Nous parcourons cette année les acquisitions thérapeutiques dermatologiques sous la forme d'un journal club. L'année 2002 a été marquée par l'extension du spectre d'utilisation des immunomodulateurs topiques tels que le tacrolimus et l'imiquimod et par la mise sur le marché suisse du Daivobet® qui est la combinaison de deux produits (calcipotriol et dipropionate de bétaméthasone) bien connus et utilisés depuis plusieurs années dans le traitement topique du psoriasis.
Avec l'expérience et le temps, les indications des nouveaux médicaments, tout naturellement, s'élargissent. Les utilisateurs du tacrolimus topique savent que le produit est bien toléré sur le visage (après les deux ou trois premières applications qui peuvent induire des sensations de brûlures). Surtout, l'application prolongée n'induit pas d'atrophie. Dès lors, on a spontanément tendance à proposer ce produit anti-inflammatoire aussi efficace que les stéroïdes aux patients qui ont une dermatose inflammatoire du visage : rosacée, dermite séborrhéique, dermatose mixte, dermite allergique de contact chronique aux cosmétiques, lupus érythémateux chronique,1 etc. Dans une étude préliminaire portant sur trois patients atteints de rosacée stéroïdienne, le sevrage des stéroïdes a été obtenu en dix jours sans rebond.2 Nous avons une expérience similaire à Genève, et les problèmes qui se posent pour tous ces patients ne sont pas l'efficacité du traitement (claire) mais son organisation : remboursement, surveillance (risque d'herpès), sevrage. En dehors des dermatoses faciales, le tacrolimus a été utilisé pour traiter le vitiligo,3 le pyoderma gangrenosum,4 le lichen plan érosif buccal,5 la sarcoïdose cutanée.6
L'imiquimod (Aldara®), un inducteur de cytokines, est reconnu pour le traitement des condylomes (infection à HPV). Son spectre d'utilisation s'est aussi considérablement élargi durant ces derniers mois avec des résultats très encourageants :7 kératoses actiniques, néoplasie intra-épithéliale vulvaire, cheilite actinique, carcinome basocellulaire, molluscum contagiosum, prophylaxie des chéloïdes, carcinome spinocellulaire, maladie de Bowen, maladie de Paget extramammaire, granulome annulaire... Comme toujours avec les nouveaux traitements, il faut se faire sa propre expérience.
Les dermocorticoïdes et les dérivés de la vitamine D sont deux classes de médicaments bien établis dans le traitement du psoriasis qui agissent principalement sur l'inflammation et la différenciation kératinocytaire respectivement. Le challenge était de les réunir dans la même préparation en raison de propriétés physico-chimiques différentes. Le calcipotriol requiert un milieu alcalin alors que le propionate de bétaméthasone un milieu acide. Depuis cet été, nous disposons en Suisse d'une pommade qui réunit ces produits sous le nom de Daivobet®. Deux applications par jour pendant quatre semaines de Daivobet® permettent de réduire le Psoriasis Area Severity Index de 74% alors que le calcipotriol et dipropionate de bétaméthasone le réduisent de 55% et 61% respectivement.8 L'administration de Daivobet® une fois par jour s'est révélée aussi efficace que deux fois par jour.9 Le Daivobet® est certainement un plus dans la prise en charge du psoriasis, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il contient un dermocorticoïde et qu'un sevrage s'impose.
Le pimecrolimus (Elidel®) est un immunomodulateur de la famille des macrolides qui partage le même mécanisme d'action que la ciclosporine : il freine la production de cytokines par les cellules T via l'inhibition de la calcineurine. Ses principales indications en application topique sont les maladies inflammatoires de la peau et plus particulièrement la dermatite atopique. Contrairement aux dermocorticoïdes, il n'induit pas d'atrophie cutanée. L'arrivée de ce produit en utilisation topique sur le marché suisse est prévue pour le premier semestre de cette année. Après avoir obtenu de probants résultats sous occlusion, son efficacité par voie orale a été testée dans le psoriasis dans une étude randomisée, contrôlée, en double aveugle. Il s'agit de la première étude où le pimecrolimus est administré par voie systémique chez l'homme : 20 mg 2 x/j et 30 mg 2 x/j pendant quatre semaines ont permis d'obtenir une régression du Psoriasis Area and Severity Index (PASI) de 60% et 75% respectivement. A l'arrêt du traitement, aucun phénomène de rebond n'a été observé ; la rechute survenant en moyenne après huit semaines. Contrairement à la ciclosporine et au tacrolimus et de manière inexpliquée, aucun paramètre biologique (immunosuppression, intolérance au glucose, hypertension, anomalies de l'ECG) n'a été perturbé. Le seul effet indésirable rapporté est une sensation de chaleur préthoracique peu importante. Sa faible toxicité, si elle se confirme, sera un atout majeur par rapport aux autres traitements systémiques du psoriasis ; reste encore à le situer parmi les nouveaux traitements biologiques du psoriasis (anti-TNF a ; alefacept ; efalizumab).
