Le tissu adipeux est un véritable organe endocrine qui joue un rôle crucial dans la régulation de la balance énergétique ainsi que dans la médiation des complications métaboliques et cardiovasculaires associées à l'obésité. Parmi les nombreuses substances sécrétées par les adipocytes, l'angiotensinogène et l'angiotensine II, l'inhibiteur de l'activateur du plasminogène 1, l'adiponectine et la résistine semblent participer à la pathogenèse de l'hypertension, des accidents thrombotiques et de la résistance à l'insuline associée à l'excès de graisse viscérale. De plus, l'activité augmentée de la 11b-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 1 dans le tissu gras viscéral contribue très activement à la présence de hautes concentrations de cortisol dans ce tissu, participant ainsi à la distribution de la graisse de l'organisme et aux risques cardiovasculaires.Toutes ces observations devraient permettre le développement prochain de nouvelles stratégies dans le traitement de l'obésité et de ses comorbidités.
Depuis la découverte en 1994 que les adipocytes produisent de la leptine, un peptide qui joue un rôle essentiel dans la régulation hypothalamique du poids corporel,1,2,3 le tissu adipeux n'est plus considéré comme un simple lieu de stockage de l'énergie sous forme de triglycérides, mais comme un véritable organe endocrine. En effet, le tissu adipeux produit non seulement de la leptine, mais il sécrète encore de nombreux autres peptides qui exercent des effets autocrines, paracrines et/ou endocrines. Parmi ces substances appelées aussi adipocytokines, nous mentionnerons l'angiotensinogène, l'angiotensine II, l'inhibiteur de l'activateur du plasminogène (PAI-1), l'adiponectine, la résistine, l'interleukine 6 (IL-6), le facteur de nécrose tumorale a (TNF-a) et les prostaglandines (fig. 1).4 La majorité de ces substances jouent un rôle dans la physiopathologie des comorbidités de l'obésité, telles que l'hypertension artérielle, les complications thrombotiques, métaboliques et cardiovasculaires, les réactions inflammatoires et les atteintes du système immunitaire.
Au cours de cette revue, nous nous proposons de présenter brièvement le rôle endocrine du tissu adipeux en discutant les effets de quelques substances produites par les adipocytes tout en démontrant que la graisse viscérale représente un facteur de risque cardiovasculaire important.
L'angiotensinogène ainsi que les différentes enzymes nécessaires à sa conversion en angiotensine II sont toutes produites dans le tissu adipeux humain.5,6 L'angiotensinogène et l'angiotensine II participent non seulement au développement du tissu adipeux,7 mais, produits en excès par le tissu adipeux des patients obèses, ces peptides sont également sécrétés dans la circulation sanguine et semblent intervenir dans la pathogenèse de l'hypertension artérielle liée à la surcharge pondérale. En effet, les concentrations plasmatiques de l'angiotensinogène sont corrélées aussi bien avec la pression artérielle qu'avec l'indice de masse corporelle8 alors que l'invalidation dans les adipocytes de l'expression du gène de l'angiotensinogène induit une hypotension chez la souris.9
Bien que le foie soit le site majeur de sa production, l'inhibiteur de l'activateur du plasminogène (PAI-1) est produit en quantité significative par les adipocytes. Ainsi, les concentrations plasmatiques du PAI-1 sont plus élevées chez les patients obèses que chez les sujets de poids normal et sont responsables, par leur inhibition de la fibrinolyse, de l'augmentation du risque thrombotique observée chez les patients obèses. Le PAI-1 est principalement sécrété chez l'homme par le tissu adipeux viscéral,10,11 ce qui peut expliquer le lien entre l'obésité abdominale et les anomalies de la fibrinolyse.
L'expression adipocytaire du PAI-1 est stimulée par plusieurs facteurs, comme le TNF-a,10,12 les glucocorticoïdes13 ainsi que l'angiotensine II.14 Sa stimulation par l'angiotensine II explique probablement les anomalies de la fibrinolyse qui sont souvent observées chez les patients obèses hypertendus ainsi que chez les patients présentant un syndrome métabolique. Cette augmentation du risque thrombotique du patient obèse et hypertendu pourrait donc être diminuée par l'utilisation, pour le traitement de l'hypertension artérielle, d'inhibiteurs de l'enzyme de conversion ou d'antagonistes du récepteur de l'angiotensine. Il est intéressant de relever que la troglitazone, qui améliore la sensibilité à l'insuline, inhibe l'expression du PAI-1 dans les adipocytes humains,15 suggérant donc un possible effet bénéfique des thiazolidinediones sur le risque thrombotique des sujets obèses et diabétiques.
