Le système nerveux central, et plus particulièrement l'hypothalamus, assume deux fonctions primordiales de l'être humain : le contrôle de la prise alimentaire ainsi que celui de la fonction reproductive. Au cours de la dernière décennie, plusieurs découvertes fondamentales ont bouleversé la vision classique de la fonction hypothalamique. Cette partie archaïque de notre cerveau, initialement envisagée comme un organe neurovégétatif et neuroendocrinien passif, est maintenant considérée comme un lieu autonome d'intégration de différentes fonctions et comportements essentiels à notre survie. Cette activité intégrative est effectuée par différentes populations neuronales hautement spécialisées, interconnectées au sein d'un réseau intra-hypothalamique complexe. Une hormone classique, l'insuline, et une hormone découverte récemment, la leptine, ont des fonctions physiologiques importantes et probablement complémentaires au niveau du système nerveux central. Les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués, ainsi que les répercussions cliniques potentielles, commencent à peine à être entrevus.
Le contrôle de la prise alimentaire et celui de la reproduction sont deux fonctions importantes assumées par notre système nerveux central. La première est vitale pour la survie individuelle, alors que la seconde l'est pour celle de l'espèce humaine. Il n'est donc vraisemblablement pas fortuit qu'elles soient intimement liées, comme en témoigne l'observation clinique que des troubles de la fonction gonadique sont fréquemment associés aussi bien à l'insuffisance pondérale qu'à l'obésité.1
L'hypothalamus représente le centre intégratif par excellence de ces deux fonctions. Il est constitué de différentes sous-populations de neurones extrêmement spécialisés, répartis anatomiquement au sein de plusieurs noyaux individuels et interconnectés de manière relativement complexe. Ces connections sont probablement cruciales pour permettre à l'hypothalamus de jouer son rôle d'intégrateur de différents signaux. Selon le concept neuroendocrinien classique formulé par le physiologiste Geoffrey Harris dans les années 1940, l'hypothalamus fonctionne comme le centre d'activation et de régulation des différents axes endocriniens. Pour ce faire, les neurones hypothalamiques spécialisés envoient des projections axonales en direction de l'éminence médiane. A ce niveau, les différents facteurs neuroendocriniens sont sécrétés et transportés dans les vaisseaux portes hypothalamo-hypophysaires, par lesquels ils atteignent leurs cellules-cibles de l'hypophyse antérieure. De manière générale, l'activité de ces différentes populations neuronales spécialisées est modulée par d'autres neurones afférents, ainsi que par les hormones périphériques selon des boucles de rétroaction positive ou négative bien connues des cliniciens (fig. 1).
En plus de ces fonctions purement neuroendocriniennes, l'hypothalamus est directement impliqué dans la modulation de la prise alimentaire. Ceci a été bien démontré dans différents modèles animaux où des lésions de l'aire ventro-médiale induisent une hyperphagie qui s'accompagne d'une obésité.
La prise alimentaire chez l'homme est réglée de manière extrêmement fine par le système nerveux central :2 un apport excessif de 100 calories par jour en moyenne suffit à induire une obésité à dix ans. Pour atteindre une telle finesse de régulation, des facteurs métaboliques circulant en périphérie et dont le nombre semble aller croissant signalent l'état nutritionnel de l'individu au cerveau, et plus particulièrement à l'hypothalamus :3 l'insuline et la leptine, de même que l'adiponectine, la résistine ou la ghreline sont au nombre de ces facteurs. En réponse à ces signaux, l'hypothalamus module la balance existant entre l'activité de neurones induisant la prise alimentaire (neurones orexigènes) et celle de neurones signalant la satiété (neurones anorexigènes). Il est probablement exagérément simpliste de vouloir réduire le contrôle de la prise alimentaire à une série d'interactions entre différents circuits hypothalamiques réglant la masse grasse de l'organisme. Des études récentes ont toutefois démontré que des facteurs génétiques jouent un rôle important dans la détermination du poids d'un individu donné.4 Ces études corroborent la découverte de différents gènes responsables de variations du poids chez le rongeur, et suggèrent que l'obésité pourrait ne pas être uniquement due à un manque de discipline alimentaire.
Parmi les messagers périphériques, l'insuline et la leptine sont deux hormones dont le rôle physiologique est peut-être un peu mieux compris. L'insuline, sécrétée par les cellules bêta du pancréas, exerce un rôle fondamental dans le contrôle de l'homéostase glucidique en périphérie. Elle n'est pas indispensable au métabolisme glucidique du système nerveux central, qui a donc été considéré historiquement comme insensible à l'insuline. Il est toutefois devenu apparent au cours des dernières années que l'insuline est transportée activement à travers la barrière hémato-encéphalique.5 De plus, son injection directe dans le cerveau induit une diminution de la prise alimentaire chez les rongeurs.6 La notion que l'insuline pourrait participer au contrôle de la prise alimentaire par le cerveau a donc fait son chemin depuis une quinzaine d'années.
