L'adolescence est une période particulière pendant laquelle les risques infectieux de l'enfance n'ont pas tous disparu, alors que commencent ceux de la vie adulte. La vaccination contre l'hépatite B est essentielle. Entre 11 et 15 ans, certains vaccins permettent de l'effectuer en seulement deux doses. Les risques de rougeole, rubéole et/ou oreillons à l'âge adulte justifient pleinement la vérification de l'anamnèse vaccinale (deux doses) et son rattrapage. Un vaccin supplémentaire doit être offert aux adolescents vaccinés contre les oreillons par la souche Rubini, malheureusement inefficace. Une recommandation de vaccination des jeunes encore non immuns contre la varicelle est actuellement à l'étude. Pas de recommandation spécifique contre les méningocoques, mais bien contre la coqueluche (rattrapage de la 5e dose). Rien de très compliqué : le défi est d'y penser !
Prévention vaccinale. Un concept généralement associé à la notion d'une vulnérabilité particulière, qu'elle soit celle des plus petits, des plus âgés ou des plus faibles, plutôt qu'à la robustesse physique des adolescents. Un concept ayant pour objectif de protéger l'avenir, en contraste presque choquant avec les innombrables prises de risques de l'adolescence. Un concept impliquant un geste invasif, d'autant moins apprécié qu'il est perçu comme imposé par une autorité dont les jeunes souhaitent s'affranchir au plus vite. Bonne santé évidente, goûts du risque, refus anticipé, autant de raisons de ne pas évoquer la prévention vaccinale devant un adolescent qui n'attend que de sortir du cabinet de consultation ?
A moins que... à moins que l'adolescence ne soit associée à des risques infectieux spécifiques, découlant d'une compétence inégalée à échanger des germes de toutes les manières possibles ; à moins qu'elle ne soit une période particulière pendant laquelle les risques de l'enfance n'ont pas tous disparu, alors même que commencent ceux de la vie adulte ; à moins que l'on ne permette aux jeunes de participer aux décisions les concernant, en se donnant la peine de les leur expliquer. Pour toutes ces raisons, en réalité, la prévention vaccinale ne devrait pas oublier les adolescents.
Malgré la solidité physique des adolescent(e)s, l'adolescence est une période à risque infectieux élevé. Le risque de transmission sexuelle n'est jamais aussi haut qu'à cette période, l'inexpérience favorisant l'utilisation inappropriée des préservatifs. Ainsi, l'effet antiviral des préservatifs est significativement plus faible chez les adolescents que les adultes, ce que reflètent chaque année les échecs de contraception (20% des rapports sexuels des moins de 22 ans), la contagiosité des virus étant naturellement bien supérieure à celle des spermatozoïdes ! Parmi les virus sexuellement transmissibles, seule l'hépatite B peut actuellement être prévenue par la vaccination, mais d'autres vaccins (herpès génital, papillomavirus) sont en phase avancée de développement clinique et s'adresseront préférentiellement aux adolescent(e)s.
En plus du risque de transmission sexuelle, plusieurs facteurs (chauffage central, diminution de la taille des familles, programmes de vaccination des jeunes enfants, etc.) contribuent dans nos pays industrialisés à diminuer le risque d'exposition aux pathogènes à transmission respiratoire pendant l'enfance, sans toutefois interrompre la circulation virale ou bactérienne. L'adolescence, avec ses contacts sociaux progressivement de plus en plus nombreux et de plus en plus rapprochés, représente alors une belle occasion de rattrapage infectieux ! Ainsi, le risque relatif de rougeole, d'oreillons, de varicelle ou d'infections à méningocoques n'est pas négligeable pour les jeunes encore non immuns à l'aube de l'âge adulte. Enfin, dans certains cas, l'immunité vaccinale induite dans l'enfance diminue progressivement, exposant par exemple à nouveau au risque de coqueluche.
La prévention vaccinale la plus fréquemment évoquée en relation avec l'adolescence est celle contre l'hépatite B. A juste titre, puisqu'un jeune sur vingt contractera une hépatite B aiguë avant l'âge de 40 ans.1 Les jeunes en sont encore peu conscients, étant surtout sensibilisés au risque de VIH, même si le risque d'être exposé à un porteur du virus de l'hépatite B lors d'une relation sexuelle est supérieur, en Suisse, à celui d'une exposition au VIH.