Récemment, deux adipocytokines qui induisent des effets opposés sur la régulation de la sensibilité à l'insuline ont été découvertes : l'adiponectine et la résistine. L'adiponectine améliore la sensibilité à l'insuline16 alors qu'à l'inverse la résistine induit un état d'insulinorésistance.17,18,19
L'adiponectine, (également dénommée «protéine Acrp30) a été identifiée en 1995.20 Il s'agit d'une protéine de 247 acides aminés dont les concentrations plasmatiques sont très diminuées en cas d'excès de tissu adipeux et sont plus basses chez les patients diabétiques que chez les non-diabétiques.20 Les concentrations plasmatiques sont plus élevées chez la femme que chez l'homme. D'une manière générale, les concentrations plasmatiques d'adiponectine sont inversement proportionnelles à l'importance de la masse grasse, mais sont positivement corrélées à la sensibilité à l'insuline.21,22 Ainsi en cas d'obésité, la diminution des taux d'adiponectine induit une insulino-résistance, laquelle peut être corrigée par l'administration d'adiponectine.23 Il est intéressant de remarquer que la réduction pondérale chez l'obèse qui produit une amélioration de la sensibilité à l'insuline s'accompagne de manière concomitante d'une augmentation des concentrations plasmatiques d'adiponectine.24 Ces observations suggèrent donc que l'adiponectine améliore la sensibilité à l'insuline. Ce lien entre adiponectine et résistance à l'insuline est également conforté par les données obtenues lors de traitement avec les thiazolidinediones. En effet, l'amélioration par les thiazolidinediones de la sensibilité à l'insuline chez les sujets obèses et diabétiques s'accompagne d'une augmentation de l'expression de l'adiponectine,25 suggérant que les effets bénéfiques des thiazolidinediones en cas d'insulino-résistance passent par une élévation de l'adiponectine.
Il est également à relever que les facteurs qui, au contraire, induisent l'insulino-résistance, comme le TNF-a et les glucocorticoïdes, inhibent l'expression du gène de l'adiponectine.26,27
Il apparaît donc comme fort probable que l'adiponectine joue un rôle physiologique essentiel dans la sensibilité à l'insuline. Ce rôle de sensibilisateur des effets de l'insuline a d'ailleurs très récemment été confirmé par l'observation que l'adiponectine stimule la phosphorylation des résidus tyrosine du récepteur à l'insuline22 et amplifie de manière importante l'action de l'insuline aussi bien au niveau du muscle que du foie.21
En plus de l'effet sur le métabolisme du glucose, l'adiponectine agit aussi sur les graisses. Elle stimule l'oxydation musculaire des acides gras, elle diminue les concentrations d'acides gras libres et de triglycérides et produit une réduction de la masse grasse de l'organisme sans que les apports alimentaires ne soient modifiés.28 Finalement, l'adiponectine a également un effet anti-athérogène grâce à une action anti-inflammatoire au niveau de la paroi des vaisseaux.24
Bien que de nombreuses questions demeurent, cette molécule des plus intéressantes paraît jouer un rôle de premier ordre (en raison de sa sécrétion insuffisante) dans les comorbidités liées à l'obésité et au diabète de type 2 et pourrait donc avoir un avenir thérapeutique spectaculaire.
La résistine, une adipocytokine de 114 acides aminés, qui a été identifiée en 2001, porte ce nom en raison de sa capacité d'induire une insulino-résistance sévère chez la souris.17,29 Les taux circulants de résistine sont élevés chez les souris atteintes d'obésité génétique (ob/ob et db/db), ou induite par un régime riche en graisse.17 L'administration d'anticorps anti-résistines à des souris obèses avec résistance à l'insuline et hyperglycémie, améliore la sensibilité à l'insuline et corrige l'hyperglycémie, suggérant donc qu'une sécrétion excessive de résistine chez ce modèle murin représente un lien physiopathologique entre obésité et diabète de type 2.17-19,29 Les thiazolidinediones exercent d'ailleurs leur effet de sensibilisateur à l'action de l'insuline en inhibant de manière importante l'expression et la sécrétion de résistine dans les adipocytes de souris. Il semble que la résistine existe aussi chez l'homme, puisque son expression et sa sécrétion ont été récemment mises en évidence à partir d'adipocytes de la graisse viscérale.30 Le récepteur de la résistine et les mécanismes de transduction post-récepteurs ne sont toutefois pas encore connus.
Il apparaît donc comme fort probable qu'une production excessive de résistine, associée à une production insuffisante d'adiponectine représente un mécanisme essentiel de l'insulino-résistance et des nombreuses comorbidités métaboliques et cardiovasculaires observées en cas d'obésité abdominale.
