Le 26 décembre 2002 est née quelque part Eve, dont les Raéliens ont prétendu qu'elle est le fruit d'un clonage : issue d'une cellule de sa mère, elle en serait au plan biologique et physique la copie à l'identique. Remarques sur l'émoi justifié suscité. D'abord, techniquement, le clonage est réalisable ; depuis la brebis Dolly en Ecosse en 1997, des dizaines d'animaux sont nés ainsi ; le clonage marche chez les ruminants mais ses résultats ne sont pas bons chez la souris par exemple (taux d'échec très élevé, anomalies). En serait-il pour l'homme comme pour la vache ou pour la souris ? Le fait est néanmoins que le clonage humain est possible.Mais là n'est pas l'enjeu principal. C'est une de ces situations, qui vont en augmentant, où les possibilités pratiques de la science doivent être soumises à un examen global pluridisciplinaire serré et à des préconditions de nature éthique et juridique. Il s'agit de savoir si l'humanité est responsable en permettant ce genre d'acrobatie de laboratoire. Je souligne que, comme l'ont dit ces jours des porte-parole religieux, il ne saurait être question, le cas échéant, de rejeter les enfants clonés, qui devraient être accueillis comme n'importe quel nouveau-né. Mais cela n'empêche pas qu'il puisse être légitime de prohiber la pratique et de poursuivre ceux qui la mettent en uvre.D'autres plus connus que moi ont parlé de crime contre l'humanité. On peut pour le moins parler d'irresponsabilité majeure. Dans un excellent ouvrage1 que je lisais pendant les fêtes, André Comte-Sponville discute la définition de l'Homme. Ce philosophe français connu arrive à la conclusion que, même si cela paraît simpliste, «Est un être humain tout être né de deux êtres humains». Le lecteur intéressé pourra se référer au dit ouvrage afin de voir pourquoi l'auteur fait ce choix, plutôt que de retenir le fait de parler ou d'avoir une conscience ou des capacités créatrices. L'intéressant, c'est que cette définition propose une réponse conceptuelle à la demande d'une règle, que formulent vivement aujourd'hui les instances civiles et politiques.Pourquoi pourrait-on souhaiter créer une copie conforme de soi-même ? Dira-t-on que c'est compréhensible pour un génie, un prix Nobel, un athlète exceptionnel ? Mais n'est-ce pas une perversion, en tout cas une extraordinaire manifestation d'orgueil (étant entendu par ailleurs qu'une copie physique de soi-même ne sera pas la même personne, dans la mesure où elle naîtra des années plus tard et où les conditions culturelles et d'environnement jouent un grand rôle dans le développement de notre personnalité) ? Certains esprits se voulant indépendants de l'éthiquement correct disent qu'on s'habituera à l'idée du clonage comme à beaucoup d'autres. Possible, mais ce sera à mon sens une manifestation encore de l'égocentrisme qui rend aujourd'hui plus difficile la vie en société ; même si cet argument ne convaincra pas les absolutistes du libertarisme. En bref, n'est-il pas plus satisfaisant, plus réjouissant, d'adopter la définition qu'un être humain est issu de deux personnes et d'en tirer les conséquences ?Concrètement, il est vraisemblable que nous n'échapperons pas aux médecins fous et que, quelque part, naîtront des clones. Cas échéant, ils auront le droit de vivre, bien sûr, mais cela n'enlève rien au besoin de créer au niveau mondial des bases légales mettant cette pratique hors la loi et hors les conduites humaines acceptables. Comte-Sponville écrit «la médecine combat les maladies mais l'humanité n'en est pas une». En début de siècle, il faut redire que nous ne sommes pas condamnés à suivre le «progrès» dans tous ses avatars imaginables. Aussi ardu que cela soit, l'humanité (ceux qui la composent et ce qu'elle signifie) doit en garder la maîtrise. En serons-nous capables, that is the question. Comte-Sponville encore : «L'humanité n'est pas un jeu, c'est un enjeu».1 Comte-Sponville A. Présentations de la philosophie. Paris : Albin Michel, 2000.