L'incidence de la tuberculose a considérablement augmenté ces dernières années. La localisation pulmonaire est la plus fréquente, suivie de l'atteinte ganglionnaire et rénale. L'atteinte rénale, généralement bilatérale, se fait par voie hématogène avec formation de granulomes glomérulaires. Ces lésions guérissent dans la plupart des cas sans produire de maladie rénale mais peuvent se rompre dans la lumière tubulaire plusieurs années après la primo-infection pulmonaire. Une tuberculose rénale ne se manifeste que rarement par une insuffisance rénale. En cas de tuberculose pulmonaire active s'accompagnant d'une diminution de la fonction rénale, le diagnostic différentiel se pose principalement entre une néphrite immunoallergique médicamenteuse (rifampicine) versus une atteinte tubulo-interstitielle tuberculeuse. La PBR est l'examen de choix. Dans cet article, nous allons décrire un cas de néphrite tubulo-interstitielle tuberculeuse et passer en revue les différentes atteintes rénales rencontrées en cas de tuberculose.
On observe actuellement une recrudescence de la tuberculose avec 8 à 10 millions de nouveaux cas par année.1 Cette augmentation touche particulièrement la population atteinte de sida mais également les patients en hémodialyse chronique,2 en dialyse péritonéale chronique ambulatoire (DPCA),3 les transplantés rénaux ou d'un autre organe.4 Une diminution de la fonction immunitaire représente le facteur favorisant commun chez ces patients.1,5 L'émergence de souches résistant au traitement classique (surtout isoniazide, rifampicine)6 participe également à la recrudescence de la tuberculose.
La localisation pulmonaire est la plus fréquente, suivie de l'atteinte ganglionnaire et rénale. L'atteinte rénale de la tuberculose qui se fait par voie hématogène, est le plus souvent bilatérale et aboutit à la formation de granulomes. Ces lésions guérissent dans la plupart des cas et ne produisent pas de maladie rénale. Les granulomes peuvent toutefois devenir caséeux puis se rompre dans la lumière tubulaire plusieurs années après la primo-infection pulmonaire. En général, il n'y a pas de répercussion sur la fonction rénale sauf dans de rares cas où la maladie se manifeste par une insuffisance rénale aiguë (IRA) postrénale sur sténose granulomateuse urétérale.7
La survenue d'une insuffisance rénale chez un patient présentant une tuberculose pulmonaire active traitée doit faire rechercher une néphrotoxicité médicamenteuse (rifampicine) ou une néphrite tubulo-interstitielle d'origine tuberculeuse. Enfin, comme dans toute inflammation chronique, la tuberculose peut entraîner une amyloïdose secondaire.
Dans cet article, nous rapportons un cas de néphrite tubulo-interstitielle tuberculeuse et passons en revue les différentes atteintes rénales rencontrées en cas de tuberculose.
Un patient de 45 ans, homosexuel, VIH négatif, aux antécédents de lithiase rénale, est hospitalisé en mars 2002 pour une baisse de l'état général avec toux sèche, dyspnée, état fébrile, asthénie et perte pondérale (48 kg à l'entrée). La radiographie thoracique et la mise en évidence d'un Mycobacterium tuberculosis non résistant dans les expectorations (examen direct, culture, PCR) permettent de poser le diagnostic de tuberculose pulmonaire apicale bilatérale cavitaire. On note un important syndrome inflammatoire (CRP à 120 mg/l), une leucocytose (19.0 G/l) avec une déviation gauche (19%). A l'admission, la fonction rénale est discrètement diminuée (créatinine à 78 mmol/l, clairance calculée à 71 ml/min). Basée sur l'antibiogramme, une quadrithérapie est débutée (isoniazide, rifampicine, éthambutol, pyrazinamide). L'apparition d'un rash cutané après huit jours de traitement motive l'arrêt de l'isoniazide. L'évolution est défavorable avec récidive des pics fébriles, persistance d'un syndrome inflammatoire et apparition d'une IRA (créatinine 139 mmol/l à J19). La recherche d'une tumeur ou d'une maladie systémique est négative.
