Surtout, ne pas sacraliser. Dans les champs mêlés de la médecine et des sciences les activités humaines ne sont pas d'une essence différente ; un truisme pour dire que face à sa paillasse le biologiste en blouse blanche est bien proche, de cet homme, les deux pieds dans un champ, dans son champ. Le flux laminaire ? C'est pour nous la rangée de vigne de cabernet franc des coteaux d'Ingrandes-de-Touraine. Le carnet de laboratoire ? C'est le cahier des vendanges. La si jolie manipulatrice ? Celle qui cueillait les haricots verts nous disions alors «haricoter» des plaines alluvionnaires de la Loire et de notre enfance réunies. La boîte de Petri de tous les travaux dirigés du boulevard Tonnelé et de notre si bel hôpital Bretonneau de Tours ? Les bouteilles de 75 centilitres que nous remplissions à la bougie dans l'antre de notre cave et qu'il neigeait sur nos vignes et le si beau millésime que fut, pour Bourgueil et Chinon, le torride 1964. Nostalgie ? Bien évidemment. Nostalgies encore trop précoces pour être véritablement exprimées, entendues. Reste, pour s'amarrer, la vérité des cycles, ces périodes qui, comme la Lune et les marées océanes réunissent, dit-on, les femmes ; des femmes dressées contre des hommes généralement définitivement trop terriens pour saisir de quoi, ici, il retourne.Vingt ans ou presque ; vingt ans comme si c'était fait. A l'heure solitairement tourangelle où merci Gould/Bach nous pianotons ces touches sur un «Times New Roman» de derrière les fagots Toshiba on entend déjà les flonflons de la fête qui s'annonce. Et quelle fête, quelle triste, quelle lugubre fête, quel rendez-vous. Nous déambulions alors, pauvre provincial lesté des enthousiasmes de Philippe Maupas (vétérinaire-pharmacien et bientôt docteur en médecine) sur les pavés de la rue du Dr Roux.Cette rue du XVe arrondissement de Paris est l'une des plus tristes qui soit. Elle le mérite bien puisque Paris n'a pas voulu d'une avenue au nom de LouisPasteur ; puisque Paris, cette cité phare devenue ville Lumière n'a pas fait pour le grand Louis ce qu'elle osa pour cet autre ambassadeur des Lumières que fût Victor Hugo et qui eut, de son vivant, une avenue portant son patronyme. Un cycle, donc, déjà marqué par les gazettes du monde titrant sur la «signature de lapaix des braves», sur l'«enterrement de lahache de la guerre» entre «deux grands hommes de science», et à n'en pas douter deux icônes pour scientistes assurant de la sorte une prochaine, probable et duale nobélisation.En l'occurrence c'est le Figaro qui, dans l'espace francophone, a tiré le plus vite en relayant, sous les deux illustres signatures, les publications du magazine américain Science. «Vingt ans après, Luc Montagnier et Robert Gallo racontent leurs recherches et signent la paix des braves» titre le quotidien français qui s'honore toujours de la sentence de Beaumarchais pour lequel il n'est, définitivement, «point d'éloge flatteur» sans la liberté de blâmer.La liberté de blâmer ? Dieu sait si l'on en fit usage au début des années 1980, quand, de part et d'autre de l'Atlantique, on s'ingéniait à découvrir l'agent causal de cette maladie hors du commun en ce qu'elle touchait les homosexuels (masculins), les hémophiles, les héroïnomanes et les Haïtiens. Loupe épidémiologique utile autant que déformante qui aida à saisir l'essentiel autant qu'à stigmatiser les victimes. C'était le temps de la maladie des «quatre H», l'époque où il était utile de s'agripper au bastingage. Le zéphyr allait devenir cyclone ; mais l'Occident n'écoutait guère, alors, les avis de tempête diffusés par voie journalistique. La rue du Dr Roux, donc, à la rencontre d'un spécialiste de virologie dont nous avions croisé le chemin quelques années auparavant à propos de l'interféron.«J'ai pour la première fois entendu parler de la «maladie des homosexuels» au début des années 1980. Il n'y avait, en France, que quelques patients atteints de cette maladie, mais l'idée de Gallo selon laquelle un rétrovirus en était la cause avait déjà traversé l'Atlantique» se souvient Montagnier dans les colonnes de Science et du Figaro. Il ajoute : «Avec le recul sur ces vingt dernières années, les controverses scientifiques et juridiques entre notre équipe et le groupe de Gallo se sont estompées. Il nous reste aujourd'hui le fait saillant que le VIH a été identifié et qu'il a été prouvé être la cause du sida moins de deux ans et demi après l'identification de cette maladie. Il a fallu deux ans de plus pour que les tests de dépistage deviennent commercialement disponibles, réduisant presque à néant la transmission du sida par le biais des transfusions sanguines dans les pays développés.»Quid des «controverses» ? Quid de la lecture de «Bob» Gallo ? Guéri de notre nostalgie, nous y reviendrons la semaine prochaine.(A suivre)