Outre l'atteinte hépatique, les virus hépatotropes peuvent causer des manifestations extra-hépatiques, en particulier rénales. Celles-ci sont certes rares, mais peuvent révéler la maladie et engendrer une morbidité et une mortalité non négligeables. Le virus VHB, dont la prévalence d'infection a chuté, se manifestait autrefois essentiellement par la périartérite noueuse. Actuellement, il se présente au niveau rénal surtout sous la forme de glomérulonéphrites. Chez l'enfant, il s'agit le plus souvent de formes membraneuses d'évolution plutôt favorable, alors que chez l'adulte diverses formes histologiques sont retrouvées, au pronostic plus réservé. L'effet des traitements antiviraux est bien connu pour l'atteinte hépatique mais reste en cours d'évaluation pour les néphropathies associées au VHB en raison de la faible prévalence et de l'hétérogénéité de ces manifestations.
Les hépatites virales chroniques représentent un problème de santé publique majeur, plutôt lié à l'hépatite C dans les pays industrialisés et à l'hépatite B dans les pays dits en développement, mais pas exclusivement. L'histoire naturelle de l'infection VHB diffère selon le moment où elle est contractée avec une évolution plus favorable si l'infection survient à l'âge adulte par voie de contamination parentérale avec 95% de guérison et 5% de porteurs chroniques. En Asie, où la transmission est plutôt verticale, les taux de guérison sont plus bas avec un passage à la chronicité dans 30 à 90% des cas. L'incidence annuelle de nouveaux cas VHB a diminué de 50% pour l'hépatite B dans les dix dernières années en Occident, essentiellement en raison des campagnes de vaccination. Néanmoins, 400 millions d'individus sont infectés dans le monde avec 1 à 2 millions de décès par an et 100 millions sont atteints de cirrhose. On considère qu'il y a environ 1% de porteurs sains, les autres présentant une hépatite chronique avec une incidence annuelle de 2 à 10% de cirrhose et de 4 à 5% de carcinome hépato-cellulaire.1 Outre les manifestations purement hépatiques (hépatite, cirrhose, hépato-carcinome), il existe des manifestations extra-hépatiques dont la prévalence est estimée à 10-20% pour le VHB. Ces manifestations extra-hépatiques peuvent toutefois être au premier plan clinique et sont associées à une morbidité et une mortalité significatives. Nous n'aborderons pas ici les complications liées au virus VHC et nous nous limiterons à mentionner les manifestations extra-hépatiques liées au virus VHB (tableau 1), en traitant spécifiquement les néphropathies qui y sont associées.
Un homme de 44 ans, travailleur de force, en bonne santé habituelle, consulte pour des lombalgies d'aspect mécanique, apparues dans le cadre de son travail. Suite à la prise d'AINS, il se plaint d'épigastralgies motivant une gastroscopie qui montre deux ulcères fundiques et des examens biologiques révélant une insuffisance rénale avec protéinurie ainsi qu'une cytolyse hépatique.
A l'anamnèse, on retient une perte pondérale de 3-4 kg depuis 4 mois, une asthénie, un épisode isolé et nu de fièvre récent. La consommation d'alcool est à 8-10 unités par jour. Au status, le patient est en bon état général, normocarde, normotendu, anictérique et sans signe d'hépatopathie. La créatinine est à 150 mmol/l, urée 8 mmol/l, ASAT 102 U/l, ALAT 143 U/l, sans cholestase ni perturbation des tests pancréatiques. On note une protéinurie à 0,8 g/24 h, constituée pour moitié d'albumine, une microhématurie glomérulaire (40 érythrocytes/HPF) accompagnée de cylindres hématiques au sédiment. Le bilan immunologique est négatif (FAN, ANCA, complément). L'électrophorèse sanguine est normale et la recherche de cryoglobuline négative. Les sérologies pour VIH et VHC sont négatives, par contre elles se révèlent positives pour une hépatite B réplicative : AgHBs, AgHBe et Ac anti-HBc positifs, ADN viral positif à 2000 pg/ml. La sérologie pour l'hépatite delta est négative.
Dans ce contexte d'hépatite chronique réplicative avec atteinte rénale, une double biopsie hépatique et rénale est réalisée. La PBF montre une hépatite d'activité modérée avec fibrose portale extensive, d'étiologie virale B en immunohistochimie avec réplication virale active.