Les anti-TNF a, commercialisés pour le traitement de la maladie de Crohn et de la polyarthrite rhumatoïde se profilent de plus en plus pour le traitement du psoriasis. Ces produits ne sont pas encore enregistrés pour cette indication en Suisse, mais certains patients atteints de psoriasis graves pourraient être ainsi traités. En revanche, de nombreux patients atteints de maladie de Crohn et de la polyarthrite rhumatoïde reçoivent ces traitements et sont donc exposés à leurs effets secondaires. Les plus fréquents sont les infections, dont la tuberculose (pas encore de tuberculose cutanée révélatrice) ; dans une série publiée dans le Journal of American Academy of Dermatology, on décrit sept patients atteints de polyarthrite rhumatoïde qui développent des carcinomes spinocellulaires de la peau, à croissance rapide, après deux à quatre mois de traitement par l'étanercept. Comme pour les patients greffés (rein, cur, moelle), les patients traités par anti-TNF a devront subir une surveillance dermatologique régulière.
A l'heure où les produits de la biotechnologie essayent de se faire une place dans le traitement des maladies inflammatoires chroniques, dont le psoriasis, il est utile de rappeler les effets des produits établis. L'utilisation du méthotrexate au long cours dans le psoriasis est souvent perçue par le dermatologue comme une entreprise périlleuse. Les données sont pourtant rassurantes, et l'exemple de la polyarthrite rhumatoïde, qui implique plus de patients et pour des durées plus prolongées de traitement par le méthotrexate, mérite d'être observé régulièrement. Cette étude prospective du Lancet, concerne 1240 sujets atteints de polyarthrite rhumatoïde, dont 588 traités par méthotrexate et suivis pendant 18 ans. 191 décès sont survenus durant l'étude. Tous facteurs confondus examinés, le fait d'avoir reçu du méthotrexate était associé à une nette diminution de la mortalité, surtout cardiovasculaire. Le risque relatif (RR) de décès avec méthotrexate était de 0,4 (95% IC, 0,2-0,8), alors que le RR le plus bas concernait les accidents cardiaques mortels (0,3) contre 0,6 pour les accidents mortels non cardiaques. Ce que les auteurs appellent le «bénéfice de survie» associé à la prise du méthotrexate deviendra sans doute un critère de comparaison pour les nouveaux traitements. Une telle étude serait la bienvenue dans le psoriasis mais il n'est sans doute pas faux d'en extrapoler les résultats pour cette indication aussi.
Cette question pourrait sembler provocante, si elle n'était pas soutenue par une étude parue dans ce prestigieux journal ; d'autant plus qu'en apparence la réponse est oui ! Les corticoïdes topiques sont supérieurs, dans les conditions de l'étude, à la corticothérapie générale pour traiter la pemphigoïde bulleuse. Malgré le journal prestigieux, le fait qu'il soit bien rare qu'un groupe de dermatologues puisse y publier une étude clinique, malgré la qualité technique de l'étude conduite par le «groupe français de l'étude des maladies bulleuses», on ne peut pas accepter cette proposition sans un certain malaise. Ce malaise tient à plusieurs faits : 1) la mortalité de la pemphigoïde bulleuse dans cette série est très élevée, ce qui fait suspecter un biais de sélection ; 2) le traitement administré en comparaison à l'application de stéroïdes topiques est la prednisone seule, à des doses importantes pour un sujet âgé, (1 mg/kg, ce que nous n'utilisons jamais) et surtout sans administration d'un immunosuppresseur à faibles doses, qui permet d'économiser la prednisone ; ainsi, le choix du meilleur traitement comparateur est erroné, voire éthiquement contestable, en raison du risque qu'il fait courir au patient (d'où la forte mortalité ?) ; 3) l'application de stéroïdes topiques, le dermovate 40 grammes/jour pendant plusieurs semaines, semble être une manuvre bien contestable et difficile à surveiller chez le sujet âgé. Bref, en comparant même très soigneusement, deux caricatures, on ne s'approche pas de la réalité !