La leptine, découverte en 1994, a été la première hormone adipocytaire décrite.7 Elle a été isolée chez la souris ob/ob, une souris présentant une obésité liée à une hyperphagie. Une fois cette hormone découverte, il fut relativement aisé de démontrer par son injection à des souris ob/ob qu'elle fonctionne comme un signal de satiété, agissant au niveau hypothalamique pour diminuer la prise alimentaire.
L'insuline et la leptine ont plusieurs caractéristiques communes : toutes deux sont produites proportionnellement à la masse graisseuse de l'organisme, sont sécrétées et circulent dans le sang périphérique, peuvent passer de manière certaine la barrière hémato-encéphalique et agissent via des récepteurs spécifiques sur des noyaux hypothalamiques impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire.8
Le rôle de la leptine dans le contrôle de la prise alimentaire chez l'être humain est démontré par le phénotype des rares patients présentant une mutation inactivatrice de cette hormone :9,10 ils souffrent d'une obésité hyperphagique dès leurs premières années de vie, hyperphagie qui peut être complètement corrigée par l'administration de leptine. Malgré ces évidences indiscutables de la fonction physiologique de la leptine, son rôle physiopathologique dans l'obésité humaine courante n'est pas encore tout à fait clair. Toutes les études ont abouti à la même conclusion : dans la vaste majorité des cas, l'obésité humaine n'est pas liée à un déficit en leptine.11 Au contraire, il semblerait qu'une résistance à la leptine soit présente chez les patients présentant une surcharge pondérale ou une obésité.
Le rôle physiologique de l'insuline dans le contrôle de la prise alimentaire et son éventuelle implication dans l'étiopathogénie de l'obésité sont peut-être encore plus difficiles à cerner avec précision chez l'être humain. En effet, si l'insuline était vraiment un facteur orexigénique important, on s'attendrait à ce que les patients déficients en insuline grossissent. Or, le diabète de type 1 est associé à une perte de poids progressive importante. Ce paradoxe s'explique par les différentes fonctions physiologiques de l'insuline. En plus de ses effets sur la prise alimentaire et la glycémie, l'insuline est un puissant stimulus pour la synthèse et le stockage des graisses. Ainsi, le déficit en insuline du diabétique de type 1 est-il bien caractérisé par une hyperglycémie et une hyperphagie, mais l'excès de calories ingérées n'est pas stocké correctement sous forme de lipides et se retrouve dans l'urine.
Plusieurs observations chez le rongeur ont tout récemment confirmé de manière très convaincante que l'insuline, via un effet sur des neurones hypothalamiques, participe bien au contrôle de la prise alimentaire. En provoquant une résistance centrale absolue à l'insuline par l'invalidation du gène de son récepteur dans les neurones, Brüning et coll. ont créé un syndrome hyperphagique et obèse ainsi qu'une résistance périphérique à l'insuline caractéristiques du syndrome métabolique.12 La relevance clinique de cette observation et d'observations similaires faites chez le rongeur reste évidemment à démontrer.
La régulation de la fonction reproductive par le système nerveux central procède de mécanismes très similaires à ceux contrôlant la prise alimentaire et très brièvement schématisés ci-dessus. Les neurones hypothalamiques à GnRH (Gonadotropin-Releasing Hormone), ou gonadolibérine, représentent la clé de voûte de l'axe gonadotrope endocrinien. L'activité de ces neurones est sous la dépendance de plusieurs afférences neuronales ainsi que celle des taux circulants d'hormones stéroïdiennes sexuelles. En outre, l'activité de l'axe gonadotrope dépend fortement de l'état nutritionnel de l'individu. Là également, l'insuline et la leptine ont toutes deux acquis, dans un passé récent, le statut de facteur métabolique périphérique impliqué dans l'activation de l'axe gonadotrope.
Le rôle primordial de la leptine en physiologie de la reproduction humaine est démontré par le phénotype des patients présentant une mutation inactivatrice de son gène ou du gène de son récepteur,9,10,13 qui ne présentent aucun développement pubertaire. D'autre part, la puberté a pu être déclenchée par la substitution en leptine d'une patiente présentant une mutation inactivatrice de ce gène.14 Cette observation clinique, corroborée par de nombreuses données concordantes chez le rongeur,15 a permis d'attribuer à la leptine le rôle de portail métabolique de la puberté. Il pourrait en effet exister un seuil minimum de valeurs de leptine circulante chez l'homme, en dessous duquel la puberté ne peut pas démarrer. Ainsi, la découverte de la leptine a-t-elle permis d'envisager une explication mécanistique plausible à l'hypothèse de la masse graisseuse critique de Frisch et McArthur. Cette hypothèse stipule que la puberté ne peut pas débuter avant que l'organisme n'ait stocké une quantité minimale d'énergie sous forme de graisse, une condition nécessaire mais probablement pas suffisante. Il semble maintenant acquis que la leptine est l'un des signaux métaboliques indiquant aux neurones à GnRH que ce seuil minimum est atteint. Il reste à démontrer que ce signal est unique.
