Nous poursuivons ici l'analyse de l'avis rendu il y a peu en France par le Conseil national du sida (CNS) relatif aux difficultés médicales, juridiques et éthiques de la conduite à tenir après une agression sexuelle (Médecine et Hygiène du 15 janvier 2003). Question centrale, aujourd'hui au cur d'une vive controverse : faut-il pratiquer de manière systématique y compris le cas échéant sous la contrainte le dépistage de l'infection par le VIH chez le(s) agresseur(s) pour aider à la décision médicale de l'administration d'un traitement antirétroviral ?
Pour le CNS, l'essentiel réside ici dans la mise en place d'«une procédure médico-judiciaire claire et efficace qui favorise l'obtention du consentement.»
«Dans le souci d'apporter le plus grand réconfort possible à la personne violée, le CNS réaffirme l'importance d'une prise en charge physique et psychologique appropriée et immédiate, et d'un traitement prophylactique, peut-on lire dans l'avis. Cela requiert une organisation adéquate des services d'urgence des hôpitaux vers lesquels sont prioritairement adressées les victimes. A cet effet, un accueil médico-psychologique spécifique, conduisant in fine à un médecin compétent dans le domaine du VIH doit être proposé. Il est important également que policiers et gendarmes aient connaissance de ces impératifs d'ordre médical et psychologique et fassent prévaloir l'urgence sanitaire sur la procédure administrative du dépôt de plainte, par ailleurs nécessaire. Enfin, la possibilité d'obtenir des traitements antirétroviraux en cas d'exposition sexuelle doit être connue de tous et doit, pour cela, faire l'objet d'une information régulière du public.» Parallèlement, ajoute le CNS, une procédure de recueil du consentement du suspect, conforme aux principes du dépistage du VIH/sida (libre consentement et confidentialité), doit être prévue dans les délais permettant une éventuelle suspension du traitement.
Pour la mise en uvre d'une procédure médico-judicaire efficace, les membres de ce Conseil jugent nécessaire de bien connaître la façon dont se déroule, à l'heure actuelle, la procédure à l'encontre d'une personne suspectée de viol. «Il n'est pas inutile de rappeler que les "temps" de la procédure judiciaire et de la procédure médicale ne coïncident généralement pas, précisent-ils. Il est rare en effet que le (ou les) suspect(s) soi(en)t interpellé(s) en flagrant délit ou dans les heures qui suivent le viol.
Dans les cas de viols d'enfants, on constate qu'il s'agit souvent de faits répétés perpétrés par un membre de l'entourage de l'enfant. Les faits sont dès lors fréquemment rapportés ou découverts des mois, voire des années après les premiers actes, ce qui rend peu pertinente toute action prophylactique d'urgence.»
On ajoutera que les situations de viol recouvrent des réalités très disparates dont il faut tenir compte. L'agresseur peut tout d'abord ne pas être identifié par la victime. Il peut aussi être identifié mais en fuite. Il peut enfin avoir été interpellé. Dans ce dernier cas, le suspect peut : avouer et reconnaître le viol ; reconnaître qu'il y a eu rapport sexuel mais nier le caractère contraint de celui-ci ; nier tout rapprochement sexuel. De plus, comme on le sait, il peut y avoir viol sans rapport sexuel.
Enfin, la réflexion sur la procédure médico-judiciaire à mettre en place ne saurait se limiter aux seuls cas, pourtant dramatiques, des viols sur mineurs. En effet, il s'agit de contribuer, d'un point de vue de santé publique, à l'élaboration d'une procédure globale capable de répondre à tous les cas de risques de contamination liés à des agressions sexuelles.
A cette fin, le Conseil national du sida préconise «qu'un médecin soit requis par l'autorité judiciaire pour une visite médicale qui pourrait avoir lieu dès la première heure de la garde à vue, pour proposer et expliquer le dépistage du VIH au suspect afin d'obtenir son consentement et de prescrire le test sérologique.» Selon lui en effet, d'après les éléments disponibles, l'intervention d'un médecin permettrait l'obtention du consentement dans neuf cas sur dix. Dans le respect des règles de confidentialité, celui-ci devra informer le médecin de la victime de la possibilité de suspendre son traitement ou de le poursuivre jusqu'à son terme, voire de le modifier. Le cas échéant, il devra informer la personne gardée à vue d'une séropositivité découverte à ce moment-là et établir les modalités de sa prise en charge. Il est important que la procédure médicale, inscrite au sein de la procédure judiciaire, puisse progresser indépendamment de celle-ci.
Conclusion pratique, empreinte d'humanisme : «On peut donc s'interroger sur l'utilité d'une mesure de dépistage obligatoire, d'autant qu'on ne saurait aller jusqu'à imposer un dépistage sous la contrainte physique, contraire à tous les principes d'éthique et de droit internationaux et à toutes les règles de déontologie médicale.» On attend avec intérêt la réponse de l'Académie nationale française de médecine qui, il y a quelques semaines, s'était vigoureusement prononcée en faveur d'un dépistage systématique, le cas échéant sous la contrainte, des agresseurs. «Il serait urgent que le ministère de la Santé prenne l'initiative, en collaboration avec le ministère de la Justice, d'une procédure officielle donnant aux médecins un cadre légal et empêchant l'agresseur de refuser un prélèvement de sang» expliquait alors le Pr Roger Henrion, à l'origine de l'initiative de l'Académie.