L'insuffisance rénale s'aggrave rapidement avec une valeur de créatinine atteignant 283 mmol/l (J23). La diurèse est conservée. Le rapport protéine/créatinine est de 0,25 dans le spot urinaire. La recherche de BK dans les urines est négative. Les examens complémentaires (US, CT-scan non injecté) montrent une néphromégalie, une dédifférenciation corticosinusale, deux calculs, l'un pelvien droit et l'autre caliciel inférieur gauche, sans dilatation pyélocalicielle. Le diagnostic différentiel se pose principalement entre une néphrite immunoallergique sur rifampicine et une atteinte rénale tuberculeuse. Malgré l'arrêt de la rifampicine à J23, la fonction rénale continue à s'aggraver. Une PBR est effectuée à J26 (créatinine à 305 mmol/l).
L'examen histologique montre une néphrite interstitielle sévère, diffuse, touchant le cortex et la médulla. L'infiltrat inflammatoire se compose essentiellement de polymorphonucléaires avec quelques histiocytes ainsi que de rares éosinophiles et de plasmocytes (fig. 1 et 2). On observe une destruction focale de la membrane basale tubulaire par les neutrophiles et, par endroits, une nécrose des cellules épithéliales tubulaires avec formation de micro-abcès. Il n'y a pas de granulomes. Le Gram est négatif. L'aspect histologique des glomérules est normal et l'immunofluorescence négative. Le diagnostic de néphrite interstitielle destructrice micro-abcédante (pyélonéphrite infectieuse) est retenu. Malgré une coloration de Ziehl et une PCR à la recherche de Mycobacterium tuberculosis négatives, l'image histologique est compatible avec une néphrite tuberculeuse débutante. La rifampicine est réintroduite et l'évolution est marquée par une diminution lente mais progressive de la créatinine (150 mmol/l à J49).
Cette image histologique inhabituelle sera discutée dans le paragraphe «pathologie».
L'épidémiologie de la tuberculose rénale se caractérise par une variation importante dans sa fréquence et sa distribution géographique. Il est difficile de connaître sa prévalence exacte, le dépistage dépendant des techniques utilisées. Cependant, l'atteinte rénale (génito-urinaire) représente environ 30% des formes extra-pulmonaires chez les caucasiens.8 La tuberculose rénale touche plus souvent les hommes avec une majorité des cas survenant avant 50 ans.9
L'atteinte tuberculeuse rénale et du tractus urogénital est le plus souvent due au Mycobacterium tuberculosis. Toutefois, d'autres mycobactéries, comme par exemple Mycobacterium bovis, peuvent également être à l'origine d'une atteinte rénale infectieuse. La dissémination rénale, généralement bilatérale, se fait par voie hématogène. Le site primaire est le plus souvent pulmonaire (lésion active ou réactivation d'une ancienne lésion).
L'instillation intravésicale du bacille de Calmette et Guérin (BCG), utilisée pour le traitement des carcinomes vésicaux superficiels, peut se compliquer d'une IRA avec mise en évidence d'une néphrite interstitielle granulomateuse.10,11 Dans ces cas particuliers, l'atteinte rénale peut être secondaire à un reflux vésico-urétéral ou à une dissémination hématogène du BCG, favorisée par un traumatisme des voies urinaires.
En cas de tuberculose, on peut rencontrer différents types d'atteinte rénale.
L'atteinte rénale se fait par voie hématogène avec formation de granulomes dans les glomérules. Macroscopiquement, on observe des nodules blancs, surtout corticaux, mesurant de 1 à 3 mm de diamètre. Histologiquement, il s'agit de granulomes épithélioïdes, contenant souvent des cellules géantes de type Langhans, avec ou sans nécrose caséeuse. Des BK peuvent être détectés (mais pas toujours) dans ces lésions. Dans la plupart des cas, les granulomes guérissent et la fonction rénale n'est pas altérée.
