La peste ? Quelle peste ? Celle qui décima le monde à trois reprises et qui reste dans la mémoire de l'humanité comme synonyme de fléau particulièrement effroyable ? Eh oui : celle aussi qui, aujourd'hui encore, continue à sévir, de plus en plus souvent, même dans des pays réputés industrialisés et modernes comme les Etats-Unis.La peste fait en effet l'objet actuellement d'une réémergence qui ne cesse d'inquiéter l'OMS, le nombre des cas déclarés étant en recrudescence dans plusieurs régions du monde. A Madagascar, par exemple, ce sont près de 2000 cas annuels qui ont été déclarés ces dernières années, contre moins de 200 il y a vingt ans. Une vingtaine d'autres pays sont touchés, essentiellement en Afrique (près de 1000 cas en Tanzanie et au Mozambique, plus de 500 cas au Congo) et en Asie (notamment en Inde où l'on recense plus de 900 cas chaque année). Mais les pays industrialisés ne sont pas épargnés, puisque, même aux Etats-Unis, il n'est pas rare qu'on enregistre quelques cas de peste, notamment en Arizona.Quant aux pays de l'ex-URSS, ils ne font pas exception. Seules l'Océanie et l'Europe semblent être épargnées depuis plusieurs décennies.L'extension possible de la peste par les moyens rapides de transport constitue un danger potentiel qui ne devrait pas être sous-estimé, estime l'OMS. Quant aux craintes actuelles relatives au bioterrorisme international, elles redonnent un intérêt majeur aux études entreprises sur la peste ainsi qu'aux moyens de diagnostic rapide.La mort en quelques joursOn rappellera que la peste, infection bactérienne due à Yersinia pestis, un bacille qui porte le nom de son découvreur, le vaudois Alexandre Yersin, est d'abord une maladie des rongeurs, transmissible de rongeur à rongeur puis du rongeur à l'homme par une piqûre de puce. Lorsque l'homme est contaminé par une puce de rongeur, la peste touche tout d'abord ses ganglions lymphatiques ; elle est dite alors «bubonique» en raison de l'inflammation qui en résulte, qui provoque l'apparition de bubons. Non traitée, la maladie peut contaminer ensuite les poumons : cette peste «pulmonaire», moins fréquente mais beaucoup plus grave, conduit au décès en quelques jours si un traitement n'est pas entrepris dans les 24 heures suivant les premiers symptômes. C'est cette forme gravissime, hautement contagieuse d'homme à homme par l'intermédiaire des expectorations, qui serait visée en cas d'utilisation terroriste de Yersinia pestis. Enfin, en cas de peste septicémique, la mort est encore plus rapide : moins de 36 heures.C'est dire si l'identification rapide de la maladie est primordiale, et si le travail entrepris par les chercheurs de l'Institut Pasteur de Madagascar et de Paris (Suzanne Chanteau, Farida Nato et Elisabeth Carniel) est donc d'une brûlante actualité, même s'il ne nous concerne pas directement, du moins pour l'instant. Le test sur bandelettes que cette équipe a mis au point, puis évalué à Madagascar, permet en effet de dépister désormais cette maladie en une quinzaine de minutes à peine, au chevet du patient, à partir d'une ponction du bubon. Alors que jusqu'ici il fallait mettre le prélèvement en culture microbiologique, et que le diagnostic ne pouvait être attendu avant deux semaines.Pour une alerte précoceIl s'agit donc d'un progrès considérable pour la lutte contre cette maladie réémergente, très souvent mortelle en l'absence d'un traitement précoce, de même que pour sa surveillance. Ce test est en outre très facile à utiliser : il suffit de mettre le prélèvement biologique en contact avec une bandelette, capable de détecter la présence de l'antigène F1, spécifique du bacille de la peste. Ces bandelettes de diagnostic rapide permettent de détecter chez l'homme aussi bien la peste bubonique que la peste pulmonaire, et peuvent également être utilisées sur des prélèvements de rongeurs en cas de mortalité anormale suspecte de ces animaux dans un village. Le cas échéant, cela permettrait de donner l'alerte dans de très brefs délais, et de prendre les mesures de prévention nécessaires pour éviter les premiers cas de peste humaine.Ce test de diagnostic a aussi l'avantage d'être utilisable dans les régions les plus reculées et dépourvues d'électricité, car le transport et le stockage des bandelettes ne nécessitent pas de chaîne du froid, et la réalisation du test ne demande aucun équipement spécifique.Testé à l'Institut Pasteur de Paris sur des souches du bacille provenant de différents continents, ce test de détection rapide s'est révélé très performant, avec une sensibilité et une spécificité de 100%. Son évaluation sur le terrain à Madagascar, dans 26 sites périphériques, a montré ensuite une très bonne concordance avec les tests bactériologiques effectués en parallèle au laboratoire.A la demande du ministère de la Santé malgache, qui a décidé d'inclure l'utilisation des bandelettes dans son Programme national de lutte contre la peste, la Banque mondiale a décidé d'accorder un financement pour la mise en place d'une unité de production à l'Institut Pasteur de Madagascar. Désormais opérationnelle, elle permet la fabrication annuelle des 10 000 kits (bandelettes et matériel de prélèvement) nécessaires au pays.Le test est par ailleurs en cours d'évaluation, sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé, dans d'autres pays d'Afrique touchés par la peste, afin de les en faire éventuellement bénéficier.Signalons enfin que, sur le même principe, les chercheurs ont mis au point des bandelettes de diagnostic spécifique du choléra. Les résultats préliminaires d'essais sur le terrain, menés au Bangladesh et à Madagascar, laissent présumer d'une efficacité analogue à celle du test de diagnostic de la peste, ce qui devrait avoir des répercussions encore plus grandes, compte tenu de l'ampleur que revêtent, régulièrement, les épidémies de choléra.