Le but de cet article est de montrer, à partir de l'exemple d'une famille atteinte de dysplasie arythmogène du ventricule droit, l'importance d'une consultation de conseil génétique en cardiologie clinique. Les développements récents en génétique médicale ont permis d'identifier les bases moléculaires d'un nombre important de cardiopathies héréditaires mendéliennes comme c'est le cas pour les cardiomyopathies hypertrophiques et dilatées ou pour les syndromes du QT long. A ce jour, pour ces cardiopathies, les tests moléculaires sont le plus souvent réservés à des centres de recherche spécialisés. Cependant les avances technologiques en biologie moléculaire, permettant une lecture rapide de l'ADN, nous laissent envisager une médecine prédictive et préventive qui probablement modifiera de façon considérable la pratique médicale en cardiologie clinique. Afin d'intégrer les nouvelles connaissances de la génétique médicale lors de la prise en charge des patients atteints de maladies cardiogénétiques et de leurs familles, nous proposons une approche pluridisciplinaire complémentaire comprenant un bilan cardiaque associé à une consultation de conseil génétique.
Les découvertes de ces dernières années en génétique moléculaire et la disponibilité des informations obtenues par le biais de l'informatique (Internet) font que de plus en plus de personnes contactent leur médecin pour des renseignements concernant l'origine génétique de leur maladie. Cette tendance se manifeste également en cardiologie clinique et conduit à une prise en charge plus complexe des patients et de leurs familles. Les questions généralement posées concernent l'hérédité de la maladie, les risques de récurrence et/ou de transmission, les risques liés aux autres membres de la famille, la disponibilité et la fiabilité des tests génétiques et les moyens de prévention. Ces questions sont spécifiques aux médecins généticiens qui y répondent sous forme d'une consultation de conseil génétique. Etant donné qu'un diagnostic génétique a, non seulement des conséquences pour l'individu atteint, mais également pour la famille entière, cette consultation de conseil génétique est considérée comme une médecine de famille.
A partir de l'exemple d'une famille atteinte de dysplasie arythmogène du ventricule droit, nous présentons la pratique de la consultation de conseil génétique associée au bilan cardiaque.
La dysplasie arythmogène du ventricule droit (DAVD) est une maladie du ventricule droit caractérisée par des anomalies musculaires structurelles et fonctionnelles dues au remplacement progressif du tissu myocardique par du tissu adipeux et fibreux.1 Les signes cliniques de la DAVD couvrent un vaste spectre de manifestations allant de l'absence complète de symptômes à des arythmies variées, incluant des extrasystoles ventriculaires isolées, des épisodes de tachycardies ventriculaires paroxystiques ou permanentes et la fibrillation ventriculaire pouvant conduire à la mort subite. L'apparition de la maladie est précoce, généralement avant l'âge de 40 ans. De nombreux accès de tachycardie ventriculaire sont provoqués par l'exercice et la DAVD est une cause de mort subite cardiaque chez les jeunes athlètes apparemment en bonne santé. Elle représente 17% des morts subites chez les personnes de 20 à 40 ans.2 Aucune manifestation clinique ne permet à elle seule de poser le diagnostic, d'où la difficulté de déterminer l'existence d'une DAVD avant le décès.
En 1994, des groupes de travail des sociétés européenne et internationale de cardiologie ont proposé des critères majeurs et mineurs pour le diagnostic de la DAVD :3 le diagnostic est retenu lors de la présence de deux critères majeurs, ou un critère majeur et deux critères mineurs, ou quatre critères mineurs (tableau 1).
L'approche thérapeutique de la DAVD est de différents types : antiarythmique et/ou implantation d'un défibrillateur automatique. A ce jour, les signes cliniques susceptibles de prédire l'apparition de troubles du rythme pouvant menacer l'existence ne sont pas déterminés, c'est pourquoi il n'y a pas de critères précis pour reconnaître les patients nécessitant un traitement particulièrement agressif.4 Cependant, l'exploration électrophysiologique est très utile afin de diagnostiquer le risque d'arythmies ventriculaires pouvant mettre en danger la vie du patient et ainsi guider la stratégie thérapeutique.