Etant donné le faible risque de transmission de l'hépatite B dans les pays à faible ou moyenne incidence comme la Suisse, la vaccination des préadolescents semblait la stratégie la plus logique à la majorité des médecins interrogés en 1997.2 Depuis 1998, la vaccination contre l'hépatite B est donc principalement recommandée entre l'âge de 11 et 16 ans. Elle s'est considérablement simplifiée au cours des dernières années (tableau 1). D'une part, un schéma de vaccination par deux doses seulement (Gen-HB-Vax Adulte® (Pro Vaccine), 2 x 1 ml à 4-6 mois d'intervalle) peut être utilisé pour les adolescents de 11 à 16 ans, en lieu et place du schéma standard de trois doses de 0,5 ml à 0, 1 et six mois d'intervalle. D'autre part, pour les nombreux préadolescents voyageurs une protection combinée contre l'hépatite B et l'hépatite A peut être obtenue avant 15 ans avec seulement deux doses de vaccin adulte (Twinrix® (GSK), 2 x 1 ml à six mois d'intervalle). Au contraire de la précédente, cette stratégie n'est toutefois pas prise en charge par l'assurance maladie de base, la vaccination hépatite A ne faisant pas partie du calendrier vaccinal suisse. Ces stratégies vaccinales garantissent une efficacité protectrice d'au moins 95-99%.3
La logique voudrait donc que la vaccination des jeunes (11-16 ans) contre l'hépatite B ait trouvé sans peine une vitesse de croisière permettant d'offrir cette protection à la majorité de nos jeunes. C'est effectivement le cas dans les cantons (Vaud, Valais, etc.) où la vaccination est offerte à plus de 80% des jeunes par le biais de l'école.4 A Genève, les résultats sont un peu moins bons, la campagne de vaccination initiée en octobre 1998 ayant souffert de la polémique conduisant en France, avec une synchronisation parfaite (!), à la suspension de la vaccination scolaire pour crainte de déclenchement éventuel de sclérose en plaques. Quatre ans et une dizaine d'études plus tard,5 la communauté scientifique est au clair quant à l'absence de risque vaccinal, mais le peu de médiatisation des résultats rassurants n'a pas encore dissipé toutes les interrogations dans le public. Enfin, et surtout, la couverture vaccinale peine à augmenter dans les cantons ne faisant pas participer suffisamment activement l'école au programme de vaccination. Ainsi, il n'est malheureusement pas du tout certain que l'adolescent qui n'attend que de s'échapper du cabinet de consultation ait déjà été vacciné contre l'hépatite B !
La vaccination des petits enfants contre rougeole-oreillons-rubéole devrait permettre d'éliminer la circulation virale et donc le danger d'une infection à l'âge adulte. Malheureusement, la couverture vaccinale insuffisante atteinte dans notre pays fait persister la circulation virale, et donc les risques infectieux, tout en diminuant le risque d'exposition pendant l'enfance. Ceci crée une situation défavorable pour les jeunes dont les parents ont refusé la vaccination dans l'enfance. Ainsi, entre 1992 et 1997, 15-20% des étudiants en médecine de Berne étaient encore non immuns contre la rougeole6 et la situation semble très semblable à Bâle et à Genève (publications en cours). Or, rougeole et oreillons sont des virus tellement contagieux qu'il est certain que ces jeunes seront infectés tôt ou tard. Malheureusement, ces infections sont graves à l'âge adulte : l'encéphalite rougeoleuse frappe aussi fréquemment (1/1000) les jeunes adultes que les petits enfants, et 50% des jeunes garçons attrapant les oreillons après la puberté souffriront d'une orchite particulièrement douloureuse. Le risque d'une infection rubéoleuse pendant la grossesse est bien connu mais la rougeole n'est pas moins dangereuse si elle frappe pendant la grossesse ou touche un nourrisson non protégé par les anticorps maternels.
A cette situation s'ajoute actuellement en Suisse le facteur regrettable de l'utilisation pendant de nombreuses années d'un vaccin (Triviraten®, Berna Biotech) conférant une bonne protection contre rougeole et rubéole, mais contenant une souche vaccinale (Rubini) démontrée par plusieurs études tant en Suisse qu'à l'étranger comme de faible efficacité contre les oreillons.7-10 Ce vaccin a finalement été retiré du Plan suisse de vaccination en avril 2002.11 Cependant, nombreux sont encore les adolescents qui ont reçu seulement du Triviraten® dans leur petite enfance. Afin de les protéger contre la prochaine épidémie d'oreillons déjà annoncée (la précédente avait fait près de 40 000 cas), il faut offrir à ceux qui n'ont pas encore eu les oreillons au moins une dose d'un vaccin efficace le recours à une sérologie étant inutile.