La PBR montre quant à elle une glomérulonéphrite (GN) mésangio-proliférative avec croissants fibreux dans un quart des glomérules, fibrose interstitielle diffuse modérée avec atrophie tubulaire. L'immunofluorescence est positive pour des dépôts d'IgA et de C3. A la microscopie électronique, on note la présence de dépôts osmophiliques denses paramésangiaux. Il s'agit donc d'une GN mésangio-proliférative à IgA. Les images histologiques permettent de diagnostiquer des lésions déjà chroniques d'une néphropathie associée à une hépatite chronique B active. L'indication à un traitement est donc posée selon les recommandations de l'EASl,2 avec introduction d'interféron-a en monothérapie.
Ce cas clinique récent démontre que la présentation rénale peut être la manifestation clinique révélant la maladie virale à VHB. Il ouvre le diagnostic différentiel des néphropathies associées au virus VHB.
L'association de cette entité à l'hépatite B est décrite depuis 1937, mais le lien formel n'a pu être établi qu'en 1970 par la démonstration de la présence d'AgHBs conjointement dans le sérum et les lésions vasculaires.3 Il s'agit d'une complication précoce qui survient en règle générale dans les six premiers mois après la séroconversion. La pathogenèse n'est pas encore clairement élucidée mais probablement liée à la présence de complexes immuns (CI) circulants. Dans les années 70, la fréquence de PAN due au VHB atteint 30% et décroît par la suite à 7% en raison des campagnes de vaccination.4
La lésion caractéristique est une vasculite avec nécrose fibrinoïde qui atteint les petites et moyennes artères de façon segmentaire, et peut concerner n'importe quel organe. Le diagnostic peut être aussi posé via un examen angiographique qui révèle des microanévrismes présents dans plus de 60% des cas. Les ANCA sont typiquement négatifs.
L'atteinte rénale est quasi constante avec, selon les cas, hématurie, protéinurie, insuffisance rénale, hypertension parfois sévère et comprend également défaillance cardiaque, douleurs abdominales, arthrite, mononévrite.5 Un score pronostique de cinq facteurs permet de prédire la survie. Il comprend l'insuffisance rénale, la protéinurie ainsi que l'atteinte viscérale, cardiaque, digestive et cérébrale.6
L'évolution est indépendante de la sévérité de l'atteinte hépatique et similaire pour les patients HBs positifs ou négatifs.4 Les stéroïdes et le cyclophosphamide peuvent avoir un effet délétère sur le cours de la maladie hépatique, par réactivation virale, surtout à l'arrêt du traitement. Au vu de l'efficacité des échanges plasmatiques dans la PAN classique et des antiviraux dans l'atteinte hépatique, les deux traitements ont été combinés dans la PAN VHB avec un bon effet.7 L'association de lamivudine peut entraîner une suppression rapide de la réplication virale.8
La première description d'infection chronique VHB associée à une atteinte rénale remonte à 1971, par la démonstration sur des biopsies rénales de CI, AgHBs/Ac-anti-HBs.9 Trois formes principales de GN ont été décrites.10 La plus fréquente est la GN membraneuse (MGN) que l'on retrouve essentiellement chez l'enfant, on trouve également la GN membrano-proliférative (MPGN) et plus rarement la néphropathie à IgA (IgAN). Dans la littérature d'autres formes sont encore décrites, elles représentent des cas isolés, voire de petites séries, et regroupent des formes mixtes associant MGN-IgAN, GN à croissants, GN mésangio-prolifératives, néphropathies à lésions minimes ou hyalinose segmentaire et focale.11,12 La prévalence de GN parmi les patients avec infection chronique VHB n'est pas réellement connue, avec des chiffres variant de 11 à 56% chez l'enfant, sans données très claires chez l'adulte et dépendant essentiellement du niveau d'endémicité.
