Qui nous dira un jour pourquoi tant de rencontres scientifiques et médicales internationales de haute tenue ne peuvent se tenir que dans des palaces ? L'intendance qui suit quand elle ne précède pas, sans doute ? La sourde épaisseur des moquettes et la surdité de murs qui en ont tant et tant entendu ? La jouissance de la transmutation qui conduit les hommes de science à quitter leurs carrelages sous flux laminaires, leurs animaleries inhumaines pour de grands et beaux volumes de pleine humanité ? Plus prosaïquement, le luxe d'un jour, l'ivresse passagère, la reconnaissance subite et éclatante que si nous ne sommes pas dans l'ère de la «République des Savants» nous n'en sommes tout bien pressenti plus guère loin.
L'Impérial d'Annecy, hier, pour le XIIIe colloque des Cent Gardes sur le sida ; le Lutétia, rive gauche de la Seine, pour les thérapeutiques balbutiantes contre les maladies dues à des prions pathologiques. Etonnante rencontre organisée sous les lustres d'un établissement à l'histoire chargée de terrible symbolique l'occupation nazie et renvoyant à de bouleversantes impasses.
Les «maladies à prions», on ne le sait que trop, correspondent aujourd'hui à ce que furent la diphtérie ou le tétanos avant l'émergence des Lumières médicales post-pastoriennes. De ce point de vue, elles constituent le parfait et fidèle reflet de cette terrible inadéquation entre le savoir et le pouvoir ; la lutte si l'on osait entre ce que, des siècles durant, on avait pris soin de désigner sous les jolies appellations du Bien et du Mal. Sous les ors du Lutétia, on ne dit rien d'autre ; ou presque. Résumons à l'excès. La physiopathologie des processus qui incluent les formes animales et humaines de la maladie de la vache folle est connue, pense-t-on, pour l'essentiel. Il s'agit ici de la transformation configurationnelle nous sommes en trois dimensions d'une protéine, le prion.
Le prion, les prions ! Aussi étonnant, curieux, insupportable que cela puisse être, il faut ici rappeler que nul ne peut dire les participants de la rencontre parisienne, les lecteurs de ces lignes la fonction de cette molécule dont on connaît le gène, les acides aminés, les silhouettes normale et pathologique, la haute et troublante conservation dans les structures vivantes. Alors ? Quelques certitudes, doctement rappelées sur les berges de la Seine par le Pr Dominique Dormont et ses collègues français, allemands ; par le Pr Stanley Prusiner aussi, célèbre prix Nobel de médecine californien, qui pousse la coquetterie à ne plus jamais vouloir rencontrer les médias ; et qui, quand il accepte la rencontre, déclare sentencieusement qu'il parlera mais que nul dans la salle sera en mesure de saisir la portée de la leçon, sinon de l'oracle.
Dominique Dormont, donc, scientifique et pédagogue, savant et militaire, qui c'est le CNRS qui parle possède «une expertise unique dans le domaine des prions, de leur transmission et de leur traitement». Ruth Gabizon qui «dirige une équipe de recherche au sein du département de neurologie de l'hôpital universitaire d'Hadassah (Jérusalem)» et qui «s'intéresse au diagnostic et au traitement des maladies à prions». Sylvain Lehmann, patron d'une équipe de dix personnes qui, à Montpellier, travaillent sur la «biologie des prions». Alexander Bürkle (Université de Constance) qui s'aventure sur les frontières de la thérapie génique ou cellulaire applicable aux encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles. Jean-Philippe Brandel, neurologue à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris et responsable d'un essai clinique controversé sur l'apport théorique de la Quinacrine dans la thérapeutique de ces affections.
Et, donc, last but not least, le Pr Stanley Prusiner, prix Nobel de médecine 1997, uvrant toujours au sein de l'université de Californie à San Francisco ; Prusiner lui-même à l'origine de l'hypothèse du concept ? des «prions», terme qu'il a proposé il y a une décennie pour définir une nouvelle catégorie d'agent pathogène de nature protéique, dépourvue de structures directement génétiques ; une vraie et belle révolution dans les champs dès lors mêlés de l'infectiologie et de la non-conventionnalité académique. Prusiner dont le CNRS nous dit que son groupe «est à l'origine de nombreuses publications dans ce domaine parmi lesquelles celle qui propose l'utilisation de la Quinacrine chez les patients atteints de maladie de Creutzfeldt-Jakob.»
Prusiner, Creutzfeldt et Jakob, la Californie, la maladie de la vache folle et sa transmission à l'homme, l'insupportable souffrance, le refus de toute forme d'impuissance thérapeutique face au mal triomphant et peut-être bientôt, galopant ; c'en était trop. Qu'allait nous offrir la raison raisonnante, le savoir absolu ? Ce fut, notamment, la Quinacrine dont on évoqua l'existence à la tribune du palace Lutétia. Dans une prochaine page de ce journal, nous résumerons les sujets et cernerons le bien maigre état de la thérapeutique dans ce domaine.
(A suivre)