Seule l'histologie permet une mesure fiable de la fibrose hépatique. Dans le but d'éviter un recours systématique à la biopsie de foie, des marqueurs sériques de fibrose ont été testés pour détecter et surveiller l'évolution de la fibrose lors d'hépatopathie chronique. Dans l'hépatite C, la combinaison de certains marqueurs semble montrer des résultats encourageants pour détecter une fibrose significative. Ils sont plus mitigés pour une fibrose débutante. Ces tests biochimiques n'ont pas de spécificité hépatique, et peuvent être influencés par des phénomènes inflammatoires et l'alcool. La cirrhose peut être diagnostiquée de façon non invasive avec une précision satisfaisante par la combinaison d'un foie ferme à l'examen clinique, de la présence d'ascite et d'un foie bosselé à l'échographie, d'une thrombopénie, d'un taux de prothrombine abaissé et d'une concentration sérique élevée de hyaluronate.
En conditions physiologiques, le parenchyme hépatique est soutenu par une matrice extracellulaire dont l'équilibre est assuré par la synthèse, le dépôt et la dégradation de ses différents constituants. Cet équilibre est altéré lors de maladies chroniques du foie (hépatites B, C, atteintes métaboliques, alcool) et est associé à une fibrose. Ces constituants de la matrice extracellulaire déposés en excès au niveau des espaces intercellulaires amènent à une fibrose puis à une cirrhose.
Il est essentiel de connaître la présence et l'étendue d'une fibrose hépatique pour déterminer un pronostic et guider un traitement lors d'une hépatopathie chronique. En effet, la découverte précoce d'une cirrhose permet de prévenir des complications, comme l'hémorragie sur rupture de varices sophagiennes. A l'heure actuelle, seule la biopsie hépatique permet en pratique de mesurer cette fibrose. Cette technique, considérée comme le gold standard, peut être limitée par des erreurs d'échantillonnage. Elle est parfois associée à un inconfort pour le patient, et peut rarement aboutir à un décès.1 La biopsie hépatique ne peut donc pas être utilisée comme outil de dépistage ou de surveillance de la fibrose en pratique clinique.
Des critères non invasifs et indirects (cliniques, biologiques, échographiques) permettent dans certains cas de poser le diagnostic de cirrhose. Ces tests n'ont toutefois ni une sensibilité ni une spécificité suffisante pour détecter une fibrose. Des marqueurs de fibrogenèse ont été recherchés pour affiner cette détection et ainsi réduire le nombre de biopsie de foie chez des malades atteints d'hépatopathie chronique. Le but de cet article est de présenter différents marqueurs sériques de fibrose hépatique, décrire leur valeur diagnostique dans la cirrhose en général et dans la fibrose en particulier dans le cadre de la maladie alcoolique du foie et de l'hépatite C. Finalement, le rôle de l'échographie dans le diagnostic de cirrhose et de fibrose est revu de façon critique.
Elle est constituée de collagène, de glycoprotéines non collagéniques, de protéoglycans et de fibres élastiques. Sa répartition est hétérogène dans le lobule hépatique, puisqu'elle est principalement localisée au niveau des espaces portes et, à un moindre degré, au niveau de la veine centrolobulaire. Dans les sinusoïdes hépatiques, en situation physiologique, la matrice extracellulaire est très peu abondante, localisée au niveau des espaces de Disse (fig. 1). Etant une structure complexe et dynamique, la matrice extracellulaire est le résultat d'un équilibre entre synthèse, dépôt et dégradation de ses différents constituants. Au sein du sinusoïde hépatique, la principale source de matrice extracellulaire est représentée par les cellules étoilées (aussi appelées cellules de Ito). La dégradation des divers éléments de cette matrice fait intervenir des enzymes comme les métalloprotéinases, produites par les cellules de Ito et les cellules de Kupffer, et qui peuvent être inhibées par des inhibiteurs spécifiques (tissue inhibitors of metalloproteinase ou TIMP) ou non spécifiques (a2-macroglobuline).