L'incidence dans la population générale est inconnue. Certaines données sont connues pour la région vénitienne qui représente une zone géographique avec une incidence élevée estimée à un cas sur 5000.5 Une prédominance masculine avec un sex-ratio de 4/1 est constatée. La DAVD obéit aux règles de la transmission autosomique dominante, ce qui signifie que tous les enfants d'une personne atteinte de DAVD ont chacun un risque a priori de 50% d'hériter la modification génétique (mutation) et ceci indépendamment du sexe de l'enfant. Cependant, l'expression, c'est-à-dire le degré d'intensité des manifestations cliniques, est très variable d'une personne à l'autre même au sein d'une même famille. La pénétrance qui correspond au pourcentage des personnes porteuses d'une mutation et qui expriment la maladie, est partielle ; elle est estimée à 70%. Une anamnèse familiale est retrouvée dans environ 50% des cas. Si l'on sait depuis de nombreuses années que les maladies héréditaires sont hétérogènes tant sur le plan phénotypique que génotypique, les découvertes issues de recherches moléculaires ont montré que le phénomène d'hétérogénéité génétique est beaucoup plus vaste qu'on ne le pensait. Une même maladie peut être causée par des mutations de gènes différents situés sur différentes régions (loci) chromosomiques. A ce jour, on connaît au moins sept différents loci chromosomiques pour les formes autosomiques dominantes de la DAVD6 (tableau 2). Récemment, le premier gène (nommé RYR2) pour la DAVD type II a été identifié.7 Il s'agit d'un gène qui code pour un récepteur de la ryanodine du muscle cardiaque. A ce jour, six mutations différentes ont été identifiées dans huit familles présentant une DAVD type II.8 Des mutations dans ce gène ont également été décrites dans des cas familiaux et sporadiques de tachycardie ventriculaire polymorphique sensible aux catécholamines.9,10 Les recherches actuelles s'intéressent principalement à l'identification des autres gènes responsables de la DAVD et à l'établissement d'une corrélation génotype/phénotype. Une telle corrélation permettra de prédire, sur la base des mutations retrouvées, de possibles signes cliniques et potentiellement le devenir des personnes porteuses de ces mutations.
Un couple et leur fils aîné âgé de 21 ans sont adressés pour un bilan cardiaque et une consultation de conseil génétique. L'anamnèse familiale nous apprend que le fils cadet est décédé subitement à l'âge de 17 ans, lors d'un effort physique (snowbord), d'une dysplasie arythmogène du ventricule droit (DAVD) diagnostiquée à l'autopsie. Il ne présentait pas d'antécédents personnels cardiaques. L'arbre généalogique ne révèle pas d'autre cas de mort subite ou de maladie cardiogénétique dans la famille.
Le bilan cardiaque comprend un ECG avec détection de potentiels tardifs, un examen Holter de 24 heures, une échocardiographie et en général une résonance magnétique nucléaire cardiaque. Dans notre cas, le bilan du père (1956) s'est avéré normal. Par contre, la mère (1951) a présenté de manière irrégulière des épisodes de palpitations. Elle est asymptomatique du point de vue cardiaque au moment du contrôle, mais l'ECG montre des ondes T négatives (fig. 1) et l'enregistrement Holter de nombreuses extrasystoles ventriculaires (> 1000/24 h). L'échocardiographie trans-thoracique et la résonance magnétique nucléaire ont montré un cur de taille et de fonction normales avec en particulier des cavités cardiaques droites normales. Vu la présence d'un critère majeur (histoire familiale du fils) et deux critères mineurs (T négatifs à l'ECG, > 1000 ES/24 h sur le Holter) (tableau 1), une biopsie endomyocardique a été pratiquée, et le résultat de l'histologie est compatible avec une dysplasie. Finalement, l'exploration électrophysiologique n'a pas pu déclencher une arythmie ventriculaire maligne (tachycardie ventriculaire).
Si la consultation de conseil génétique a un rôle à jouer dans de nombreux domaines de la médecine, elle est particulièrement importante et délicate dans le cadre de cardiopathies héréditaires mendéliennes. L'impact psychologique que constitue l'information quant aux risques génétiques liés à l'éventualité d'une mort subite cardiaque et à l'absence de moyens thérapeutiques et/ou préventifs bien établis nécessite une prise en charge conséquente, accompagnée souvent de plusieurs consultations.
Vu l'hérédité autosomique dominante, le résultat du bilan cardiaque effectué chez la mère a automatiquement indiqué que le risque de transmission pour le fils aîné est a priori de 50%. A cause de la pénétrance partielle (70%) de la maladie, le risque de manifestation clinique du fils est réduit à 35%. Son bilan cardiaque actuel s'est avéré normal. Il convient alors d'intégrer cette information dans le calcul du risque, raison pour laquelle nous avons appliqué le «théorème de Bayes», un outil statistique permettant de combiner différentes probabilités à une seule valeur. La probabilité relative que le fils aîné puisse être porteur de la maladie a été déterminée à 23%.
Dans un deuxième temps, nous avons également abordé les risques encourus par les quatre frères et surs de la mère, risques que nous n'allons pas développer ici.