Le tissu adipeux est aussi capable de métaboliser les hormones sexuelles et les glucocorticoïdes. Ainsi l'aromatase dépendante du cytochrome P-450 assure, dans le tissu adipeux, la conversion des androgènes en strogènes. Cette transformation locale des hormones sexuelles pourrait jouer un rôle important dans la distribution de la graisse. En effet, les strogènes stimulent l'adipogenèse dans les seins et le tissu sous-cutané alors que les androgènes favorisent l'obésité abdominale ou viscérale.
De plus, les strogènes, par leur capacité de diminuer la densité des récepteurs des androgènes au niveau de la graisse viscérale, protègent le tissu adipeux de la femme des effets des androgènes. Ces observations sont importantes puisque la distribution de la graisse au niveau de l'organisme semble jouer un rôle déterminant comme facteur de risques cardiovasculaires, la graisse viscérale étant un facteur de risque au contraire de la graisse sous-cutanée.
L'obésité n'est en effet pas une condition homogène : il faut distinguer la graisse abdominale/viscérale ou de type «androïde» et la graisse sous-cutanée ou de type «gynoïde». Contrairement à la graisse sous-cutanée, la graisse viscérale est un important facteur de risque cardiovasculaire et de prédiction de survenue d'un diabète et/ou d'une dyslipidémie. Ainsi, pour un même poids, les patients obèses avec une distribution abdominale de la graisse présentent une morbidité et une mortalité dues aux conséquences métaboliques de leur excès pondéral qui sont nettement supérieures à celles de patients obèses avec une distribution à prédominance sous-cutanée de leur graisse. En d'autres termes, pour un index de masse corporelle (BMI) égal, les patients avec une distribution «androïde» du tissu adipeux ont un risque cardiovasculaire nettement supérieur à celui de patients avec une distribution «gynoïde».
Il y a en effet de grandes différences entre les propriétés biochimiques des adipocytes des dépôts abdominaux et sous-cutanés.31 Parmi ces différences, notons que la leptine est produite en plus grande quantité par la graisse sous-cutanée, alors que la graisse viscérale contient plus de récepteurs aux glucocorticoïdes et aux androgènes, possède une réponse augmentée de la lipoprotéine-lipase aux glucocorticoïdes ainsi qu'une réponse lipolytique plus élevée aux catécholamines.31,32 En outre, le tissu adipeux viscéral possède une activité élevée d'une enzyme, la 11b-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 1 (11b-HSD1), qui est une enzyme qui règle la conversion de la cortisone inactive en cortisol actif.33,34,35 Ainsi, le tissu adipeux viscéral est non seulement très sensible aux glucocorticoïdes, mais en raison de l'importante activité de la 11b-HSD1, il est en plus capable d'augmenter la transformation locale de cortisone en cortisol générant ainsi localement une production élevée de cortisol susceptible de modifier le métabolisme du tissu adipeux, du foie et en périphérie dans un sens diabétogène.
La 11b-HSD1 est surexprimée dans le tissu adipeux abdominal aussi bien chez le rat Zucker36 présentant un diabète insulino-résistant que chez l'homme présentant une obésité abdominale.35 En outre, les souris qui surexpriment le gène de la 11b-HSD1 dans le tissu adipeux38 développent une obésité abdominale, un diabète de type 2 insulino-résistant, une hypertriglycéridémie et une hypertension artérielle. A l'inverse, les souris transgéniques, chez lesquelles le gène de la 11b-HSD1 a été supprimé37 présentent une résistance au diabète induit par une diète riche en graisse.
Tous ces éléments obtenus chez la souris confortent l'hypothèse que la 11b-HSD1 pourrait jouer un rôle dans la survenue du diabète de type 2 et/ou de l'obésité androïde. Toutefois, l'extrapolation à l'homme demande encore confirmation. Il est cependant à nouveau intéressant d'observer que les thiazolidinediones, qui améliorent la sensibilité à l'insuline, inhibent l'expression et l'activité du gène codant pour la 11b-HSD1.39
Les concentrations élevées de glucocorticoïdes dans le tissu adipeux viscéral ont des effets importants aussi bien sur l'accumulation des lipides que sur leur mobilisation. D'une part, en stimulant l'activité de la lipoprotéine-lipase le cortisol favorise l'accumulation des lipides augmentant ainsi les dépôts de graisse, et d'autre part en augmentant l'activité lipolytique des catécholamines, il favorise la lipolyse et la libération d'acides gras libres dans la circulation porte hépatique. Ce flux augmenté d'acides gras libres vers le foie contribuera ainsi de manière importante à la survenue d'une insulino-résistance aussi bien au niveau hépatique qu'en périphérie. En outre, les acides gras en stimulant la production adipocytaire d'angiotensinogène et les glucocorticoïdes en stimulant l'expression du PAI-1 favoriseront respectivement la survenue de l'hypertension artérielle et les risques thrombotiques, contribuant ainsi à l'augmentation de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires observées en cas d'obésité abdominale.