Une atteinte rénale tuberculeuse inhabituelle, se manifestant par une insuffisance rénale avec une image histologique de néphrite tubulo-interstitielle aiguë avec présence de granulomes a été décrite chez trois patients.12 Une tuberculose pulmonaire active a été diagnostiquée chez deux patients et le troisième présentait une péritonite tuberculeuse. La recherche de BK dans les urines était négative. L'image histologique, la présence d'une insuffisance rénale et son aggravation sous un traitement antituberculeux bien conduit sont différentes de l'atteinte rénale tuberculeuse classique. Le patient décrit dans notre observation clinique entre dans cette catégorie particulière avec une atteinte tubulo-interstitielle tuberculeuse précoce (infiltrat composé essentiellement de polymorphonucléaires, absence de granulomes). Après dix mois de traitement antituberculeux, le patient présente une IRC avec une clairance calculée de 40 ml/min. L'indication à une seconde biopsie rénale (fibrose ?) devra être discutée à la fin du traitement antituberculeux.
Dans certains cas, les granulomes décrits dans l'atteinte miliaire peuvent ne pas guérir, devenir caséeux et se rompre dans la lumière tubulaire. A ce stade, les bacilles tuberculeux atteignent l'interstice médullaire avec formation de granulomes, d'ulcérations et même de cavités. Des lésions similaires peuvent toucher les uretères, la vessie et chez l'homme, la prostate et l'épididyme. Un intervalle libre s'étendant jusqu'à 30 ans peut s'écouler entre l'infection primaire et l'atteinte décrite ci-dessus. Une maladie extra-rénale (fièvre, toux, perte pondérale, hémoptysie) est souvent absente à ce stade. Le début de l'atteinte génito-urinaire se fait de façon insidieuse. Une dysurie avec hématurie macroscopique et douleurs du flanc sont les symptômes les plus fréquents. Certains patients sont asymptomatiques avec découverte fortuite d'une hématurie microscopique et/ou d'une pyurie stérile. La fonction rénale est normale ou très peu abaissée.
Cependant, Conte a décrit un cas d'insuffisance rénale aiguë postrénale secondaire à une tuberculose rénale (sténose granulomateuse pyélo-urétérale gauche avec rein controlatéral muet).7 Sous traitement antituberculeux, la fonction rénale s'est progressivement améliorée avec disparition des signes échographiques d'obstruction.
Certains médicaments utilisés dans le traitement de la tuberculose peuvent perturber la fonction rénale. La plupart des cas décrits concernent la rifampicine et se traduisent par une IRA sur néphrite interstitielle immunoallergique.13 La prise discontinue de rifampicine (comme dans le cas de la directly observed therapy ou DOT) pourrait augmenter le risque de néphrite interstitielle immunoallergique. L'image histologique comporte un infiltrat essentiellement lymphocytaire, en foyer ou diffus, un dème interstitiel et des signes de nécrose tubulaire. Le nombre des éosinophiles est variable et dépend du moment auquel la biopsie est faite (plus nombreux au début de l'atteinte interstitielle).
L'éthambutol et la pyrazinamide ne sont pas néphrotoxiques mais peuvent induire une diminution sélective de l'excrétion d'acide urique (soit par diminution de la sécrétion ou augmentation de la réabsorption).
Ce diagnostic peut se rencontrer dans toute situation d'inflammation chronique et doit être évoqué chez les patients tuberculeux présentant une protéinurie de niveau néphrotique. L'amyloïdose AA est liée à la formation de substance amyloïde à partir d'une protéine sérique amyloïde A (SAA), impliquée dans la réaction inflammatoire aiguë. Le diagnostic doit être établi par biopsie (rénale, rectale, graisse sous-cutanée abdominale) avec une coloration immunohistochimique pour la protéine AA.
Une tuberculose rénale ne se manifeste que rarement par une insuffisance rénale. En cas de tuberculose pulmonaire active, il faut suivre régulièrement la fonction rénale afin de détecter précocement toute anomalie pouvant traduire une atteinte rénale tuberculeuse. En cas d'insuffisance rénale, une PBR doit être considérée, surtout si la fonction rénale continue de s'aggraver sous un traitement antituberculeux efficace. Les deux principales atteintes histologiques observées sont une néphrite tubulo-interstitielle immunoallergique (rifampicine) et une néphrite tubulo-interstitielle infectieuse (tuberculose).
En cas d'atteinte rénale tuberculeuse, le traitement est identique à celui utilisé pour la tuberculose pulmonaire mais l'insuffisance rénale peut se corriger de façon incomplète.