C'est un déséquilibre entre la synthèse et la dégradation de la matrice extracellulaire, conséquence, le plus souvent, d'un processus inflammatoire, qui aboutit à une fibrose hépatique. Cette fibrose périsinusoïdale est associée à une diminution du flux sanguin dans le sinusoïde d'une part, et d'une diminution des échanges entre l'hépatocyte et le sang veineux portal d'autre part, un processus nommé capillarisation sinusoïdale. Au cours de cette fibrogenèse, la cellule de Ito se modifie et acquiert un phénotype de myofibroblaste, et augmente sa capacité à synthétiser les composants de la matrice extracellulaire (fig. 1). Les principaux composants de la matrice extracellulaire impliqués dans la fibrogenèse hépatique sont l'acide hyaluronique, différents types de collagène (I, IV) dont le propeptide aminoterminal du procollagène de type 3, la laminine et des enzymes impliqués dans la dégradation de cette matrice comme les TIMP.
La fibrose peut être en partie réversible. Les métalloprotéinases, notamment les collagénases, peuvent dégrader le collagène et les autres composants de la matrice extracellulaire, alors que les TIMP jouent un rôle favorisant la fibrose. Ce remodelage possible de la matrice extracellulaire explique la régression de la fibrose décrite dans certaines situations cliniques.2
La gravité et le pronostic d'une hépatopathie chronique sont conditionnés par le développement progressif d'une fibrose. Il est fréquent de ne faire le diagnostic de fibrose extensive ou de cirrhose que tardivement lors de l'apparition de complications liées à l'hypertension portale. Dès lors, on comprend l'intérêt de développer des tests non invasifs permettant de détecter de façon précoce la fibrose, d'en mesurer l'importance (et donc d'éviter d'avoir recours systématiquement à la biopsie de foie) et d'en suivre l'évolution. Ces marqueurs potentiels de la fibrose sont représentés par les produits de synthèse et de dégradation du collagène et des composants de la matrice extracellulaire (tableau 1). On les nomme marqueurs directs, par opposition aux marqueurs indirects de fibrose que sont le taux de prothrombine, l'albuminémie ou le compte plaquettaire.
Pour que ces marqueurs donnent une image précise de la fibrogenèse ou de la fibrolyse, ils devraient être spécifiques à l'organe étudié (le foie), leur métabolisme indépendant de la fonction d'autres organes (comme le rein), et ne pas être affectés par des phénomènes autres que la fibrogenèse (comme l'inflammation). Or, ces critères ne sont actuellement remplis pour aucun des tests sériques à disposition (fig. 2).
Il s'agit d'un polysaccharide de haut poids moléculaire essentiellement produit par les cellules de Ito, dégradé en grande partie par les cellules endothéliales du sinusoïde hépatique, et à un moindre degré par le rein. Dans des conditions fibrogéniques (alcool, virus, etc.), les cellules de Ito stimulées produisent du hyaluronate dont une partie est relarguée dans la circulation. Ce marqueur sérique réputé très performant pour le diagnostic de fibrose3 peut être influencé par une infection sévère4 ou une hépatite alcoolique.5
Ce constituant de la matrice extracellulaire s'élève durant un processus inflammatoire au cours duquel il existe une fibrogenèse active. Il est décrit comme étant utile pour suivre l'effet d'un traitement par interféron lors d'hépatite virale chronique,6 mais peut être anormalement élevé lors de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin compliquées d'anomalies hépatobiliaires ou pancréatiques.7 Le PNP III est donc considéré comme un marqueur biologique de la fibrose et de l'inflammation.
