Les historiens des sciences, les épistémologues comme tous les esprits curieux de ce siècle vagissant autant que ceux de celui qui vient de mourir porteront leur regard leur jugement sur la une de l'hebdomadaire scientifique Nature daté du 5 décembre. Solennelle en diable, la revue annonce l'achèvement ou presque du décryptage du patrimoine héréditaire de la souris. L'affaire n'émeut plus ; ou plus guère les hommes de science, les médecins, les humanistes rompus à trop d'annonces similaires dont il est le plus souvent aisé de décrypter l'écheveau publicitaire et institutionnel. On aurait tort, ici, de s'opposer à un jet de plaisir, de salivation canine et pavlovienne. Car il s'agit bel et bien de la souris, notre amie la souris ; décalque amical et lumineux de ce monstre nocturne qu'est le rat, ses hordes et ses flûtes. Disney versus la peste ; Mickey Mouse la gentille et Ratus l'immonde, les égouts dont il vient, la charogne humaine dont il aimerait se nourrir. La belle affaire.Ce séquençage n'était pas attendu avant, au mieux, 2003. Il aura donc, en définitive, été réalisé plus rapidement qu'annoncé grâce notamment à la collaboration des chercheurs travaillant aux Etats-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne, ainsi de manière connexe, qu'en Suisse et au Japon. Résumons : le génome de Mus musculus est d'environ 14% inférieur à celui de l'Homo sapiens.«Pour la communauté scientifique, cet événement est comparable au séquençage du génome humain», estime Allan Bradley, directeur du Wellcome Trust Sanger Institute de Cambridge (Grande-Bretagne), l'une des unités de séquençage les plus puissantes au monde, qui a participé à cette entreprise achevée par des institutions publiques.Depuis un siècle, la souris est l'animal privilégié de la biologie et de la recherche médicale. Les informations génétiques vont enrichir les observations physiologiques, cliniques et comportementales et permettre des comparaisons inédites entre les génomes des espèces murine et humaine. Les responsables du programme international de séquençage du génome humain, lancé en 1990 et aujourd'hui arrivé quasiment à son terme, avaient annoncé que la même entreprise devait, en toute logique, être conduite sur la souris. Pour reprendre l'image utilisée par Mark S. Boguski (Fred Hutchinson Cancer Research Center, Washington) dans les colonnes de Nature, les biologistes travaillaient jusqu'ici, avec la souris, «dans le noir». Pour lui, le séquençage du génome murin vient soudain «illuminer» le champ de leurs recherches. «L'ensemble de ces résultats constitue une publication à tous égards remarquable, a déclaré au Monde le Pr Philip Avner (CNRS), directeur de l'unité de la génétique moléculaire murine à l'Institut Pasteur de Paris. Nous entrons dans une nouvelle dimension de la recherche en biologie.»Les premiers enseignements concrets ? Le génome de Mus musculus est, environ, de 14% inférieur à celui de l'Homo sapiens : 2,5 milliards de paires de bases contre 2,9 milliards. Plus de 90% des génomes murin et humain peuvent être classés dans des régions similaires qui ont été conservées durant l'évolution. Tout indique que ces deux espèces avaient il y a 65 millions d'années au minimum, 100 millions au maximum un ancêtre commun. Au niveau nucléotidique, on découvre qu'environ 40% du génome humain est superposable au génome de la souris. Au total, chacun des deux génomes semble contenir environ 30 000 gènes pouvant diriger la synthèse de protéines. Environ 80% des 30 000 gènes de la souris sont présents dans le génome humain. Quant à la proportion des gènes qui apparaissent ne pas pouvoir, directement ou non, être retrouvés dans l'autre espèce, elle est, selon les responsables du Mouse Genome Sequencing Consortium, selon toute vraisemblance inférieure à 1%.«L'analyse des deux séquences va également être riche d'enseignements sur la dynamique d'évolution génétique au travers des "répétitions" du génome», a expliqué au Monde William Saurin, ancien directeur de l'informatique du Centre national français de séquençage, aujourd'hui président de la société Genomining. Ces zones, qui peuvent représenter jusqu'à 20% du génome, ne correspondent apparemment pas à une fonction. Certaines pourraient être parasitaires d'origine rétrovirale. Elles se répartissent dans le génome au fil du temps, révélant la vitesse des processus évolutifs. «Il apparaît déjà que l'évolution du génome murin est environ deux fois plus rapide que celle du génome humain, souligne le Pr Avner. Le séquençage va d'autre part pouvoir être croisé avec les multiples enseignements issus des travaux menés sur les souris transgéniques et ceux des programmes de mutagenèse chimique.»Néanmoins, l'époque est définitivement révolue, morte, où l'on pensait que le gène était seul au centre d'un système qu'il dirigeait. En fait, de grands pans de savoir restent à acquérir pour construire une image fidèle des rapports entretenus par tout l'ADN, gènes et non-gènes, avec l'ensemble de ce qui est issu de cette molécule. Sur ce chemin qui promet d'être long, l'aide de la souris sera très précieuse. Un cillement ? Un mouvement ? Un geste ? Une révolte ? Sire, serait-ce une révolution ? Si oui, qu'on leur donne cette brioche, gustative avant d'être abdominale qui leur manque tant. Dans l'attente, on se reportera avec le plus grand intérêt à la lecture politiquement hautement incorrecte du lumineux ouvrage : «Ni Dieu ni Gène» de Jean-Jacques Kupiec et Pierre Sonigo (Editions du Seuil).