L'ostéoporose et les fractures qui lui sont associées constituent un problème majeur de santé publique. La masse minérale et l'architecture osseuses s'acquièrent pendant l'enfance et l'adolescence pour atteindre un pic en fin de puberté, et diminuent au cours du dernier tiers de la vie. La prévention primaire de l'ostéoporose devrait donc débuter par l'optimisation du développement osseux. Celui-ci est principalement déterminé par des facteurs génétiques, cependant l'environnement, l'activité physique, la nutrition, les maladies et leur traitement ont une influence certaine. L'activité physique et les apports de calcium sont des facteurs qui peuvent moduler favorablement la croissance osseuse, en particulier avant ou en début de puberté, mais la quantité, l'âge d'introduction, la durée et les interactions restent à déterminer pour mettre en place des stratégies de prévention à l'échelle de la population. La prévention des blessures, en particulier des fractures, devrait aussi être renforcée.
L'ostéoporose et les fractures qui lui sont associées constituent un problème majeur de santé publique. Cette maladie est caractérisée par une diminution de la densité minérale osseuse (DMO) et une altération de l'architecture, qui conduisent à des fractures, en particulier au niveau de la hanche, de la colonne vertébrale et du radius distal. La DMO atteint un pic en fin de puberté et diminue au cours du troisième tiers de la vie. Il a été estimé qu'une augmentation de la DMO équivalente à une déviation standard (10-15%) en fin de croissance pourrait permettre de réduire le risque de fracture d'ostéoporose de 25 à 50% (fig. 1). La prévention primaire de l'ostéoporose devrait donc débuter par l'optimisation du développement osseux pendant l'enfance et l'adolescence.
Les fractures sur base d'ostéoporose touchent une personne de l'Union européenne toutes les trente secondes, en particulier les femmes. En Suisse, l'ostéoporose est la cause principale d'hospitalisation chez la femme et la quatrième cause chez l'homme, ce qui engendre des coûts directs de 600 millions de francs suisses par an. Les fractures de hanche ont des conséquences particulièrement graves puisque moins de deux tiers des patients retournent à leurs conditions de vie initiales et une personne sur quatre décède dans l'année qui suit la fracture.1 Le nombre de fractures de hanche va probablement doubler d'ici 2050 en Europe, secondairement au vieillissement de la population.
Les facteurs de risque de l'ostéoporose comprennent les troubles nutritionnels, un poids corporel bas, l'inactivité physique ou l'immobilisation, les antécédents de fracture, une histoire familiale d'ostéoporose, la consommation de tabac et d'alcool, et certains traitements médicamenteux (corticostéroïdes, etc.).
La masse minérale contenue dans le squelette dépend de la densité du tissu minéralisé et de son volume. Plusieurs techniques non invasives sont utilisées pour évaluer le développement osseux. La tomographie quantitative computérisée (QCT) mesure la DMO volumétrique (g.d'hydroxyapatite×cm-3) ainsi que la géométrie osseuse (diamètre, épaisseur corticale, surface de section, corticale et trabéculaire) au niveau de la colonne vertébrale et des sites périphériques (radius, cubitus, tibia). Les modèles périphériques (pQCT) délivrent une dose d'irradiation faible, par contre la mesure axiale nécessite des doses plus élevées. La densitométrie DXA (dual-energy x-ray absorptiometry) mesure la DMO par surface (g×cm-2), au niveau du corps entier, de la colonne vertébrale, et de la hanche. Bien qu'elle n'indique pas la valeur volumétrique, la densitométrie DXA fournit une bonne information sur le plan clinique puisque la DMO de surface est en relation avec le risque de fractures traumatiques chez l'enfant et de fractures sur base d'ostéoporose chez l'adulte. La DXA présente aussi d'autres avantages : accessibilité, radiations ionisantes faibles, coûts modérés, et mesure de la composition corporelle. Les valeurs de références sont actuellement établies en fonction de l'âge chronologique et non du stade pubertaire ou de l'âge osseux, ce qui rend l'évaluation difficile chez les adolescents qui ont un retard de développement. La définition de l'ostéoporose n'est donc pas clairement établie pendant la croissance et un groupe de travail international a été créé afin de corriger ce problème.
La résistance osseuse aux fractures est aussi déterminée par la géométrie, la qualité et la micro-architecture osseuse. Récemment, la résonance magnétique nucléaire (IRM) à haute résolution a été utilisée pour étudier la macro- et la micro-architecture osseuses, ainsi que la morphologie musculaire. Bien qu'elle offre l'avantage d'être dépourvue de radiations ionisantes, cette technique ne mesure pas la densité, coûte très cher, est difficilement accessible et a une résolution limitée (195-500 µm) pour étudier l'architecture trabéculaire.