Le collagène de type IV est un constituant des membranes basales qui reflète la fibrolyse et donc le remodelage de la matrice extracellulaire. Décrit comme bon indicateur de fibrose hépatique, il apparaît moins précis que le hyaluronate3 et est influencé par un processus inflammatoire. Le collagène de type I quant à lui traduit de façon assez globale la quantité de collagène déposé dans le foie. Ce marqueur apprécie moins bien que le PNP III des changements précoces de la fibrogenèse hépatique.8
La laminine, glycoprotéine non collagénique, constituant des membranes basales, est synthétisée par les cellules de Ito stimulées. Considérée comme marqueur sérique de fibrogenèse et indicateur d'hypertension portale par certains,9 elle est influencée par le degré d'insuffisance hépatocellulaire et par l'intoxication alcoolique.10
Ces enzymes spécifiques (tissue inhibitor of metalloproteinases ou TIMP) sont des inhibiteurs naturels des métalloprotéases responsables du remodelage de la matrice extracellulaire. Les taux sériques élevés observés lors d'hépatopathies inflammatoires reflètent certes l'activité fibrogénique, mais aussi l'importance du processus inflammatoire.11 Les TIMP ne sont donc pas de bons marqueurs de fibrose. De plus, leur concentration sérique peut être affectée par la présence d'un carcinome hépatocellulaire.12
Ce marqueur biologique simple diminue de façon progressive dès l'apparition de septa fibreux dans le foie, et ce plus précocement que l'albuminémie13 dans une population de patients atteints d'une hépatopathie chronique. Ce marqueur indirect de fibrose hépatique a l'avantage d'être bon marché et facile à doser.
Il existe plusieurs anomalies biologiques décrites au cours de la cirrhose, comme l'hypergammaglobulinémie, un rapport AST/ALT > 1, une thrombopénie, une baisse de l'urée, une hypoalbuminémie, ou encore un taux de prothrombine (TP) abaissé. Dans une étude portant sur près de 200 patients atteints d'une hépatopathie chronique,13 il a été observé une bonne corrélation entre le taux de prothrombine et le score histologique de fibrose (r = -0,7), une diminution du TP étant objectivée dès l'apparition de septa fibreux dans le lobule hépatique. Les mêmes auteurs ont montré qu'un taux de prothrombine ¾ 85% avait une sensibilité et une spécificité de 80% et 88%, respectivement, pour le diagnostic de cirrhose.3 Le taux de prothrombine a l'avantage sur la concentration sérique de hyaluronate, qui, dans cette étude, montrait une performance diagnostique équivalente, de ne pas être influencé par des phénomènes inflammatoires comme l'hépatite alcoolique.13
Une liste non exhaustive rapportant la valeur diagnostique d'autres marqueurs sériques directs dans le diagnostic de cirrhose est résumée dans le tableau 2.
Dans la maladie alcoolique du foie, la fibrose a un développement particulier. Elle débute autour des hépatocytes (fibrose péricellulaire) et des veines centrolobulaires (fibrose périveinulaire) avant de s'étendre au lobule. L'évolution de la fibrogenèse dans cette maladie n'est pas linéaire, et la classification de la fibrose pas aussi bien codifiée que lors d'hépatite chronique virale C. Les marqueurs sériques de fibrose dans cette maladie n'ont pas une précision diagnostique suffisante pour un usage courant. Par exemple, le PNP III sérique est plus élevé chez les patients alcooliques avec fibrose périveinulaire que chez ceux présentant une stéatose hépatique simple, mais cette différence reflète aussi la présence d'une inflammation.14 De plus, le PNP III, le hyaluronate,15 la laminine et le collagène IV,16 sont influencés par l'intoxication alcoolique elle-même. Il faut tout de même souligner la précision diagnostique voisine de 90% du hyaluronate et du taux de prothrombine pour prédire une fibrose sévère dans une population de 146 malades alcooliques actifs hospitalisés.17
Combiner plusieurs marqueurs sériques pourrait être utile en pratique clinique, selon une étude portant sur plus de 300 patients buveurs excessifs.18 La combinaison du taux de prothrombine, de la gamma-glutamyl transpeptidase et de l'apolipoprotéine A1, rapportée sous la forme d'un score, permettait d'établir le diagnostic de cirrhose avec une probabilité de 86%. Toutefois, l'apport diagnostique de ce score par rapport au taux de prothrombine seul reste à démontrer.