La MGN est particulièrement fréquente chez l'enfant qui a été infecté par le VHB de manière verticale via sa mère. Elle peut se présenter sous forme d'un syndrome néphrotique, en général sans insuffisance rénale significative. La particularité de cette forme de GN associée au VHB est la présence de complexes d'AgHBe et Ac-antiHBe dans les dépôts sous-épithéliaux. Le déterminant majeur des dépôts est l'AgHBe, antigène de faible poids moléculaire qui pourrait être passivement absorbé dans la membrane basale. De plus, le titre d'AgHBe circulant est souvent bien corrélé avec l'activité de la néphropathie.13 Le diagnostic de MGN n'est toutefois pas toujours évident comme le montre une large série polonaise de 98 enfants avec GN associée au VHB. Le diagnostic posé en microscopie optique recouvrait le large spectre des différentes glomérulonéphrites alors que la microscopie électronique permettait de conclure à une MGN dans 79% des cas.14
Le traitement est controversé chez l'enfant dans la mesure où la résolution spontanée est fréquente après 6 à 24 mois. La probabilité cumulée de rémission est de 64% à quatre ans, elle survient d'autant plus fréquemment que l'enfant est jeune, que la durée de la maladie est courte et que les dépôts sous-épithéliaux sont peu nombreux. Elle est souvent associée à la séroconversion Ac-antiHBe, cependant l'apparition de ces anticorps n'est pas forcément accompagnée par une diminution de la protéinurie.
L'évolution est moins favorable chez l'adulte, 30% progressent dans leur néphropathie. La rémission spontanée est rare et la sévérité de l'atteinte hépatique est mal corrélée à l'atteinte rénale.15 Le traitement d'IFN-a entraîne toutefois une rémission significative de l'atteinte hépatique et rénale. Dans un collectif de quinze patients américains traités par 5 millions d'unités d'IFN-a quotidiennement pendant seize semaines, la disparition des marqueurs sérologiques (VHB ADN et AgHBe) s'est accompagnée d'une résolution à long terme du syndrome néphrotique.16 Les facteurs prédictifs de bonne réponse semblent similaires à ceux des patients avec atteinte hépatique isolée, comprenant entre autres de hauts taux d'aminotransférases, possible témoin d'une bonne réaction immunitaire contre le virus. Par contre, dans une cohorte de patients d'origine chinoise, l'IFN-a n'a induit une rémission complète du syndrome néphrotique que chez un patient sur cinq, en parallèle avec l'apparition d'Ac anti-HBe.15 Il n'y a actuellement pas encore de consensus sur l'utilisation d'autres traitements antiviraux dans cette indication, tels que l'interféron pégylé ou la lamivudine.
Elle est plus souvent rencontrée chez l'adulte, où son pronostic global est sombre avec 50% de mortalité ou d'insuffisance rénale terminale à dix ans, malgré les traitements immunosuppresseurs. Le pronostic spécifique des MPGN associées au virus de l'hépatite B n'est toutefois pas connu. Des résultats encourageants ont été récemment obtenus par l'association ribavirine et IFN-a dans l'atteinte liée au VHC17,18 dont environ 40% des patients présentent une cryoglobulinémie. Peu de données sont toutefois disponibles pour le VHB où la prévalence de cryoglobulinémie est d'environ 10%.19,20
Cette GN est caractérisée par des dépôts de complexes Ag-Ac dans l'espace sous-endothélial, avec tant de l'AgHBs que AgHBe. Leurs rôles respectifs sont incertains, le même aspect histologique pouvant être retrouvé lors de cryoglobulinémie non liée au VHB. Dans ce cas, la co-infection VHC est fréquente. La cryoglobulinémie est alors typiquement mixte, de type II, IgG/IgM.
Les dépôts glomérulaires peuvent parfois contenir des Ag viraux. La MPGN de type I est le plus souvent associée à une hépatite C pour laquelle le traitement antiviral est bien documenté et efficace, bien que des récidives soient observées à l'arrêt du traitement.19 Pour l'hépatite B, dans une petite série de quatre patients avec antigénémie HBs traités par IFN-a pendant six mois, la protéinurie a persisté dans tous les cas malgré l'apparition d'Ac-antiHBe.21 Dans l'étude de Conjeevaram, les patients présentant une MPGN par opposition à une MGN étaient plus fréquemment des non-répondeurs au traitement par interféron.16 Enfin un cas de rémission complète d'un syndrome néphrotique est rapporté sous IFN-a, l'effet persistant à l'arrêt du traitement malgré la réapparition des marqueurs de réplication virale.22 Ces publications parfois contradictoires créent donc une certaine controverse, d'une part quant au traitement et à ses indications dans la MPGN, et d'autre part quant au rôle des différents antigènes viraux dans la pathogénie.