L'ultrasonographie quantitative (QUS) est une méthode de mesure de la vitesse du son à travers le tissu osseux, qui reflète la DMO, l'élasticité et l'architecture du squelette. Elle est utilisée au niveau du calcanéum, du tibia et du poignet. Bien que cette méthode soit non irradiante, facilement accessible et peu chère, son utilité clinique pour le dépistage d'enfants et d'adolescents à risque est encore controversée.
De la naissance à la fin de la période pubertaire, l'enfant triple ou quadruple sa hauteur, et accumule plus de 1200 grammes de calcium dans les os. On distingue deux types de tissu osseux : cortical et trabéculaire. L'os cortical se trouve dans la diaphyse des os longs tandis que l'os trabéculaire se trouve dans les corps vertébraux, les os plats et la métaphyse des os longs. La croissance en longueur s'effectue par ossification enchondrale au niveau de la ligne épiphysaire, tandis que la croissance en largeur des os se fait par apposition périostée de tissu osseux par les ostéoblastes et par résorption endocorticale par les ostéoclastes (fig. 2). Ce mécanisme permet de limiter le poids du squelette et d'augmenter le moment d'inertie qui influence directement la résistance aux fractures.
Avant la puberté, la DMO de surface est similaire entre les sexes.2 L'augmentation de la DMO de surface est principalement due à l'élargissement des os par expansion périostée,3 accompagnée de changements minimes de la DMO volumétrique.4 La variabilité de la DMO de surface est particulièrement marquée en période pubertaire.5 Le pic de la DMO de surface est généralement atteint en fin de deuxième décennie chez la fille et seulement en début de troisième décennie chez le garçon, la période d'acquisition de minéral étant de plus longue durée.2,5,6 Une étude récente suggère que l'expansion périostée de l'avant-bras est plus importante chez le garçon, tandis que la fille a une réduction de la cavité médullaire,7 ce qui aurait un effet moindre sur la résistance mécanique osseuse. Des différences en fonction des origines ethniques ont également été rapportées. Les adolescents de race noire ont une DMO volumétrique et une surface transverse du fémur moyen plus élevées que les caucasiens.8
L'acquisition de la masse minérale osseuse dans le squelette (g×an-1) est maximale environ un an après le pic de croissance (cm×an-1), vers 11-12 ans chez la fille et vers 13-14 ans chez le garçon, surtout au niveau de la colonne lombaire et du col fémoral.5,9 Cette période correspond au début de la puberté (stades P2-P3). Il existe donc un délai entre la croissance en longueur et celle en largeur des os aboutissant à une fragilité transitoire,2,5,9,10 ce qui pourrait expliquer l'augmentation de l'incidence des fractures pendant la puberté.
Certaines pathologies sont associées à un développement osseux anormal : 1) les maladies osseuses primaires (ostéogenèse imparfaite, achondroplasie par exemple) ; 2) les maladies osseuses secondaires (maladies métaboliques, rachitisme, mucoviscidose, diabète type 1, 3 par exemple) et les effets secondaires au traitement (corticostéroïdes par exemple).
Plusieurs facteurs influencent le développement osseux : les facteurs génétiques, la race, le sexe, le poids corporel, les facteurs endocriniens (strogènes, insulin-like growth factor I, calcitriol), l'activité physique, la nutrition et l'exposition à des maladies ou à leur traitement (fig. 3).11 Les facteurs génétiques jouent un rôle primordial, bien que les gènes spécifiques ne soient pas encore identifiés. L'héritabilité de la masse minérale osseuse a été documentée par des études effectuées chez des enfants et leurs parents, ou en comparant des jumeaux uni- et bivitellins. Les filles de mères atteintes d'ostéoporose ont une DMO basse. Cette association est déjà présente avant la puberté et persiste pendant la période pubertaire,12 ce qui suggère que la variabilité de la DMO est due à des facteurs génétiques qui interviennent déjà tôt dans la vie.2,5
Les études génétiques effectuées chez l'enfant et l'adolescent se sont principalement concentrées sur l'association entre la DMO de surface et des gènes candidats. Quelques polymorphismes géniques ont été identifiés comme associés à la croissance osseuse. Il s'agit des gènes codant le récepteur de la vitamine D (VDR), l'insulin-like growth factor I (IGF-I) et le récepteur de l'estradiol (ER). Mais leur influence pourrait être confondue par l'effet d'autres gènes ou par des facteurs environnementaux. Le développement osseux implique des changements de la DMO mais aussi de la taille, de l'épaisseur corticale et de la micro- architecture trabéculaire. Les relations entre le développement du squelette osseux à différents stades de maturation, les hormones, d'une part, et les polymorphismes géniques, d'autre part, dans des modèles complexes, restent à déterminer. Nous allons maintenant nous concentrer sur les déterminants qui sont potentiellement modifiables afin d'optimiser le développement osseux.
