Curieuse manière qu'ont les médias de faire leur boulot. «Eve, premier enfant cloné», a-t-on lu et entendu, au moment où le passage d'une année à l'autre donne envie de croire à une naissance extraordinaire. Et tout le monde a remis une couche ce week-end, annonçant un nouveau clone. A-t-on la moindre preuve de quoi que ce soit ? Non. Les gens qui ont pratiqué les manipulations biologiques sont-ils du genre fiable (au moins scientifiquement) ? Non, pas pour un clou. Pourquoi alors proclamer la nouvelle sur la seule bonne foi d'une secte de parfaite mauvaise foi ? Pourquoi faire taire tout esprit critique, toute retenue en faisant le jeu de dangereux manipulateurs d'opinion, en prenant au sérieux leurs communiqués fantaisistes distillés par une porte-parole sapée comme une candidate à Star Academy ? Parce que l'ensemble des autres médias en parlent et que, mince, s'il y a bien quelque chose qui inquiète les foules et donc fait vendre de l'info c'est le clonage, répondent les journalistes, un peu gênés, quand on les cuisine. Voilà. Vérifier la réalité gâche le spectacle : on la réceptionne, on la vend, et on verra bien après. Ce ne sont pas les seuls médias qui baissent les bras, dans cette affaire, c'est le monde, pris aux tripes par sa boulimie d'actualité, sa façon de se nourrir sans réfléchir de tout ce qui lui fait peur. C'est nous qui, drogués à nos petites angoisses de téléspectateurs, nous découvrons incapables d'imaginer une véritable réponse au clonage humain. Ce qui nous manque, pour le situer dans nos valeurs et notre futur et d'abord pour remettre à sa place sa piteuse mise en scène c'est le courage de penser, de s'opposer, d'exiger....Exiger d'y voir clair, refuser de se faire balancer son futur par une starlette de secte aux paroles mielleuses, le soir, à la télévision, comme si le monde de clonage sauvage qui nous attend devait nous rendre parfaitement heureux, est-ce se montrer réactionnaire, cela ? Non. Ce n'est pas que ayons l'impression que c'était mieux «avant». Nous sommes, vous et moi, comme l'écrit Sollers, «résolument pour la science, la paix, le contrôle des naissances, le métissage, l'émancipation des femmes, le droit d'ingérence humanitaire». Mais cette histoire de clonage sent mauvais. La secte en prime time, c'est tout sauf un bon pressentiment....Joli petit essai de Umberto Eco sur la guerre.1 En termes moraux ou émotionnels, on peut (en cherchant bien) lui trouver des justifications. Mais pas en termes d'intérêts pour l'humanité. D'abord, les nouvelles technologies miliaires ont rendu la guerre humainement «déraisonnable». Ensuite, l'information mondialisée a donné un coup de grâce à la vieille propagande (laquelle est le nerf de la guerre, comme on le sait) : non seulement cette information supprime toute possibilité de stratégie de surprise, mais surtout elle mine la certitude de la cause juste et rend trouble la pureté de la haine de l'ennemi (car elle lui donne la parole et la parole ne peut cohabiter avec la haine absolue). Ce qui change enfin, et enlève tout «intérêt» à la guerre, c'est que le pouvoir, dans l'époque moderne, n'est plus monolithique : «il est diffus, parcellisé, fait de continuelles agglomération et désagrégation de consensus. La guerre ne met plus en face deux parties, elle met en concurrence d'infinis pouvoirs». D'une guerre n'émerge donc plus de véritable vainqueur (y en a-t-il jamais eu, d'ailleurs ?), mais un incertain réajustement des pouvoirs et de nouveaux déséquilibres.La raison majeure d'espérer, selon Eco, ce n'est pourtant pas dans tout cela qu'il faut d'abord la chercher, mais bien plutôt du côté du commerce. Là, c'est peu dire que l'intérêt de la guerre s'émousse. Si l'ancienne guerre engraissait les marchands de canons, la nouvelle, en plus, «met en crise (et cela sur l'ensemble du globe) les industries du transport aérien, du divertissement, du tourisme, des médias eux-mêmes (qui perdent de la publicité commerciale), et en général toute l'industrie du superflu, de l'immobilier à l'automobile». Bref, si l'industrie des armes a besoin de guerre et de tension, l'autre industrie, la moderne, celle de la consommation individuelle, celle qui domine la Bourse, a besoin de paix et de bonheur. Contre la tentation de néo-guerre, la puissante industrie mondiale de la consommation devrait logiquement l'emporter....Pas sûr cependant que Eco ait raison. Pas sûr que l'avidité et les intérêts de la majorité finissent par faire la loi dans la marche du monde. Car il y a aussi le mal. Il y a l'orgueil des chefs, les pouvoirs mafieux liés aux marchands de canon, les volontés irrationnelles de toutes sortes. Il y a surtout, encore plus profondément, la violence qui surgit, elle que René Girard, dans un recueil qu'il vient de sortir, appelle «La voix méconnue du réel».2 Pourquoi «méconnue» ? Parce qu'elle nous dérange, dit-il. Parce que la plupart des théories politiques ou sociologiques ne veulent pas voir que la violence se trouvait à l'uvre dans toutes les civilisations et le reste dans la nôtre, qu'une grande partie de nos mythes, jusqu'à la ritualisation moderne de l'échange et du commerce, ont comme premier but d'éviter le surgissement du chaos primitif, l'effondrement brutal des rapports civilisés, toujours menaçant. Or c'est à partir de ces catégories de la violence avant tout qu'il faut penser le nouveau monde, avant de se gargariser de science ou de couvrir l'époque de paillettes, ou encore de lui tresser des louanges en progrès de Droits de l'homme.