L'hormonothérapie de la ménopause, ou hormone replacement therapy (HRT) est toujours l'objet de débats sur les avantages (bien-être, osseux, etc.) qu'elle apporte et les risques qu'elle fait courir (cancers du sein et de l'endomètre). Sur le plan dermatologique, les avantages sont probables en termes de vieillissement cutané, mais cet aspect cosmétique n'a jamais officiellement justifié l'emploi de l'HRT. David Margolis, un dermato-épidémiologiste de Philadelphie, déplace le problème sur un terrain plus médical, celui des plaies chroniques (ulcères de jambe et escarres de décubitus) ; en effet, on sait que les strogènes ont un effet bénéfique sur la cicatrisation et la trophicité cutanée. Il a donc étudié dans deux études dites «cas-cohorte» si l'utilisation de HRT était associée à l'apparition de moins d'ulcères de jambe ou d'escarres de décubitus. Il montre que, chez les femmes qui utilisent l'HRT, le risque de faire un ulcère de jambe ou une escarre de décubitus est diminué de 30 à 40%. Comme la prévalence de ces affections n'est pas négligeable en termes de coûts de la santé (1774 ulcères de jambe sur une population de 44 195 femmes de plus de 65 ans, soit 2,5% dans cette étude), une telle diminution revêt un intérêt certain. A quand l'utilisation de l'strogénothérapie topique de l'HRT sur les jambes plutôt que sur l'abdomen ?
Le produit n'est pas encore distribué en Suisse, mais cela ne tardera pas (aux Etats-Unis Solaraze®) ; il s'agit du diclofénac (Voltarene®, Flector®) à 3% dans un gel d'acide hyaluronique à 2,5%. L'utilisation inattendue d'un AINS repose sur l'extrapolation suivante : les métabolites de l'acide arachidonique produits par la cyclo-oxygénase favorisent la carcinogenèse. L'inhibition de ce métabolisme pourrait être un facteur de prévention des cancers digestifs. Quant au rôle de l'acide hyaluronique, il n'est pas approfondi ; il a été utilisé comme véhicule, mais pourrait aussi avoir des propriétés anti-inflammatoires. L'intérêt et l'étonnement suscités par les résultats de l'application de Solaraze®, notamment rapportés dans cet article, sont qu'elle serait douée d'un effet thérapeutique, et non seulement préventif dans les kératoses actiniques. En fait, cet effet semble modeste (30% des lésions répondent), et incomplet même si la photographie publiée dans l'article est rien moins que spectaculaire ! La bonne nouvelle serait la tolérance (sans doute meilleure que le fluorouracil), mais qui n'est en fait pas parfaite (brûlures et dermite de contact). Bref, chacun devra se faire son opinion en pratique, chez des patients qui ont tout essayé et n'acceptent plus le fluorouracil, la cryothérapie, voire la thérapie photodynamique, etc. C'est ce que le marketing appelle «une petite niche dans un marché en expansion».
L'aciclovir a révolutionné le traitement de l'infection à VHS 1 et 2 (herpes simplex virus). Après deux décennies, sa remarquable tolérance et son efficacité ne se sont pas démenties. Chez l'adulte atteint d'herpès récurrent, il contribue significativement à l'amélioration de la qualité de vie, chez l'immunodéprimé et le nouveau-né il sauve des vies. Le seul problème est la résistance de certaines souches, au demeurant rares, sauf chez les patients infectés par le VIH, où elle peut atteindre 6% des cas. Cette résistance s'étend aux analogues de l'aciclovir qui agissent par le même mécanisme, l'inhibition de l'ADN polymérase viral. Voilà que des molécules actives sur une autre cible moléculaire ont été identifiées. C'est l'uvre de deux compagnies pharmaceutiques, Boehringer et Bayer, qui ont chacune des molécules qui bloquent la synthèse de l'ADN viral par un mécanisme distinct de celui de l'aciclovir : à savoir l'inhibition de l'hélicase primase du VHS. Dans des modèles animaux prédictifs de l'infection humaine, ces produits se montrent très efficaces sur VHS 1 et 2 mais pas VZV (varicella zoster virus) ! L'avantage par rapport à l'aciclovir serait une efficacité lors d'une administration tardive, et peut-être une diminution des récurrences. On attend avec impatience les premières études humaines !