L'IgAN (maladie de Berger) est la GN la plus fréquente au monde. Globalement, une insuffisance rénale terminale peut survenir dans 20 à 40% des cas, 5 à 25 ans après le diagnostic. Le pronostic spécifique des formes liées au VHB n'est pas connu. Il s'agit d'une GN à CI définie par la présence de dépôts glomérulaires mésangiaux d'IgA en immunohistochimie, accompagnés de lésions histologiques variées. Elle résulte d'une aberration de production ou de structure des IgA avec défaut de glycosylation des immunoglobulines par les lymphocytes B lors d'exposition des muqueuses aux antigènes exogènes.23 Il en résulterait un défaut de clairance des immunoglobulines par le système réticulo-endothélial, dont l'asialoglycoprotéine hépatique.
La présentation clinique est fréquemment une macro- ou micro-hématurie et/ou une protéinurie, parfois un purpura rhumatoïde (Henoch- Schoenlein).24,25 Certaines atteintes hépatiques sont associées à des dépôts glomérulaires d'IgA (tableau 2). De l'ADN VHB a été identifié dans des biopsies rénales par hybridation in situ, PCR ou RT-PCR, de distribution nucléaire et cytoplasmique, dans les cellules mésangiales et tubulaires ainsi que dans l'interstitium.26,27,28 Pour certains auteurs, la quantité d'ADN VHB dans le tissu rénal est corrélée avec la sévérité de la néphropathie chez l'enfant.27 Par contre, ni l'antigénémie HBs ni la présence d'AgHBs en immunofluorescence dans les biopsies rénales ne semblent contributives.29
Les traitements antiviraux ne font pas partie de l'arsenal thérapeutique communément admis dans le traitement de l'IgAN, la plupart des cas n'étant pas associés aux hépatites. Le traitement est essentiellement basé sur les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC), les acides gras polyinsaturés W3 et sur certaines combinaisons immunosuppressives comprenant corticostéroïdes, azathioprine ou mycophénolate. A notre connaissance, aucun traitement spécifique de l'IgAN associée à l'hépatite B n'est en cours d'évaluation.
De rares cas de manifestations extra-hépatiques, en particulier néphrologiques, sont décrits chez des patients greffés rénaux avec hépatite B. Bien que la réactivation virale sous immunosuppression puisse être attendue, la réplication VHB et la fréquence de ses manifestations après greffe rénale ne sont pas précisément connues. L'interféron n'est pas recommandé en raison des risques de rejet du greffon.
Parmi les rares publications, on relève un cas de GN du greffon associé au VHB et un cas de PAN avec réapparition de l'AgHBs et positivation de l'ADN VHB. Les deux cas ont répondu à un traitement de lamivudine.30 Une seule série de transplantés rénaux fait état d'une récidive de néphropathie à IgA chez 1/17 patients AgHBs positifs, et ce, sous traitement de lamivudine.31
Plus globalement, parmi les receveurs AgHBs positifs, l'étude rétrospective de Breitenfeldt montre une diminution significative de la survie patient et greffon lorsque l'AgHBe est positif. Par contre, les patients AgHBs positif et AgHBe négatif présentent des courbes de survie superposables aux receveurs non infectés.32 Les recommandations récentes pour les patients greffés rénaux AgHBs positifs sont d'introduire la lamivudine dès la transplantation et pour une longue durée encore mal déterminée.33
Parmi les néphropathies associées au VHB, la fréquence d'atteinte vasculitique sévère comme dans la PAN a régressé en réponse à la diminution de la prévalence du virus, en particulier dans les pays qui ont bénéficié de campagnes de vaccination. Il existe des différences entre les glomérulonéphrites de l'enfant et de l'adulte au niveau de l'épidémiologie, du type histologique, du pronostic et de la réponse au traitement. Chez les patients greffés rénaux, c'est surtout lors d'hépatite B réplicative que le pronostic de la greffe peut être compromis. L'impact des traitements antiviraux sur les néphropathies associées au virus VHB est encore difficile à évaluer du fait de l'absence de grandes séries et parce que l'indication au traitement est largement dépendante de l'indication hépatique en soi.