La biopsie hépatique est nécessaire pour apprécier l'activité inflammatoire et le degré de fibrose chez les patients atteints d'hépatite chronique virale C. Cette information est importante avant d'initier un traitement, et en cas de cirrhose avérée, pour proposer un dépistage du carcinome hépatocellulaire. Dans le but de diminuer le recours systématique à la biopsie de foie, plusieurs études ont évalué l'utilité des marqueurs sériques de fibrose. Ainsi, le rapport AST/ALT, la thrombopénie, le taux de prothrombine, le hyaluronate ou l'a2 macroglobuline3,19 permettaient d'identifier un certain nombre de patients avec fibrose étendue ou cirrhose. Parallèlement, un taux sérique de hyaluronate mg/l avait une valeur prédictive négative pour le diagnostic de cirrhose > 90% dans une population de 486 patients avec hépatite chronique virale C.20 La combinaison de plusieurs marqueurs (gGT, bilirubine, haptoglobine, a2 macroglobuline, apolipoprotéine A1) ajustée selon l'âge et le sexe chez plus de 300 patients, permettait d'identifier une fibrose significative (F2 à F4 selon METAVIR) avec une valeur prédictive positive de > 90% selon le score obtenu.21 La performance diagnostique était moindre pour une fibrose minime à modérée. Par ailleurs, l'abus d'alcool, une insuffisance rénale ou un phénomène inflammatoire affectent la performance du test. Il est toutefois intéressant d'observer l'évolution de cet index biochimique de fibrose qui diminue chez les répondeurs au traitement par interféron et augmente chez les non-répondeurs.22 Ces résultats encourageants doivent être confirmés par d'autres équipes avant d'en accepter les conclusions et d'utiliser ces marqueurs en pratique courante.
L'échographie, le scanner et la résonance magnétique nucléaire permettent de suspecter l'existence d'une cirrhose par la découverte d'anomalies morphologiques (hypertrophie du segment I, hétérogénéité du parenchyme hépatique et surface nodulaire), et des signes d'hypertension portale (ascite, splénomégalie, dilatation du tronc porte et circulation collatérale). Chacune de ces méthodes diagnostiques présente des limites spécifiques ; les performances de l'échographie sont hautement opérateur-dépendant, et le scanner comme la résonance magnétique sont des techniques trop onéreuses en pratique clinique courante.
Seule l'échographie a été évaluée en détail pour le diagnostic de cirrhose. Dans différentes études réalisées, dont la méthodologie est souvent critiquable, la sensibilité pour le diagnostic de cirrhose varie beaucoup, mais la spécificité est généralement bonne.23-26 L'échographie Doppler a permis d'étudier de nombreuses anomalies vasculaires dans la cirrhose, comme par exemple la vitesse circulatoire dans le tronc porte. Dans l'étude de Gaiani et coll.,26 deux variables indépendantes surface nodulaire du foie et vitesse du flux porte , permettaient de poser le diagnostic de cirrhose avec une sensibilité de 87% et une spécificité de 98%. Dans l'étude d'Aubé et coll.,25 l'aspect nodulaire du foie apparaît aussi comme l'élément le plus discriminant. Il est toutefois important de rappeler qu'un aspect nodulaire ou bosselé du foie n'est pas spécifique de cirrhose. Ainsi, l'hyperplasie nodulaire régénérative, affection caractérisée par la présence de nodules sans fibrose,27 peut être associée à un aspect bosselé du foie et parfois à une hypertension portale, et son diagnostic est histologique.
A l'heure actuelle, le diagnostic de cirrhose est parfois établi par la combinaison d'une imagerie évocatrice, de signes d'insuffisance hépatique chronique et d'hypertension portale. Cependant, aucun examen radiologique (échographie, scanner, résonance magnétique) n'est à même de détecter la présence de fibrose (une hyperéchogénicité du parenchyme peut refléter une stéatose ou une fibrose débutante), et a fortiori sa progression ou sa régression en réponse à un traitement.
La fibrose hépatique est un élément majeur dans l'évolution et le pronostic d'une hépatopathie chronique. La détection et la surveillance de la fibrose par des moyens non invasifs comme l'usage de marqueurs sériques sont une méthode prometteuse, mais qui ne remplacent actuellement pas l'examen de référence qu'est l'histologie. Il est probable qu'à l'avenir ces tests biochimiques permettront dans certaines situations d'éviter le recours à la biopsie hépatique. Quant au diagnostic de cirrhose, il peut être posé de façon non invasive avec une précision satisfaisante par la combinaison d'un foie ferme à l'examen clinique, de la présence d'ascite et d'un foie bosselé à l'échographie, d'une thrombopénie, d'un taux de prothrombine abaissé et d'une concentration sérique élevée de hyaluronate.