En février 2001, une équipe de chercheurs s'est rendue à Chennai (Madras), 6 millions d'habitants, sur le Golfe du Bengale. L'objectif : interroger ceux qui vendent un rein pour une poignée de dollars, et évaluer l'impact de cette opération sur leur santé et leur situation économique (JAMA 2002 ; 288 : 1589-93). Cette enquête, menée avec toute la rigueur possible compte tenu des difficultés du terrain, démontre que les «vendeurs» sont, de bout en bout, victimes d'une véritable exploitation.Nonante-six pour cent des 305 donneurs interrogés ont vendu leur rein pour rembourser des dettes, la plupart contractées pour nourrir le foyer. Six ans plus tard en moyenne, lorsqu'ils ont rencontré les chercheurs, leur revenu moyen avait chuté d'un tiers, alors que le revenu per capita dans l'Etat du Tamil Nadu a augmenté de 10% ces cinq dernières années. La proportion de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté a augmenté parmi les donneurs, alors qu'elle a été réduite de moitié dans l'ensemble de la population de l'Etat. Enfin, trois quarts des donneurs étaient encore endettés au moment de l'enquête. Autre fait révélateur : l'augmentation du temps écoulé depuis la néphrectomie est associée à une plus forte péjoration de leur situation économique.Facteur de paupérisation, l'opération a également un fort impact médical. Quatre-vingt-six pour cent des personnes interrogées rapportent une dégradation de leur état de santé et la moitié d'entre elles des douleurs chroniques à l'emplacement du prélévement. Septante-neuf pour cent ne recommanderaient pas la vente d'un rein, ce qui laisse supposer qu'elles avaient été peu informées des conséquences d'une néphrectomie.La législation indienne interdit depuis 1994 l'achat d'organes, elle exige que les centres de transplantation aient un comité d'autorisation chargé de vérifier que les dons soient désintéressés. Les résultats de l'étude montrent que cette disposition ne suffit pas à protéger les victimes du commerce d'organes. Seuls 5% des donneurs interrogés citent l'altruisme comme motif principal de leur décision. Et le fait de placer le processus sous la responsabilité des cliniques ne semble offrir aucune garantie de probité : la différence entre la somme promise aux patients de l'étude (1410 dollars en moyenne) et la somme effectivement versée (1070 dollars) est comparable lorsque l'organe a été acheté par un intermédiaire ou par une clinique.Les auteurs appellent les pays en développement à chercher d'autres solutions, pour éviter des prélèvements sur des donneurs sains sans lien de parenté avec les receveurs. L'Inde doit notamment se doter d'un programme de prélèvement post-mortem, estiment-ils, ou encore lutter contre l'endettement des foyers, terrible machine à asservir. Les résultats plaident également contre l'introduction d'incitatifs financiers dans les pays industrialisés. Ils pourraient aussi, mais les auteurs ne le mentionnent pas, inciter les pays du nord à lutter énergiquement contre le commerce d'organes. Selon plusieurs études citées par les auteurs, «de nombreux» reins prélevés en Inde sont greffés à des étrangers.