Ainsi, il faut s'assurer que les adolescents dont on a la charge, même brièvement au gré d'une de leurs rares consultations médicales, aient bénéficié de deux doses de vaccin rougeole-oreillons-rubéole, dont au moins une avec un vaccin différent du Triviraten® (tableau 2). Si l'anamnèse vaccinale ou infectieuse est incertaine ou douteuse, il est plus efficace de donner une dose de vaccin supplémentaire que de déployer des outils de diagnostic clinique (très peu spécifique) ou sérologique : si des anticorps avaient déjà été induits par une infection ou une vaccination antérieure, ils neutraliseront immédiatement la/les souche(s) vaccinale(s) correspondante(s). Le même raisonnement s'applique à la recherche, souvent frustrante, de vaccins monovalents éventuellement disponibles : un vaccin trivalent rougeole-oreillons-rubéole peut être utilisé sans crainte en cas d'immunité partielle.
La varicelle est tellement contagieuse que la majorité l'attrape pendant l'enfance. La majorité, mais pas tous ! Une étude suisse récente montre que 5-10% des jeunes sont encore non immuns contre la varicelle à l'âge de 12 ans.12 Sur la base des données disponibles en Suisse, on estime à environ 3000 cas par an le nombre de jeunes adultes frappés par la varicelle. Une infection grave dans ce groupe d'âge, puisque le risque d'hospitalisation est multiplié par 25, sans compter les risques particuliers de la varicelle in utero ou périnatale. Dans notre pays qui n'envisage actuellement pas une prévention primaire de la varicelle par la vaccination généralisée des petits enfants se pose donc la question d'offrir cette vaccination au groupe à risques que représentent les jeunes qui atteignent l'adolescence sans être encore immuns.
Un vaccin existe (Varilrix® (GSK)). Il est efficace sur le terrain, protégeant à 97% contre les varicelles sévères et à 85% contre toute forme de varicelle.13 Une seule dose vaccinale est suffisante avant l'âge de 13 ans, deux doses étant nécessaires après cet âge. Ce vaccin est très bien toléré,14 son profil de sécurité ayant permis son introduction en vaccination de routine à l'âge de 12 mois aux Etats-Unis.
Faudrait-il dès lors offrir cette vaccination aux préadolescents encore non immuns pour la varicelle, comme introduit en Allemagne depuis l'été 2001 ? Sur le plan médical, la réponse est clairement positive étant donné le risque d'exposition (pratiquement 100%) et la sévérité des complications de la varicelle à l'âge adulte. C'est l'analyse économique et logistique qui fait surgir des questions : sachant que la valeur prédictive positive d'une anamnèse clinique de varicelle est de 98%, serait-il plus économique de proposer la vaccination à tous les jeunes sans anamnèse clinique de varicelle, alors même qu'une majorité (> 70%) est déjà immune (varicelle pauci-symptomatique) ? Ou bien devrait-on recommander une sérologie préalable, au prix d'une logistique plus lourde, pour ne vacciner que les jeunes réellement encore séronégatifs ? Cette question, dont dépend la formulation d'une recommandation de vaccination contre la varicelle des préadolescents, est actuellement analysée à l'Office fédéral de la santé publique. En attendant cette dernière, la vaccination contre la varicelle peut (devrait ?) être proposée aux jeunes sans anamnèse clinique de varicelle... mais sans oublier de préciser que celle-ci n'est pas (encore ?) couverte par l'assurance maladie obligatoire.
