndromic mental retardation. Science 2002 ; 298 : 1779-81.