Une équipe de chercheurs américains, emmenée par le biologiste Bjorn Olsen, de l'Ecole de médecine de Harvard à Boston, veut suppléer aux manquements des grandes revues médicales en lançant le Journal of Negative Results in Biomedicine (JNRBM).1Les nombreuses «affaires» de fraude scientifique qui ont récemment défrayé la chronique, et qui ont parfois mené à la mise à pied de chercheurs auxquels on aurait donné le bon Dieu sans confession, ont remis en lumière les vices actuels de la compétition scientifique. Non seulement les chercheurs doivent faire la preuve de publications abondantes pour pouvoir prétendre à l'obtention ou au renouvellement d'un subside de recherche, mais il leur faut aussi montrer que leur papier a été abondamment cité par d'autres équipes.D'où une recherche effrénée pour publier dans des revues offrant un «facteur d'impact» important, gage de citations encore plus nombreuses. Et d'où une dérive qui prend une ampleur de plus en plus inquiétante : des scientifiques sont incités non seulement à privilégier des secteurs qui ont des chances de «faire la une» et à favoriser la publication rapide de leur article, mais surtout à gommer tout résultat mitigé qui pourrait faire une ombre quelconque à leur publication. Le pire, que l'on croyait impensable mais qui se répète allègrement depuis quelques années, étant de fabriquer purement et simplement des résultats sortis de la seule imagination (qui se révèle parfois fertile, reconnaissons-le
) du chercheur-truqueur.Trois ans d'attenteIl faut dire qu'on comprend la déception du scientifique lorsque le dépouillement et l'analyse statistique de ses résultats débouchent sur un résultat négatif, c'est-à-dire qui n'arrive pas aux résultats espérés, synonyme pour lui d'une sorte d'échec : quelle énergie et quel temps perdus ! Et pourtant, le chercheur confronté à une telle situation a généralement d'honnêtes raisons de penser que son idée de départ avait un sens, que sa démarche scientifique a respecté les critères les plus stricts, et qu'il y a consacré les meilleurs talents disponibles dans son laboratoire. Donc que sa recherche mériterait tout de même de faire l'objet d'une publication, et d'être ainsi communiquée à l'ensemble de la communauté scientifique.Mais non : personne ne voudra de ses résultats négatifs, ou alors, s'ils sont finalement publiés quelque part, il est vraisemblable qu'aucun commentaire ne les accompagnera pour en souligner la valeur intrinsèque ou les implications pour de futures recherches. Exemple encore tout récent : au congrès de cardiologie de Chicago, un médecin indien pourtant réputé a avoué avoir dû attendre trois ans avant de réussir à faire accepter les résultats négatifs d'une étude clinique qui allaient à l'encontre des paradigmes en vigueur !Mauvais point pour les grandes revuesOr, une expérience «ratée» conserve entièrement sa valeur scientifique, nonobstant la concurrence que se livrent chercheurs et revues spécialisées. C'est ce que s'évertuait à souligner naguère Olivier Reverdin, alors Président du Fonds national suisse de la recherche scientifique, qui disait volontiers «ne rien trouver constitue déjà un résultat de grande valeur», à condition évidemment que le travail de recherche en question ait été mené dans les règles et qu'il ait respecté la rigueur scientifique. Il est en effet incontestable qu'une expérience sérieuse dont les résultats ne sont pas au rendez-vous des attentes du chercheur sera d'une aussi grande utilité à la communauté scientifique, plus grande même que la énième variante d'une expérience déjà réussie, comme en publient régulièrement les revues scientifiques même prestigieuses. Il arrive tout de même, certes, que de grandes revues publient des articles débouchant sur des conclusions mitigées. Mais dans ce cas stigmatise Bjorn Olsen, professeur de biologie cellulaire à l'Ecole de médecine de Harvard les résultats négatifs font rarement l'objet de l'analyse classique destinée à montrer quelle est leur limite statistique de validité, et en quoi ils devraient servir de référence. Une telle analyse se base d'ordinaire sur ce que les scientifiques nomment la «puissance» d'une étude, à savoir la probabilité qu'elle ait un effet significatif, un peu comme la sensibilité d'un test diagnostique. En passant en revue tous les articles présentant des résultats négatifs publiés durant deux ans par les plus grands journaux médicaux (British Medical Journal, JAMA, The Lancet, New England Journal of Medicine, Annals), quatre scientifiques américains (qui ont d'ailleurs inauguré le JNRBM) ont relevé par exemple que moins d'un tiers de tels articles avaient été accompagnés d'une analyse sur la puissance de l'étude et l'intervalle de confiance des résultats négatifs.Résultats négatifs ou thèses provocatricesC'est donc pour mettre fin à une certaine injustice, au non-sens découlant d'un «marketing scientifique» à courte vue, ainsi qu'aux biais relevés dans les grandes revues, que l'équipe de Bjorn Olsen a décidé de lancer ce Journal of Negative Results in Biomedicine.Les travaux soumis à cette nouvelle revue médicale (publiée exclusivement on-line) seront néanmoins évalués par un comité de lecture multidisciplinaire qui, à l'instar de ce que font d'autres journaux scientifiques dits peer reviewed, se portera garant de la qualité des articles publiés, ou exigera des corrections si nécessaire. «Ce journal n'est pas seulement destiné à mettre en valeur des travaux sérieux n'ayant mené à aucun résultat positif, mais aussi des articles dont les conclusions vont à l'encontre des dogmes établis, sont provocatrices, ou encore sont propres à susciter la controverse», explique Bjorn Olsen sur le site Web du futur journal. «Pour publier ou non un manuscrit, nous considérerons aussi ce que de tels résultats négatifs peuvent apporter à la communauté scientifique», ajoute-t-il. Parmi les articles qui seront privilégiés figurent aussi les études cliniques qui n'auront pas pu montrer un quelconque bénéfice apporté par un nouveau médicament. C'est dans ce cas particulièrement que les chercheurs honnêtes rencontrent les plus grandes difficultés à publier.Tout cela devait encore tout récemment être mis au futur, mais l'équipe d'Oslen commence à recevoir de nombreux manuscrits, en cours d'évaluation.Intérêt supplémentaire de cette nouvelle revue médicale en ligne : elle est publiée sous l'égide de BioMed Central Ldt, un éditeur indépendant qui assure la diffusion et l'accès à de nombreuses publications médicales, et qui se dit «attaché au principe du libre accès à l'intégralité d'articles originaux en biologie et en médecine». Les articles du JNRBM pourront donc être reproduits et exploités par quiconque s'y intéresse, sans qu'un copyright ne vienne entraver le processus de la diffusion de la connaissance.1 http://www.jnrbm.com/start.asp