Bien qu'également non remboursés, les vaccins conjugués contre les infections à méningocoques du groupe C (il en existe maintenant trois aux caractéristiques semblables : Meningitec® (Wyeth Lederle), NeisVac®-C (Baxter), Menjugate® (Berna Biotech)) font partie des rares vaccins pour lesquels la demande émane du public ! Le risque infectieux est maximal avant 5 ans (immaturité immunitaire) et entre 15 et 20 ans (intensité des échanges microbiens). Le risque de contracter une infection à méningocoques du groupe C avant l'âge de 20 ans en Suisse a été estimé à environ 1 : 1000, celui d'en décéder à environ 1 : 15 000.15 Des chiffres estimés trop faibles par les autorités de santé publique suisses pour conduire à une recommandation de vaccination généralisée, introduite en Angleterre, en Espagne, en Hollande, en Belgique. Mais des chiffres diversement interprétés, la sévérité de cette affection fulgurante lui donnant une présence sociale (et médiatique) considérable. Quoi qu'il en soit, il semble difficile de «refuser» un vaccin ayant fait la preuve de son efficacité (> 95% dans cette tranche d'âge) et de sa bonne tolérance à ceux qui en feraient la demande. Le risque étant considérablement accru par la proximité, la vaccination contre les méningocoques du groupe C est par ailleurs officiellement recommandée pour les jeunes à l'école de recrue. Elle est alors directement prise en charge, sur le plan logistique et financier, par l'armée elle-même. A noter que les jeunes qui voyageraient à destination de pays endémiques pour les méningocoques des sérogroupes A ou W135 (Afrique essentiellement) nécessitent une vaccination complémentaire par un vaccin polysaccharidique quadrivalent (Mencevax® (GSK)) après un intervalle d'au moins six semaines (tableau 3).
Un adolescent qui tousse en quintes pendant des semaines, au point de perturber son sommeil et par conséquent ses capacités scolaires, a sans doute une coqueluche. Même s'il a été vacciné dans la petite enfance, l'immunité vaccinale ne dépasse pas une dizaine d'années et elle n'est pas suffisante pour interrompre la circulation de Bordetella Pertussis. Ainsi, la recrudescence relative des cas de coqueluche chez les jeunes adultes dans les pays à forte couverture vaccinale16 pose la question de devoir entretenir l'immunité vaccinale par des rappels supplémentaires. Rappelons qu'en Suisse, la vaccination coqueluche inclut cinq doses de vaccins à 2, 4 et 6 mois, 15-23 mois puis 4-6 ans. Une évaluation récente (en cours de publication) indique cependant que la cinquième dose (4-6 ans), introduite dans le calendrier en 1996 dès la mise à disposition des vaccins coqueluche acellulaires, n'est encore administrée qu'à une minorité d'enfants. Ainsi, la coqueluche sévit encore dans nos écoles et nos cycles, sous forme endémique et de mini-épidémies.
Comment diminuer le risque de coqueluche chez les jeunes de notre pays ? D'abord en augmentant la protection vaccinale globale, pour que chaque jeune reçoive cinq doses de vaccin coqueluche. Le vaccin disponible pour les rappels/rattrapages est le Boostrix®-dTpa (GSK), qui contient un contenu plus faible d'antigènes diphtériques et pertussiques que les vaccins destinés aux nourrissons et petits enfants. Il est recommandé pour le rattrapage de la cinquième dose, dès l'âge de 10 ans. Malheureusement, l'absence actuelle de vaccin coqueluche non combiné aux vaccins tétanos et diphtérie ne permet pas de rattraper sélectivement cette vaccination pour les jeunes ayant reçu un rappel diTe au cours des cinq années précédentes.
L'éventualité d'une prolongation de l'immunité vaccinale par l'administration de doses supplémentaires (sixième dose) de vaccin coqueluche aux adolescents ou jeunes adultes est actuellement envisagée dans certains pays. Cependant, des interrogations subsistent encore quant à l'efficacité de cette sixième dose, sa réactogénicité et la durée de protection qu'elle permettrait d'induire. Enfin, la distribution des cas de coqueluche en Suisse (
La vaccination des adolescents est considérée comme tellement difficile sur le plan logistique que de nombreux pays renoncent d'emblée à l'envisager. L'expérience acquise en Suisse avec la vaccination contre l'hépatite B montre qu'elle est possible, mais difficile sans l'appui solide des programmes scolaires, qui dépendent des cantons. Difficile, ou impossible ? La médecine de l'adolescence est actuellement en plein développement, confiée en partie à des spécialistes ayant acquis des compétences spécifiques pour pouvoir faire face aux jeunes en difficulté. Mais la prévention anti-infectieuse concerne tous les jeunes sans distinction, et chacun des partenaires de la santé pourrait se sentir concerné par la protection de leur avenir. D'autant plus que c'est assez simple : la seule difficulté est d'y penser au bon moment !