A l'autre extrémité du spectre nutritionnel, l'obésité est également accompagnée de troubles de la fonction reproductive.1 Des études de populations suggèrent ainsi que la relation existant entre la fertilité et l'état nutritionnel a la forme d'un U inversé. Différents mécanismes physiopathologiques participent probablement à ces dysfonctions. Comme indiqué plus haut, la résistance à la leptine est devenue une caractéristique de l'obésité. Cette résistance au niveau central pourrait jouer un rôle dans la survenue de troubles du cycle chez la femme.
Il existe très peu de données concernant les interactions entre l'insuline et l'activité de l'axe endocrinien de la reproduction. La première indication de l'existence d'un effet de l'insuline sur l'activité de cet axe a été fournie par l'étude des souris présentant une inactivation de l'expression du récepteur à l'insuline dans les neurones. Ces animaux sont un modèle de résistance absolue à l'insuline au niveau du système nerveux central, et ils présentent en plus de l'obésité décrite plus haut un hypogonadisme hypogonadotrope.12 Cette observation démontre l'importance du signal de l'insuline pour l'activation de la fonction reproductive. La résistance à l'insuline étant une caractéristique clinique de l'obésité classique et reconnue depuis longtemps, on peut émettre l'hypothèse qu'elle participe donc également à l'étiopathogénie des troubles de l'axe de la reproduction fréquemment observés chez les patients obèses.
Finalement, la résistance à l'insuline joue également un rôle primordial dans la physiopathologie de la maladie polykystique ovarienne (voir l'article de P. Vollenweider dans ce numéro), une affection fréquente alliant notamment une obésité à des troubles de la fonction reproductive. Cette dernière anomalie a probablement une origine multifactorielle : une dysfonction ovarienne est présente, alliée à un défaut de régulation central de la sécrétion des hormones hypophysaires gonadotrophes. Ce défaut de sécrétion central a été attribué à une altération du rétro-contrôle par les hormones stéroïdiennes sexuelles, bien que l'hypothèse d'un défaut neuroendocrinien originel n'ait jamais pu être totalement écartée. La résistance aussi bien périphérique que centrale à l'insuline, existant dans la maladie polykystique ovarienne, permet de réconcilier partiellement les hypothèses évoquant une étiologie ovarienne primitive et celles invoquant l'étiologie primitivement neuroendocrinienne du défaut de l'axe gonadotrophe de ces patientes. La résistance centrale à l'insuline dans la maladie polykystique ovarienne pourrait ainsi participer aux altérations de la sécrétion des gonadotrophines, et ajouter aux effets de cette résistance sur la production ovarienne d'androgènes en périphérie.
Les relations existant entre le métabolisme et la fonction reproductive chez l'être humain sont reconnues depuis très longtemps. C'est toutefois plus récemment que les mécanismes impliqués dans ces interactions ont commencé à être élucidés. En effet, deux découvertes fondamentales rapportées durant la décennie écoulée ont ouvert la voie à une meilleure compréhension de ces interactions. La première a été le clonage de la leptine, un signal de satiété important pour le système nerveux central qui est également la première hormone d'origine adipocytaire décrite. Cette découverte a révolutionné la notion que nous avions du tissu adipeux, qui n'est pas un organe de stockage énergétique passif, mais bien un tissu en relation dynamique avec le reste de l'organisme, et notamment le cerveau. La leptine, par ses effets sur des neurones hypothalamiques impliqués dans la prise alimentaire et différentes fonctions neuroendocriniennes, participe à l'intégration de l'état métabolique par l'axe de la reproduction.
La seconde découverte fondamentale a été la confirmation par l'équipe de Michael Schwartz à Seattle que l'insuline traverse la barrière hémato-encéphalique.3,5 Cette hypothèse avait initialement été accueillie avec beaucoup de scepticisme puisque les neurones n'ont pas besoin d'insuline pour capter et métaboliser le glucose. Il est maintenant admis que l'insuline comme la leptine transmet au cerveau des informations sur l'état métabolique de l'individu.
L'hypothalamus se retrouve ainsi au centre d'une convergence de signaux périphériques. Un modèle théorique expliquant l'intégration de ces divers signaux a été proposé récemment : des variations de concentration de l'insuline et/ou de la leptine influencent l'activité de certains neurones. Ces neurones activent ou inhibent ensuite d'autres neurones, directement impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire ou dans l'activation des différents systèmes neuroendocriniens (fig. 2). Les différentes populations de neurones hypothalamiques sont donc interconnectées au sein d'un réseau extrêmement dense et complexe. Une meilleure compréhension de ces réseaux neuronaux ainsi que des mécanismes intracellulaires de signalisation des messagers périphériques devrait permettre d'identifier de nouvelles cibles thérapeutiques pour le traitement de l'obésité et des troubles endocriniens associés.