L'activité physique est associée à une augmentation de la DMO et de la taille osseuse pendant l'enfance et l'adolescence.13 Les forces mécaniques appliquées au squelette lors de l'exercice stimulent la prolifération cellulaire, soit par induction de champs électriques, soit par déplacement de fluides.14 Par contre, l'immobilisation prolongée est associée à une perte minérale osseuse. Les adolescents qui ont eu une fracture du membre inférieur dans les deux années précédentes ont une réduction de la DMO au niveau de la hanche, par rapport au côté sain.15
Dans la population générale, les adolescents qui sont régulièrement actifs atteignent un pic de masse osseuse de 9% et 17% plus élevé, chez les filles et les garçons respectivement, que ceux qui sont sédentaires.9 Les sports de charge (sur les deux pieds) semblent particulièrement bénéfiques, par rapport à la natation ou le vélo,16 surtout les activités qui incluent des impacts importants et répétés (gymnastes, coureuses par exemple).16,17 Ces adaptations semblent persister à long terme puisque les adultes qui étaient actifs pendant la croissance18 ont une DMO supérieure à celle des sujets sédentaires. Par contre, il n'a pas encore été prouvé que le risque de fracture d'ostéoporose diminue à long terme.19
Plusieurs études randomisées contrôlées ont démontré l'efficacité de l'exercice physique de charge chez les enfants et les adolescents et ont été revues récemment.20,21 Sept à neuf mois d'entraînement de saut et de course trois fois par semaine (10-45 minutes) ont induit une augmentation significative de 1,5 à 3,5% de la DMO de surface chez les filles et les garçons, en particulier au niveau de la hanche. Au cours de la période avant la ménarche, l'os semble plus sensible à l'exercice physique ; par contre, aucune étude n'a été effectuée chez les garçons pendant la puberté. La fréquence, l'intensité et la durée optimale de l'exercice en fonction du stade de maturation restent à déterminer.
La matrice osseuse est principalement composée de calcium, phosphate, et de protéines. Pendant la période de croissance rapide, les besoins sont clairement augmentés. La puberté est une période marquée par des changements du comportement et de style de vie, entre autres par des modifications de la nutrition vers deux extrêmes. D'une part, des apports trop importants qui, en synergie avec la sédentarité, aboutissent à l'excès pondéral et entraînent une adaptation positive de la masse minérale osseuse par l'augmentation de la charge mécanique. D'autre part, la restriction des apports qui peut conduire à des troubles majeurs de la conduite alimentaire comme l'anorexie nerveuse. En effet, la minceur fait partie intégrante de notre monde médiatique et 37% des adolescentes suisses avouent avoir des craintes concernant leur poids ou essayent de faire un régime. De plus, il a été estimé que 0,5 à 1% des adolescentes souffrent d'anorexie nerveuse. Ces troubles sévères de la conduite alimentaire (déficience en calcium, magnésium, zinc, fer, protéines, glucides, calories) sont clairement associés à une perturbation de la croissance osseuse. Il est possible que les adolescentes qui limitent leurs apports sans toutefois remplir tous les critères de l'anorexie nerveuse suivent aussi cette tendance.
L'acquisition de minéral dans le squelette, en particulier avant ou en début de puberté, et le pic de masse osseuse sont associés à l'apport de calcium.22 Un modèle à double seuil a été évoqué : 1) un seuil bas à 400-500 mg d'apport calcique par jour, en dessous duquel la relation apport calcique-accumulation osseuse est positive car le calcium est un substrat nécessaire à la construction du tissu osseux ; 2) un seuil élevé à 1600 mg, au-dessus duquel l'effet favorable du calcium pourrait être dû à un autre mécanisme encore inconnu. Les deux seuils pourraient varier en fonction du stade de maturation.