Vu que l'exploration électrophysiologique n'a pas pu déclencher d'arythmie ventriculaire maligne chez la mère, et que jusqu'à présent elle n'a pas présenté de malaises ou de pertes de connaissance inexpliquées, il a été convenu de la traiter par des médicaments anti-arythmiques. Pour le fils aîné, qui ne présente actuellement aucun critère susceptible d'une DAVD, aucun traitement n'a été introduit. Un suivi cardio-génétique régulier est prévu à notre consultation en accord avec les médecins traitants respectifs.
Nous avons vu qu'il existe une hétérogénéité génétique importante pour la DAVD autosomique dominante avec au moins sept différents loci chromosomiques. Cependant, à ce jour seul le gène identifié (RYR2)7 permet l'analyse moléculaire directe par séquençage de l'ADN. Etant donné que nous avons conservé l'ADN du fils décédé, nous l'avons envoyé avec l'accord des parents, au centre de recherche spécialisé (Padova, Italie), centre qui a identifié le gène RYR2. Le résultat de l'analyse moléculaire n'a pas permis de mettre en évidence une mutation pathogénique dans ce gène. Ce résultat n'exclut pas le diagnostic, mais prouve que dans cette famille la DAVD est causée par une mutation située dans un autre gène non encore identifié à ce jour. La famille a été avertie du résultat ainsi que des recherches moléculaires constantes pratiquées dans le domaine, recherches qui apporteront dans le futur des informations génétiques complémentaires sur la DAVD et que nous nous empressons de communiquer aux consultants.
Lorsque le défaut génétique responsable de la DAVD sera identifié, il sera alors possible de proposer à la mère un test moléculaire permettant de confirmer son diagnostic clinique. Le fils aîné pourra alors avoir recours à un test prédictif pour la DAVD.
Des directives concernant les analyses génétiques11 ont été publiées par plusieurs organisations, à savoir l'Académie suisse des sciences médicales, la FMH par le Code déontologique, le Conseil de l'Europe par la «Convention européenne de bioéthique» signée par la Suisse en 1999 ainsi que l'OMS. Il en ressort que tout test génétique devrait être accompagné par un conseil génétique afin que les personnes concernées puissent donner leur consentement sur la base d'informations génétiques complètes et d'un soutien adéquat. Ces recommandations sont notamment indispensables pour les tests présymptomatiques et prédictifs. Afin de garantir une pratique uniforme et réglementée des analyses génétiques en Suisse, un projet de loi fédérale sur l'analyse génétique chez l'être humain est actuellement en discussion au Parlement fédéral.
Les expériences positives de collaborations réalisées dans le cadre de familles atteintes de cardiopathies mendéliennes et l'augmentation croissante de demandes pour des renseignements génétiques ont conduit à l'établissement d'une approche pluridisciplinaire complémentaire. Les divisions de cardiologie, de génétique médicale et la Policlinique de médecine des Hôpitaux universitaires de Genève ont mis sur pied une consultation conjointe de cardiologie et génétique dont l'objectif est d'optimiser la prise en charge des patients et de leurs familles atteints de cardiopathies héréditaires.
L'approche consiste à offrir un bilan et un suivi cardiaque par les cardiologues et un conseil génétique centré sur le patient et sa famille par un médecin généticien. En cas de suivi cardiaque en dehors du milieu hospitalier, un conseil génétique seul peut être demandé au médecin généticien. Les principales cardiopathies mendéliennes traitées dans cette consultation sont citées sur le tableau 2. Dans le canton de Genève, le conseil génétique effectué aux Hôpitaux universitaires de Genève est remboursé par les caisses-maladie.
A l'aide d'un exemple concret, nous avons démontré l'importance de la consultation de conseil génétique dans le cadre de cardiopathies héréditaires mendéliennes.
Cette consultation apporte des informations complémentaires au bilan cardiaque. Elle informe les patients notamment sur les aspects génétiques et héréditaires de la cardiopathie en question, sur les tests génétiques à disposition et sur leurs limites actuelles. Ces informations ont des implications personnelles, familiales et sociales, et demandent un important soutien du point de vue psychologique. Même si les réponses apportées sont encore parfois l'apanage de la recherche scientifique, comme c'est le cas dans l'exemple présenté, les renseignements génétiques adéquats transmis aux patients et une collaboration étroite avec leurs médecins traitants devraient permettre une meilleure prise en charge clinique de ces pathologies. C'est pourquoi, nous proposons une approche pluridisciplinaire complémentaire afin d'intégrer de façon appropriée et constante les progrès de la génétique médicale.