On n'écoute jamais assez les généticiens, ces pythies de notre temps. Il y a bientôt deux ans, Bertrand Jordan (Marseille-Génopole) annonçait, dans les colonnes du très sérieux mensuel Médecine/Sciences ce que les responsables du mouvement raélien revendiquent aujourd'hui : la création d'êtres humains à partir de la technique du clonage dans le cadre de leur programme Clonaid. «Malgré les atermoiements auxquels donne lieu l'exécution d'une vérification techniquement très simple, j'ai tendance à croire à ce clonage. Même si je me trompe, d'autres naissances dues à Clonaid, à Antinori ou à Zavos, pourraient bien confirmer à brève échéance que le clonage reproductif humain est une réalité » écrit aujourd'hui le généticien Jordan dans la dernière livraison (datée de février) de Médecine/Sciences.
Pour l'auteur, la confirmation de ce clonage s'il constituera bien un événement médiatique et social majeur ne devra pas être regardée comme «un exploit scientifique hors du commun». En l'état actuel des connaissances, on peut très bien imaginer que ces nouveaux êtres humains ne seront, tout bien pesé, que le fruit d'une «machine à cloner», banal générateur d'impulsions électriques visant à activer des ovocytes après énucléation et injection de noyaux de cellules somatiques. Outre la machine, on ajoutera qu'il faut disposer d'ovocytes et de femmes offrant leur utérus dès lors que l'humain cloné n'est pas la femme qui porte le clone. On peut aussi postuler que la physiologie de la reproduction humaine est plus apte à la mise en uvre de ce procédé comme c'est le cas chez les ovins, les bovins ou les félins à la différence des porcs, des chiens ou des rats.
La science n'est pas indifférente ici. Tous les biologistes s'accordent pour dire que le clonage ouvre potentiellement la voie à une avancée fondamentale qui, elle, serait cruciale : la compréhension des mécanismes de reprogrammation du noyau.
On a, depuis quelque mois, appris à déambuler dans ce nouveau labyrinthe dans lequel on croise les concepts jumeaux de clonage thérapeutique et de clonage reproductif, la procession des lignées de cellules souches embryonnaires et adultes, avec en toile de fond les impossibles équations du statut de l'embryon humain et de l'identification précise du début de la vie. Tout cela n'est pas vain qui renvoie chacun à ses convictions philosophiques et religieuses, aux regards qu'il porte sur le monde, les autres humains, lui-même. Nous voilà aux prises, pour les siècles à venir, avec de sacrés sujets. Et Bertrand Jordan, encore lui, dessine les prochaines étapes de notre chemin de croix ; à commencer par l'amélioration génétique de l'espèce humaine.
«C'est un thème qui commence à être discuté ouvertement outre-Atlantique comme en témoigne un récent livre de Gregory Stock.1 Il s'agirait là d'une sorte de thérapie génique germinale destinée non pas à soigner un embryon, mais à lui conférer grâce à l'adjonction d'un gène ou même d'un chromosome artificiel des caractères "désirables" : résistance à certaines infections, taille, aspect physique écrit-il. La panoplie des gènes dont certains allèles ont un effet mesurable sur de telles caractéristiques est déjà significative, et va s'élargir. Le saut peut sembler démesuré, et la perspective irréaliste ; pourtant, certains éléments d'une démarche d'amélioration sont déjà en place. Je veux bien sûr parler du diagnostic pré-implantatoire.»
Et nous voilà ainsi revenu à ce fameux DPI qui inquiète tant Jürgen Habermas, ce procédé qui se prête tout naturellement au choix du «meilleur» embryon. Le DPI reste certes aujourd'hui exceptionnel (un millier de cas pour diagnostiquer afin de ne pas les implanter des embryons porteurs d'anomalies génétiques, causes d'affections graves). Mais il faut compter, comme le fait Bertrand Jordan, avec l'optimisation des techniques d'amplification par PCR et l'élargissement progressif de la gamme des gènes identifiables. Le droit, pour un couple, à la sélection de sa descendance est clairement en gestation. N'en doutons pas : dans le grand supermarché de la génétique, des hommes et des femmes fertiles auront bientôt recours à l'assistance médicale à la procréation pour améliorer les enfants auxquels ils souhaitent donner le jour. On choisira d'abord sur des critères morphologiques ou dynamiques le «meilleur» embryon, puis on améliorera, on enrichira les milieux de culture ; enfin on modifiera, d'une manière ou d'une autre, le génome de l'enfant à naître.
«Ces perspectives font sans doute horreur à la quasi-totalité de nos lecteurs, écrit Bertrand Jordan. Doit-on pour autant jeter sur elles un anathème définitif et irrévocable, considérer qu'elles sont contraires à la nature humaine et que notre espèce ne doit jamais, au grand jamais, y recourir ? Evoquer de telles possibilités, est-ce déjà envisager un crime contre l'humanité, comme on l'entend dire ça et là ? A mon sens, une position aussi catégorique n'est pas en accord avec une approche matérialiste et rationaliste du monde.»
L'auteur a intitulé sa chronique comme nous avons intitulé notre texte, le point d'interrogation en moins. Il explique que ce titre est aussi celui de la préface de Marcus Wenner «psycho-neuro-immunologiste» pour le livre de Raël «Oui au clonage humain, la vie éternelle grâce à la science». Il ajoute qu'il se doit de souligner «la nullité» de cette uvre.
1 Stock G. Redesigning humans. Our inevitable genetic future. Boston : Houghton Mifflin Company, 2002.