Sept études randomisées contrôlées d'une durée de douze à trente-six mois ont démontré l'efficacité d'un supplément de calcium chez des sujets pré-pubères et péri-pubères.21,23 Les résultats diffèrent selon le type de supplément utilisé : les compléments phosphocalciques extraits de produits laitiers induisent un gain non seulement de la DMO mais aussi de l'épaisseur osseuse et de la taille staturale. D'autres études ont démontré l'efficacité d'un complément de lait ou de produits laitiers chez les adolescentes. Pendant la puberté, les effets sont plus importants au niveau du squelette axial qu'appendiculaire, tandis que l'inverse a été observé chez les enfants pré-pubères. Le squelette semble particulièrement sensible avant la puberté, surtout chez les sujets qui ont un apport calcique bas.23 Il est difficile de savoir si ces effets vont persister pendant la vie adulte et s'ils permettront de prévenir des fractures d'ostéoporose. Bonjour et coll. ont rapporté la persistance des effets 12 mois puis 3,5 ans après l'intervention.24 Par contre, d'autres auteurs ayant utilisé des compléments calciques différents (calcium citrate ou carbonate) n'ont pas confirmé ces résultats.25
Pendant la croissance, la vitamine D joue un rôle essentiel en augmentant l'absorption intestinale de calcium. La déficience en vitamine D conduit à une minéralisation anormale (rachitisme) et à une prédisposition aux fractures. Elle est due à un manque d'exposition au soleil ou à un apport diminué en vitamine D. Le rachitisme est une maladie rare dans les pays développés, cependant la déficience partielle en vitamine D présente un problème souvent sous-estimé. Des variations saisonnières de la concentration plasmatique en vitamine D ont été rapportées en Europe.26,27 En France, une réduction significative de la concentration en 25(OH)D a été démontrée chez 68% des adolescents pendant l'hiver.27 Les concentrations hivernales de PTH intacte (iPTH) étaient élevées. Chez les mêmes sujets, une complémentation en vitamine D3 a été efficace pour maintenir les concentrations estivales de 25(OH)D et de PTH pendant l'hiver. Des fillettes de 8 ans ayant reçu de la vitamine D au cours de la première année de vie avaient une DMO supérieure à celles n'ayant pas reçu un tel supplément.28 Cependant, aucune intervention randomisée contrôlée n'a encore été réalisée chez l'enfant ou l'adolescent. Bien que la déficience partielle en vitamine D soit asymptomatique, il est probable qu'elle conduise à un développement osseux suboptimal.
L'apport en protéines apparaît associé au métabolisme phosphocalcique, à la DMO ou au risque de fractures d'ostéoporose chez l'adulte. Chez l'animal, une déficience isolée en protéine conduit à une réduction de la masse minérale et de la résistance osseuse. Les troubles de la conduite alimentaire sévères pendant l'adolescence sont associés à une altération de l'acquisition osseuse, mais il est difficile de démontrer un lien de causalité avec les nutriments isolés. Un manque de protéines pourrait avoir des effets négatifs sur le squelette par l'intermédiaire d'une baisse de la production d'IGF-I et de son activité anabolisante sur l'os. En effet, l'IGF-I a une action directe sur le cartilage épiphysaire et sur la formation osseuse au niveau du périoste. Aucune intervention randomisée contrôlée n'a encore été effectuée chez des enfants ou adolescents.
Les blessures, en particulier les fractures, peuvent influencer le développement osseux de l'adolescent soit par une perturbation locale du métabolisme osseux, soit de manière indirecte par une immobilisation prolongée ou une réduction de l'activité physique à court, moyen ou long terme. Le squelette en croissance est particulièrement susceptible aux blessures en raison de la présence de cartilage de croissance dans les zones épiphysaires, l'apophyse et la surface articulaire. Une période de fragilité transitoire après le pic de croissance a été discutée précédemment. En 1998, 45% des adolescents suisses de 12 à 15 ans ont rapporté un traitement pour blessure, au minimum, dans l'année précédente. Une étude effectuée dans le canton de Vaud chez 3609 élèves de 10 à 19 ans a révélé que 28,2% des filles et 35,9% des garçons rapportaient au moins une blessure sportive dans l'année précédente. Certains sports ont été identifiés comme à risque : musculation, planche à roulettes, patin à roulettes, athlétisme, surf sur neige, basketball, football et hockey sur glace. Le risque de blessure était positivement associé à l'âge et au stade pubertaire. Quelques études épidémiologiques suisses ont démontré que les fractures représentent 17 à 27% des blessures des adolescents. Duperrex et coll. ont rapporté que 21% des fractures étaient associées à la pratique d'un sport.29 Face à cette situation dramatique, la prévention primaire doit être améliorée chez les adolescents. Il est maintenant évident qu'une grande majorité des blessures sportives pourraient être prévenues par l'adoption de mesures simples (The Harborview Injury Prevention and Research Center - http:// depts.washington.edu/hiprc/childinjury).30
L'acquisition de la masse minérale et de l'architecture osseuses est un processus qui débute tôt dans la vie, s'accélère au stade pubertaire P2-P3 et se termine en fin de deuxième décennie chez la fille et en début de troisième décennie chez le garçon. Les facteurs génétiques jouent un rôle prépondérant, mais d'autres facteurs biologiques ou environnementaux agissent aussi. Les interventions visant à modifier l'activité physique ou les apports de calcium sont efficaces pour optimiser le développement osseux à court terme, mais la persistance des effets à long terme est encore inconnue. Le dosage idéal, l'âge de début, la durée d'intervention et les interactions avec d'autres facteurs doivent encore être déterminés afin de mettre en place des stratégies au niveau de la population générale. Des interventions spécifiques devraient également être conduites chez des adolescents à risque (troubles de la conduite alimentaire, maladies chroniques, inactivité physique), afin de mettre en place des stratégies ciblées.