Le rôle endocrine du tissu adipeux est surtout connu grâce à la découverte de la leptine, qui est certainement l'hormone adipocytaire, la plus étudiée. La leptine est principalement exprimée dans le tissu adipeux bien qu'elle soit également produite en plus faible quantité dans d'autres organes comme le placenta, le muscle et le cerveau.
Les rôles physiologiques et physiopathologiques de la leptine étant relativement bien connus aujourd'hui40,41 et ses effets sur le contrôle de la prise alimentaire et sur celui de la reproduction étant abordés dans ce numéro par le Dr F. Pralong, je ne résumerai que brièvement les effets de la leptine sur l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPS) et sur le système immunitaire.
L'axe HPS et le tissu adipeux sont reliés entre eux par un réseau d'interactions bidirectionnelles. En effet, les glucocorticoïdes et l'ACTH modulent la sécrétion de leptine42 et cette dernière exerce une inhibition sur l'activité des glandes surrénales.43,44 Les glucocorticoïdes stimulent l'expression et la production de leptine par les adipocytes alors que des taux élevés d'ACTH les inhibent.45 Si la leptine est sans effet sur la sécrétion basale des glucocorticoïdes, elle inhibe la sécrétion simulée par l'ACTH aussi bien chez le rat, le buf que chez l'homme.43 Cette inhibition de la réponse au stress pourrait jouer un rôle important chez les patients sévèrement malades. En effet, il a été démontré que les patients avec des taux de leptine élevés avaient un pronostic significativement meilleur.46 Il est possible que les taux élevés de leptine en diminuant la réponse au stress, par l'inhibition des glucocorticoïdes immunosuppresseurs, permettent ainsi une meilleure réponse du système immunitaire. La leptine semble donc participer aux réglages fins de l'axe corticotrope.
La leptine est aussi capable de moduler la réponse du système immunitaire, puisqu'elle module les réponses immunes pro-inflammatoires en augmentant la phagocytose ainsi que la production de cytokines pro-inflammatoires.47 Ainsi, la leptine, dont la production est stimulée durant les phénomènes inflammatoires, semble participer à la cascade des cytokines qui sont activées lors d'une infection et d'une blessure. L'hypothèse que la leptine joue un rôle important dans la phase aiguë de l'infection est démontrée par l'observation récente qu'un déficit en leptine s'accompagne, d'une part, d'une augmentation de la létalité lors d'administration d'endotoxines et, d'autre part, d'une diminution de l'induction des cytokines anti-inflammatoires.48 Ainsi, un déficit en leptine serait un facteur aggravant lors d'infections, comme si la leptine avait un rôle protecteur. Cette spéculation s'est avérée exacte puisque l'administration de leptine à des souris qui n'en produisent pas diminue de manière très importante la mortalité liée à l'administration d'endotoxines. Il ressort de ces observations que les situations cliniques présentant des taux abaissés de leptine, comme l'anorexie, la cachexie et la sous-alimentation, pourraient être responsables d'une diminution des moyens de défense qui aboutirait à une augmentation des risques liés aux infections.
Le tissu adipeux constitue la plus grande réserve d'énergie de l'organisme. La mobilisation de cette énergie est contrôlée par des signaux hormonaux provenant de divers organes ou systèmes comme le pancréas pour l'insuline, le système nerveux sympathique pour les catécholamines et les glandes surrénales pour les glucocorticoïdes. Alors que, jusqu'à la découverte de la leptine, les adipocytes étaient considérés comme des acteurs passifs dans l'homéostasie de l'énergie, il est actuellement bien établi que le tissu adipeux constitue un véritable organe endocrine très actif qui joue un rôle déterminant aussi bien dans la régulation de la balance énergétique que dans les mécanismes physiopathologiques des nombreuses comorbidités associées à l'obésité. De nombreuses substances produites dans les adipocytes, plus particulièrement ceux de la graisse viscérale, sont intimement liées à la distribution de la graisse de l'organisme et participent à la survenue des complications métaboliques et cardiovasculaires de l'obésité.
Une meilleure connaissance de toutes ces substances et de leur mode d'action pourrait déboucher sur de nouveaux moyens ou stratégies thérapeutiques de l'excès pondéral et de ses complications.